Desiderata (latin desiderata, de desiderare, regretter l'absence de) : ce que l’on souhaite voir se réaliser, souhaits, vœux. (Larousse)
Alors, qu’est-ce qu’un groupe de Death tout ce qu’il y a de plus traditionnel peut bien souhaiter voir se réaliser ? La destruction de la planète, l’extinction de la race humaine ? De voir des millions de cadavres revenir à la vie pour s’en prendre aux rares survivants radioactifs ? Un holocauste nucléaire ? Une table de dissection toute neuve avec canalisations renforcées et matériel stérilisé ? Non, car sous des atours hirsutes et sous une épaisse couche de grognements de plantigrade, les musiciens évoluant dans le Death Metal font partie des plus gros nounours de l’histoire de la musique, et ne vous souhaitent aucun mal autre que celui causé par leur barouf. Et les français de DEATH AGONY, malgré leur patronyme sans détour ne font pas exception à la règle. Et tout ce qu’ils souhaitent, c’est pouvoir apporter leur modeste contribution au monolithe de genre, de continuer à enregistrer des albums pour pouvoir les défendre sur la route. Rien de plus, ni de moins. Et il est certain qu’à l’instar de leurs compagnons de route Thrash, les ardents défenseurs de la cause régurgitative n’ont pas tâche facile, puisque les œuvres s’empilent sur les étagères de l’histoire bestiale, et qu’il est toujours plus difficile de s’y faire une place enviable. Il faut dire qu’en considérant le point de départ de cette scène en 1987 et la sortie du premier et séminal album de DEATH, la production a pris des proportions homériques, et que chaque album doit défendre son bout de gras pour ne pas se faire bouffer par le voisin de l’indifférence. Les DEATH AGONY sont tout à fait conscients de ça, eux qui depuis presque quinze ans se dépatouillent avec les affres du destin, et tentent contre vents et marées de rester debout, malgré une discographie assez maigrichonne. Pensez-donc, existant depuis 2005, le groupe n’en est qu’à son second longue-durée, et a semble-t-il connu des périodes de silence forcé, puisqu’on prend acte des sept années séparant ce Desiderata de leur premier effort, Carcinogenic Memories, publié en 2012. Mais sans vraiment savoir ce qu’il leur est arrivé durant ce laps de temps, je peux au moins affirmer que leur retour va faire grand bruit et leur permettre de reprendre la route dans les meilleures conditions possibles.
Financé par une campagne Ulele, Desiderata : A Devastating Revelation sent l’ouvrage peaufiné dans ses moindres détails, et se présente sous une lumière tamisée assez étrange. Si Carcinogenic Memories n’était quasiment que violence et chaos, ce second long joue plus volontiers l’ambiguïté, se permettant pas mal d’ambiances étranges, de breaks dissonants, et même de morceaux entiers dédiés à l’étrangeté d’un Death qui semble puiser dans toutes les époques son inspiration. Et à vrai dire, les différences entre les deux tomes sont palpables sans même avoir écouté la moindre note, ne serait-ce qu’en jetant un coup d’œil au tracklisting. Des trente-huit minutes de leur entame, les originaires de Maubeuge sont passés à plus de cinquante minutes, et ont considérablement rallongé le timing de certains titres, qui ne se gênent pas pour dépasser les sept ou huit minutes, sans se montrer redondant pour autant. Mais en fait, dès « Too Late for Innocence » et son intro malsaine de cour d’école en destin funeste, les choses sont mises au point assez clairement. Le DEATH AGONY actuel est beaucoup moins immédiat et lapidaire que celui de son passé plus ou moins lointain, et c’est avec plaisir que nous comprenons que l’accent n’a pas seulement été mis sur la vitesse et la violence, mais aussi sur l’originalité, l’intensité et le décalage harmonique. Archétype de la composition à tiroir intelligente et fertile, cette première intervention montre le quatuor sous un jour assez fascinant (Matt : Chant - Guitare ; Phil : Guitare; Rémi : Basse; Thomas: Batterie), le rapprochant même d’un Death technique et évolutif du meilleur niveau. Certes, le chant de Matt est grave comme l’annonce médicale d’une maladie incurable, bien sûr, les blasts se taillent une bonne part du butin, mais les guitares, entre stridences, pesanteur et oppression jouent une partition impeccable que de petits arrangements de basse subliment du mieux qu’ils le peuvent. En un seul morceau, le quartet valide son retour et surtout justifie sa longue absence, qui se retrouve comblée par un surplus d’inventivité qui fait franchement plaisir à entendre dans la monotonie actuelle.
Se revendiquant toujours des mêmes et classiques influences (SIX FEET UNDER, SLAYER, CANNIBAL CORPSE, BEHEMOTH, VADER, TORTURE KILLER, OBITUARY, DEBAUCHERY, GRAVE), DEATH AGONY s’en éloigne sans les renier, et propose avec Desiderata : A Devastating Revelation une sorte de synthèse globale des courants en vogue dans les années 90, période qui leur tient le plus à cœur. Ce qui implique donc des changements de tempo fréquents, et une recherche d’atmosphères assez probante, qui permet aux onze interventions de se montrer aussi riches que pertinentes. Parlons production, puisque le son de ce second LP est des plus riches, avec sa basse qui ondule en arrière-plan pour mieux s’imposer au premier, ce chant grogné mais clair, cette caisse claire qui percute vraiment, et ces guitares aussi effectives en riff tranché qu’en circulaires envolées. Le travail accompli par les quatre musiciens est d’intérêt, puisqu’ils ont puisé au fond des coffres de leur inspiration les richesses indispensables à la constitution d’un répertoire de valeur, et si certains actes restent classiques dans le fond et la forme, ils disposent tous d’une idée ou d’une astuce qui les différencie de la masse habituelle de hurlements sur fond de tronçonnage. Les plus extrêmes des fans regretteront peut-être justement qu’aucun titre ne s’emballe du début à la fin, mais la mystique globale est beaucoup plus pertinente qu’une simple course à la bestialité, ce qui rend cet album encore plus précieux. D’ailleurs, une simple écoute au long et pénétrant « Catalysing Perpetual Anguish » suffit à comprendre que le groupe a définitivement renoncé aux tics les plus systématiques du créneau, développant de longues intro sombres pour construire une progression logique et dense, utilisant les graves pour instaurer un climat, avant de fracasser la pénombre de coups de colère parfaitement cohérents et puissants. Souvent lourd, toujours oppressant, le Death des français est d’une créativité louable, et leur permet même de viser le podium d’une compétition toujours plus ardue. On aime ces répétitions qui tiennent lieu de mantras morbides, mais on aime aussi ces soudains accès de fièvre qui nous ramènent au meilleur de VADER ou SIX FEET UNDER (« Macabre », en version courte, la magie opère aussi, avec toujours cette basse en pulsion qui dynamise la rythmique), et finalement, le choix de mettre en avant telle ou telle piste devient impossible.
Mais sans jouer les indécis, autant dire que le final gargantuesque « Heading the Symphony of Death » fait largement office de tête de gondole. Judicieusement placé en clôture, ce morceau est une épopée mortelle à lui seul, et met en exergue tout le professionnalisme acquis durant les sept années de silence. Et il se pose en épitaphe parfaite d’une renaissance annoncée, et comme témoignage d’un groupe transcendé, qui a quitté l’automatisme pour privilégier un pilotage manuel, et qui ainsi, nous offre un survol Death assez mouvementé, mais incroyablement enivrant. Gageons qu’avec un tel album à défendre, les DEATH AGONY vont voir tous leurs souhaits, même les plus inavouables se réaliser. Et ce sera amplement mérité.
Titres de l'album :
1.Too Late for Innocence
2.The Silence of the Dead
3.Burial
4.Catalysing Perpetual Anguish
5.My Own Funeral
6.Eulogy of a Tragedy
7.Entering the Room of the Two Maats
8.Scars from a Past Life
9.Macabre
10.Massacre
11.Heading the Symphony of Death
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