Quatre grands cas de figure se détachent lorsqu’on aborde le Black Metal par sa face nord. Quatre approches, bien différentes, mais qui une fois assemblées, forment un puzzle hideux, que l’on découvre avec horreur en se plongeant dans l’histoire de ce pan de l’extrême. Il y a évidemment l’approche classique, blasts, hurlements de sorcière, riffs concentriques, la méthode classique. Il y a bien sûr l’école minimaliste, le lo-fi comme dogme, avec des enregistrements tous plus incompréhensibles les uns que les autres au nom de l’éthique. Il y a ensuite l’élite avant-gardiste, qui refuse les contraintes, et dilue, dans le Jazz, dans le dissonant, dans l’arty, pour maquiller la bête et la rendre plus abordable, sinon moins cruelle. Et puis, il y a un dernier mouvement, plus rare, qui privilégie l’ambiance délétère à la bestialité primaire, et qui abuse des atmosphères pour nous plonger dans un coma paranoïde dont on ne sort pas tout le temps intact et sain d’esprit. Les allemands de PHRENETICUM font indéniablement partie de cette caste d’artistes qui refusent l’approche frontale pour nous prendre de biais, et qui développent de longues structures envoutantes pour nous entrainer toujours plus profondément dans leurs immondes abysses.
Fondé en 2015, ce concept énigmatique n’a rien produit avant d’offrir six ans après sa naissance son premier longue-durée. Les photos promo affichent deux visages grotesques et grimaçants, mais l’image n’occulte pas la puissance d’une musique qui butine les fleurs du mal pour incarner…le mal absolu. Cinq noms se détachent donc
du line-up (Sandra Batsch - basse, Fab Ian - batterie, Ronny Raschick et Fluch - guitares, Leichenfresse - chant), dont certains ont déjà trainé leurs instruments dans d’autres formations (ABIGORUM, FEUERMANN, METAMORPH, TROND, WULFGAR, VON.TROLL, DIE NEBEL DER ENDLOSIGKEIT), un line-up qui en soi ne nous donne pas vraiment d’indication quant à la marche à suivre. Et il faut donc encaisser le lourd choc de « Der Turm » pour comprendre de quoi il en retourne, et compter ses os tombés à terre. En sept minutes, PHRENETICUM plante le décor de Der Stille Zerfall, lourd, emphatique, déviant, pesant, grouillant, et nous emmène dans un voyage sans retour dans l’histoire du BM allemand, l’un des plus fertiles, mais aussi l’un des plus malsains du marché.
Loin d’une pluie de blasts ininterrompue obligeant l’auditeur à utiliser un parapluie acoustique et des protections de tympans, ce premier titre est un modèle de lourdeur, un pamphlet Heavy qui écrase tout sur son passage, et qui en dit long sur les intentions du quintet. La production, grave et grasse ne permet pas toujours de discerner clairement le propos, mais là justement est le propos : dérouler un magma sonore en forme de coulée de lave, qui fait tout fondre sur son passage, et qui ose reprendre les recettes de BATHORY pour les remettre au goût d’un jour actuel désespéré et sans avenir. Et si les riffs sont formels, si les transitions rythmiques peuvent être anticipées sans trop de problème, le chant sous-mixé à la suédoise, et les inflexions historiques entraînent un mélange étrange, comme si le passé refaisait surface et nous éclaboussait de ses échos.
L’écho est justement très important sur ce premier album. Les morceaux en sont blindés, ce qui permet de créer une atmosphère envoutante et inquiétante, comme un cri émanant d’un passé très lointain. Ne refusant aucunement la violence inhérente à un tel concept, les musiciens allemands de ville inconnue utilisent donc tous les codes, mais les traitent à leur manière. De façon très underground, pour cette propension à booster le lo-fi pour lui donner des allures de superproduction, et en emballant le tout dans un splendide artwork de Luciana Nedelea, mis en cadre par Aleksey Korolyov. Le produit est donc fini, peaufiné de l’extérieur, mais encore très abrupt de l’intérieur.
Décomposé en cinq chapitres de longueurs diverses, Der Stille Zerfall module, mais frappe fort. Si « Das Auge » reprend la route d’un BM nordique accentué d’une puissance totalement allemande, il accumule toutefois les breaks Heavy qui mettent en relief une batterie à l’économie de production qui sonne captée live. Le chant de Leichenfresse, geignard et très proche des intonations de feu Quorthon survole la partition comme un vautour une charogne, et passe parfois aux avant-postes pour égrener son discours cryptique. Et après quatre inserts de six minutes, dont un « Krankhaf » plus glauque que du Lynch passé entre les mains d’Arrabal, les allemands se lancent dans l’exercice du final dantesque et hors-proportions, avec un homérique « Das Grab » qui piétine allègrement les onze minutes.
Ce morceau, qui se veut évidemment acmé absolu, débute pourtant assez gauchement sur un plan purement Heavy Metal aussi éculé qu’une corde de mi de SAXON. Binaire, lick catchy, frappe matte de caisse claire, avant que l’ambiance ne dévie vers quelque chose de moins putassier, mais tout aussi insistant. Et alors que l’auditeur se dit que les choses vont changer, que les BPM vont tomber, et que les guitares vont s’éloigner de ce motif entêtant et puéril, le déroulé stagne et n’offre aucun crescendo, comme si le groupe insistait sur la douleur formaliste d’une clôture en surprise minimaliste.
Etrange album que ce Der Stille Zerfall qui intrigue, mais intègre de nombreux défauts, parfois difficilement excusables. On se retrouve un peu coi, sans savoir vraiment quoi dire ni quoi penser, mais avec la certitude d’avoir écouté quelque chose de différent. Et ça, c’est toujours un bonus dans le cadre du Black Metal, style Ô combien fourre-tout et parfois complaisant.
Titres de l’album:
01. Der Turm
02. Das Auge
03. Zur Hölle
04. Krankhaft
05. Das Grab
J'aime bien l'ambiance de ce Black Metal, c'est rampant, c'est noir au possible, très intéressant !
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