Comme je le disais dans une chronique précédente, la mécanique de Frontiers est bien huilée. Trop bien même. Entre deux sorties majeures, des découvertes intéressantes et des comeback plus ou moins valides, le label italien aime étaler des créations maisons, construites autour de deux ou trois légendes de la scène, et d’un chanteur d’une génération plus proche, histoire de voir si la sauce prend et que le béton durcit bien. Cette salve de printemps ne nous épargne pas ce principe maintenant éprouvé, et ce bon vieux roublard de Serafino nous éclabousse d’un nouveau concept pensé autour du talent et de la personnalité de Renan Zonta (ELECTRIC MOB), chanteur puissant et lyrique que Perugino aime beaucoup. Au point de lui coudre un costume de superhéros sur-mesure, et de lui adjoindre les meilleurs sidekicks du marché.
Ainsi, ce cher Renan se voit secondé sur ce premier album de SKILLS par trois lieutenants méchamment capés. On retrouve donc Brad Gillis (NIGHT RANGER) à la guitare, Billy Sheehan (MR. BIG, THE WINERY DOGS, SONS OF APOLLO) à la basse, et David Huff (GIANT) à la batterie, sans oublier le Droopy maison Alessandro Del Vecchio à la production et aux claviers.
SKILLS : une capacité à accomplir une tâche parfaitement, pour l’avoir longuement pratiquée.
C’est ainsi que Frontiers a souhaité baptiser cet énième supergroupe. Mais certains membres de ce supergroupe faisant déjà partie de supergroupes, doit-on y voir un super-supergroupe, aux capacités incroyables ? Avec la présence du monstre de technique Billy Sheehan et du soliste racé Brad Gillis, on serait tenté de répondre par l’affirmative, sauf qu’une fois encore, malgré ses atouts et qualités de départ, SKILLS est frappé du sceau de l’anonymat développé par Frontiers dans la cire de convenances un peu trop respectées.
Si évidemment, la musique est bonne, bonne, mais juste bonne, les performances individuelles noient le concept dans une facilité d’automatismes, impression renforcée par la production agaçante de Del Vecchio, qui une fois encore bride la batterie et aplanit les fréquences. Nous avons donc droit au festival habituel de mélodies destinées à mettre en valeur le timbre vocal d’un vocaliste que l’on souhaite voir monter au front, des tubes calibrés AOR et Hard-Rock mélodique (« Show Me The Way », le plus parfait d’entre eux), une interprétation au biseau évidemment au-dessus de tout soupçon, mais aussi…à un généralisme de surface qui devient très gênant, et pis encore, un nivellement par le milieu d’un line-up qui aurait pu casser la baraque si on ne l’avait pas muselé à ce point.
Avoir un des plus grands bassistes de l’histoire et lui demander de jouer des lignes à la JOURNEY, avoir un batteur phénoménal et l’étouffer dans le mix en mode binaire, et disposer d’un guitariste au vibrato sensible et lui demander de jouer des soli interchangeables, est un crime de lèse-majesté qui ne mérite aucune pitié. Bien sûr, une fois encore, Serafino et Alessandro ont été assez futés pour arrondir les angles et emballer le tout dans une atmosphère de rigueur, mais quel est l’intérêt de faire appel à des telles pointures pour les transformer en requins de studio serviles et appliqués ?
Un seul titre permet de se rendre compte que ces mercenaires n’ont rien perdu de leur acuité. En effet, « Blame It On The Night » permet aux trois musiciens de dégainer leur talent avec pertinence, rappelant les plus grandes heures de MR BIG ou même certains états de THE WINERY DOGS. Mais c’est bien la seule trace d’ADN de Willis, Sheehan et Huff, qui le reste du temps, jouent leur partition bien sagement, laissant Renan Zonta sous la lumière, sans empiéter sur son heure de gloire.
Dans la forme, un album comme Different Worlds est impeccable, ou presque. Trop impeccable d’ailleurs, comme s’il sortait d’une usine à haut rendement qui se moque de l’unicité des projets du moment qu’ils rapportent. Une uniformisation qui est devenue la trademark de ce label qui pond des disques comme une poule des œufs, se moquant bien des spécificités de chaque omelette.
Dans le fond, SKILLS est quasiment une honte en soi. Pourquoi ne pas avoir fait appel à des musiciens de l’écurie, tout simplement, sans avoir à gonfler le CV de quelques noms fameux s’ils ne servent justement que de prête-noms pour attirer le chaland un peu naïf ? Autant les écouter dans leur contexte naturel, et ce genre de projet me pousse à croire que la facilité est de mise en Italie, à l’heure où tant de groupes inconnus mériteraient une exposition à grande échelle.
Alors, certes, j’en conviens, le passage en revue de toutes les figures imposées est agréable, les claviers parfois seventies, quelques soli surnagent et la voix de Renan est sublime, mais l’album tourne en rond, répète les mêmes schémas, ressert encore tièdes des plans connus d’avance, et finalement, nous laisse sur le bas-côté, bien seul au moment de franchir la ligne d’arrivée.
Il serait temps pour Frontiers de changer de plan d’attaque, et de se recentrer sur les groupes qui en valent la peine sans ressentir le besoin d’en créer de toutes pièces.
Titres de l’album :
01. Escape Machine
02. Blame It On The Night
03. Different Worlds
04. Losing The Track
05. Writings On The Wall
06. Show Me The Way
07. Just When I Needed You
08. Need To Fall
09. Stop The World
10. Hearts Of Stone
11. Don't Break My Heart
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