Shoegaze, Blackgaze, Dronegaze. On gaze (accent anglais, please) à tous les étages et en définitive, tout ceci ne définit pas grand-chose si ce n’est que le suffixe « gaze » se met à toutes les sauces. Mais sont-elles bonnes au moins ? Pas toujours, puisque l’affiliation fait souvent référence à des gens se regardant le nombril avec admiration. Aujourd’hui, c’est donc le Dronegaze qui est à l’honneur via le deuxième album de la norvégienne PIA ISA, artiste multicartes qui une fois éloignée de son projet principal SUPERLYNX se concentre sur des textures, des incantations, et des strates qui s’empilent comme des factures sur une table d’entrée.
Pia Isaksen rejoint donc les MYRKUR, CHEALSEA WOLFE dans le petit monde de l’onirisme féminin s’appuyant sur des traditions Folk, qu’elles soient Black, Blues, gothiques, funèbres ou Doom. La comparaison n’est cependant pas objective, puisque l’artiste norvégienne évolue dans un monde très statique, aux mouvements longs et lents, et aux actions s’étirant comme une journée ne voulant pas mourir. Deux ans à peine après Distorted Chants, la musicienne étend donc son champ d‘action, en abordant le problème sous un autre angle. C’est en tout cas ce qu’elle nous dit.
Dissolve s’appuie donc plus volontiers sur des couches de chant, qui se mélangent, qui s’éloignent, et qui finissent par incarner une sorte de prière s’envolant dans l’au-delà. Responsable de la plupart de l’instrumentation, Pia a toutefois pu compter sur l’apport important de Gary Arce à la guitare, et d’Ole Teigen à la batterie, à l’enregistrement, mixage et mastering. Un travail à six mains donc, pour un résultat assez prévisible au vu des inclinaisons de départ.
Et plus qu’un Dronegaze comme l’affirme Pia, Dissolve s’apparente à une sorte de proto-Doomgaze, avec lenteur processionnelle, accents psychédéliques, poussées Rock seventies, et voix désincarnée et atonale qui nous entraine dans un monde de nuages, de fumées, de rêveries lourdes et blessures de conscience à vif.
Autrement dit, ce deuxième long s’adresse à un public particulier, déjà rompu à l’exercice de la répétition et de la pesanteur instrumentale. Difficile en effet de faire le distinguo entre pulsion personnelle et répétitions qui harcèlent, tant les idées se ressemblent pour une œuvre globale qui aurait pu être concentrée en une vingtaine de minutes. Mais lorsque l’énergie daigne pointer le bout de ses joules, sur « One Above Ten Below » à la basse grondante et oppressante, le résultat est plus appréciable, bien que très lié à toutes les autres impulsions.
Que penser donc d’un disque qui prend un malin plaisir à digresser sur les mêmes thèmes, au point de gloser dans le vide ? Qu’il faut s’attacher aux petits détails pour mesurer l’évolution d’une inspiration pas si tarie que ça. Si la structure de base de chaque morceau se répercute sans vergogne, les arrangements tissent patiemment une toile dans laquelle nous venons nous engluer, en bonnes proies que nous sommes. S’il est tout à fait raisonnable de trouver ça répétitif à outrance et difficile à digérer, les amateurs de Stoner, de Desert Rock lourd et de Doom léger se régaleront de ces stances psychédéliques, de ces cassures mélodiques, et de cette voix en incantation nocturne en plein milieu d’une nature hostile.
Déesse antique s’éveillant à la vie sous une lune de lait, prêtresse païenne prônant la liberté et l’évidence d’une société matriarcale, PIA ISA chante comme une muse 4AD échappée de son Angleterre pour aller chercher refuge dans le nord de l’Europe. Loin du spectaculaire, du clinquant, de l’originalité à tout prix, la norvégienne préfère la sincérité d’un Doom Rock subtilement occulte dans le fond, mais terriblement lumineux dans la forme. En envisageant ce disque comme le mantra qu’il est, on supporte plus facilement ses répétitions qui vous font atteindre un état d’éveil cosmique supérieur, sans vous déconnecter complètement de la réalité.
Cette réalité s’articule autour de schémas reproduits à l’identique, qui permettent de broder quelques thèmes mélodiques rachitiques, qu’une énorme basse vient frapper de ses grosses cordes. On aurait certes bien aimé un petit interlude pour faire passer la pilule, ou un titre un peu plus fort, mais en l’état, et avec un peu de complaisance, il est tout à fait raisonnable de confier un peu de son temps à cet album étrange, concentrique et autocentré.
PIA ISA reste donc dans sa zone de confort en confrontant l’unicité du Drone, la rêverie du Shoegaze et l’insistance du Doom. Faussement original mais avec un cachet certain, Dissolve est encore un peu tendre pour rivaliser avec les artistes les plus affranchies, mais permet d’ajouter à la liste des grandes dames au voile noir un nom intéressant.
Titres de l’album :
01. Transform
02. Into The Fire
03. One Above Ten Below
04. Dissolve
05. New Light
06. Emerald
07. Tide
08. Drown Or Float
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