Retrouver un groupe en constat décalage, un collectif créatif qui depuis le début de sa carrière s’ingénie à repousser les barrières est comme un rendez-vous amoureux, une première fois. On se demande si on va le reconnaître, si l’alchimie fonctionnera toujours, si les mots suffiront à expliquer les sentiments, ou si au contraire le silence ne sera pas la meilleure solution. Ça paraît étrange de comparer une chronique à une histoire d’amour épisodique, et pourtant, les émotions sont les mêmes, encore faut-il que l’autre partie du couple soit exceptionnelle, et surtout, toujours aussi sincère et honnête. J’ai fait la connaissance des canadiens de WAKE à l’occasion de leur troisième LP, Sowing the Seeds of a Worthless Tomorrow. A l’époque, le visage du groupe était différent, les contours un peu plus précis, le caractère moins complexe et les gestes plus grossiers. Intrigué par cette découverte pas comme les autres, je m’étais intéressé au passé du combo, en jetant une oreille attentive sur ses premiers cris, Leeches, hurlé en 2011 et False, braillé en 2013. Et en me basant sur la discographie intégrale, j’avais pris acte de cette trajectoire ascendante dont on pouvait appréhender l’angle et la vitesse, mais pas la destination. Les originaires de Calgary, sous des atours foncièrement brutaux et nihilistes faisaient montre de capacités d’évolution, d’adaptation, comme un organisme primaire lâché dans une nature hostile, et qui finit par muter pour s’y adapter. La violence mondiale se transformant petit à petit, devenant plus sournoise par époque ou encore plus dense et brutale par endroits, il n’est pas étonnant que les WAKE se soient adaptés à ses exigences, à sa dangerosité. Et du bruit initial, brut et sans compromis, ne restent aujourd’hui que des échos, et cette façon de traumatiser toute une génération underground en manque de leader. Par le biais de Devouring Ruin, le quintet (Rob LaChance, Kyle Ball, Arjun Gill, Josh Bueckert et Ryan Kennedy) s’est une fois de plus transformé, au point de défier toute catégorisation. On sait la musique d’une intensité rare, mais il est très difficile de la pointer du doigt en arguant d’une affiliation quelconque.
Prosaïquement, les pistes de ce cinquième LP sont toutes aussi complexes et radicales les unes que les autres. On sent que le groupe est resté sur la lancée et la dynamique de Misery Rites que j’avais porté au pinacle, tout en assombrissant encore plus les influences, pour finalement livrer ce que l’on peut considérer comme l’œuvre d’une vie. Alors que la leur, artistiquement parlant, est loin d’être finie…Epaulés dans leur tâche de déconstruction par le producteur et ingénieur du son Dave Otero (au mixage et mastering), et soutenus par la participation de Ben Hutcherson, guitariste chanteur de KHEMMIS/GLACIAL TOMB sur un morceau (« Mouth of Abolition »), WAKE a cette fois-ci décidé de renvoyer la concurrence dans les cordes de la normalité, et d’agrandir ses horizons au point de ne plus admettre aucune limite ou barrière. Si les débuts Crust n’Grind semblent désormais un vestige du passé enterré sous le chêne de la mémoire, le radicalisme est toujours-là, et même plus présent que jamais. Sauf qu’une fois encore, les canadiens ont décidé d’opérer la synthèse entre toutes les tendances d’extrême existantes, pour forcer le destin et jouer l’amalgame global. Ainsi, dès « Dissolve and Release » on sent l’oppression monter dans son système nerveux, mis à rude épreuve par le premier jet « Kana Tevoro (Kania! Kania!) ». WAKE est toujours Crust, toujours Grind, mais aussi Black, Sludge, Doom, Indus, Blackened Hardcore, Post Hardcore, traumatique, dangereux, vicieux, gravissime, sans compromis, et libre de tout essayer sans choquer personne. A l’image de certains de ses contemporains, dont les NAILS, PRIMITIVE MAN, FULL OF HELL, DILLINGER ESCAPE PLAN, GORGUTS, CONVERGE, CULT LEADER, THE BODY et bien d’autres, WAKE se pose en enfant de la génération plurielle des années 2010 qui ne souhaite plus être restreint à une seule tâche (jouer super vite, jouer super fort, joue super complexe, jouer super glauque), mais qui souhaite explorer toutes les facettes de sa personnalité sans avoir à se justifier.
Ainsi, « Torchbearer », un véritable cauchemar en dédale de plus de dix minutes, qui de sa lourdeur, de son chaos, de son épaisseur, de ses arrangements percussifs, de son chant martelé, de son insistance et de ses brutales déviances de nous persuader du bien-fondé de l’opération. Avec ce morceau, WAKE pose ses conditions et impose sa vision, son charisme noir, laissant Josh Bueckert partir en vrille derrière son kit, nous bousculant de fills incessants, de blasts insistants, de cassures déstabilisantes, se montrant sous un jour incroyablement flatteur et comme l’un des percussionnistes extrêmes les plus capables. Mais occulter le rôle du maître de cérémonie Kyle Ball serait d’une injustice grave. Certes, le vocaliste grogne, harangue, mais de ses intonations survole tout le répertoire bruitiste de ces quinze dernières années, se montrant convaincant dans l’approche Death, ferme sur les hurlements Grind, et imposant dans les rares litanies Doom. Tous ces sous-genres dont les termes sont employés à dessein, pour mieux faire comprendre à l’auditeur que les WAKE ne sont rien d’autre aujourd’hui que l’un des plus grands groupes extrême de la planète, et rien de plus spécifique. Et quel autre groupe serait capable de jouer le Grind de façon aussi Black et Indus, avec discordance, gravité, comme on le constate sur le traumatique « In the Lair of the Rat Kings » ? Du KING CRIMSON passé en soixante-dix-huit tours minute, du Death moderne et expérimental durci au point de fricoter avec son cousin Black sans en avoir honte, avec des breaks Heavy, et à peu près tout ce qu’on peut attendre d’un titre d’exception qui ose les riffs redondants. Parlons des riffs, la plupart du temps, ils servent l’arrière-plan, construisent un canevas à la CONVERGE, pour que la rythmique et le chant explosent les mailles. Ici, c’est la même chose, parfois réduits à leur plus simple expression en répétition de quelques notes (deux ou trois), parfois pas très clairs et malmenés (« Mouth of Abolition »), parfois épurés jusqu’à l’extrême du Chaotic Sludge, avec une variation harmonique infime (« This Abyssal Plain »), ils n’en restent pas moins les serpents qui sinuent entre vos pieds pour mieux attaquer au moment le plus opportun.
Plus qu’un album, Devouring Ruin est une catharsis, le reflet de son époque. Il se termine d’ailleurs par une monumentale fin de non-recevoir, « The Procession (Death March to Eternity) », qui résume à merveille les inflexions et réflexions. Variations, dissonances, oppression ambiante, ralentissements, pour une ultime vision de la noirceur qui nous entoure et toujours ce refus de se cantonner à un seul médium d’expression. De là, les spécialistes se perdront en conjectures, tenteront vaille que vaille de ranger le groupe dans une case si floue que le ridicule finira par les tuer, et les autres apprécieront au contraire le culot d’un quintet qui devient si violent et impressionnant que l’ombre projetée par la concurrence aura tout d’un trou noir aspirant l’énergie. Ne cherchez pas, vous ne trouverez rien d’aussi dense et violent sur le marché, rien d’aussi brutalement intelligent. Un moyen de se réveiller et de se tenir au fait de l’impasse de notre époque. Une abomination lucide, une fin éprouvante et douloureuse. Mais aussi l’avenir de l’extrême, qui ne peut plus se contenter d’une charge unidirectionnelle.
Titres de l’album :
01.Dissolve and Release
02.Kana Tevoro (Kania! Kania!)
03.This Abyssal Plain
04.Elegy
05.Mouth of Abolition
06.Paean
07.Torchbearer
08.In the Lair of the Rat Kings
09.Monuments to Impiety
10. The Procession (Death March to Eternity)
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