Lundi matin, temps maussade, ciel chargé et pluie éparse. Gouttes de pluie lourdes comme un horizon plombé, et l’humeur part dans les limbes de l’introspection.
Non, inutile de s’allonger sur un divan de psy pour comprendre que les effets de l’automne se font ressentir, mais loin d’en être affecté, je sens une pointe de joie monter jusqu’au cœur.
Contradictoire ?
Peut-être, mais pas vraiment en même temps…
On adapte toujours la musique à son humeur, et lorsque celle-ci est complexe, le choix s’avère difficile. Trop de groupes évidents, qui ne cachent rien et révèlent presque tout, jusqu’à ce qu’on tombe sur quelque chose de vraiment différent. Quelque chose de nuancé, qui s’adapte à la complexité des émotions, l’inextricable du ressenti.
Donc, la Norvège, ses fjords, son histoire musicale unique, et son présent artistique qui perpétue une certaine tradition de la colère et de l’amour. Dualité, contradictions…Concrétiser ça sur un album unique est chose ardue, et pourtant, Kim Christer Hylland, Ruben Aksnes, Odd Erlend Mikkelsen et Viljar D. Sellevold y sont parvenus.
Ces quatre musiciens n’ont jamais vraiment gravité dans la sphère Metal, préférant travailler leur Jazz et d’autres courants de façon discrète. Mais sans qu’ils en comprennent vraiment la raison, ils ont toujours été attirés par la violence instrumentale, la distorsion poussée à l’extrême, et les déchirements rythmiques éprouvants.
Alors…Ils sont partis sur la route avec un groupe de « Rock », découvrant le partage de scène, et suant, saignant et déchirant l’espace, ils se sont rendu compte que leur destin était de jouer une musique complexe et pourtant terriblement humaine, mélangeant leurs émotions et leurs influences dans un même courant, unique bien sûr, vision qu’ils ont mis des années à peaufiner dans la plus grande discrétion pour aboutir à la conception de ce premier LP éponyme.
« Je dois dire que Dreamarcher est le fruit d’un travail d’amour. Leur point de départ était assez violent, et le point de convergence de différents styles et idées musicales. […]…Les pistes vocales découlaient d’un processus collectif, et nous avons donc abordé la chose comme si on s’occupait d’un groupe vocal, et non d’un chanteur unique, ce qui a abouti à cette atmosphère onirique, dans un contexte de riffs très Heavy. »
C’est Ashley Stubbert (PURIFIED IN BLOOD, SLOTFACE) leur producteur qui parle, et en quelque mots choisis, qui définit le mieux la direction étrange qu’a fini par prendre ce groupe aux idées absconses. En citant quelques influences pas si évidentes que ça (DEAFHAVEN, CONVERGE, MASTODON, THE MARS VOLTA, BARONESS, SUN O))), ou A PLACE TO BURY STRANGERS), les DREAMARCHER “déplacent” le contexte et s’autorisent une liberté de création totale.
Et en écoutant les cinq pistes de ce premier album décidemment très atypique, on constate qu’ils ont raison d’ouvrir le champ du possible au maximum de ses éventualités, puisque leur musique bizarre refuse tout cloisonnement trop précis et étroit.
On y retrouve des éléments de Sludge, de Doom, de Post Rock, de Post Hardcore, de Chaotic Core, d’Indie, de Shoeegaze, de Dreamgaze, le tout assimilé dans une structure mouvante qui passe d’une émotion à une autre, comme un être humain normal traverse sa vie en acceptant la règle des épreuves et des joies, des peines, la paranoïa, la crainte et l’apaisement.
Transposition musicale d’une vie commencée au destin à venir ?
C’est tout à fait le genre de formule qui leur sied.
On pourrait ajouter à leur panel de références des noms comme MONO, THE OCEAN, TENGIL, et tant d’autres qui ont préféré ne pas choisir et jouer ce qu’ils ressentaient. Une liberté totale pour un résultat magique, qui frise parfois l’indécence de création tant le potentiel des musiciens est énorme et leur osmose pluriforme et patente.
Plus qu’un album, Dreamarcher est un voyage dans l’inconnu, pas à pas, et qui se dessine comme des montagnes russes d’une existence qui ne nous épargne rien. Entre les lourds riffs qui déchirent l’espoir, les accalmies mélodiques éthérées qui nous ramènent à notre prime enfance, les confrontations entre violence et insouciance, ce premier album est une épreuve sensorielle dont on ne ressort pas indemne, et qu’on découvre comme un passage de l’enfance à l’adolescence, puis de l’adolescence à l’âge adulte.
« Close Your Eyes », exemple parmi quatre autres, propose une entame purement Post Rock, basée sur un riff accrocheur et mémorisable, avant de partir dans une digression sur un Stoner du nord, mécanique et étrange, qu’une voix lointaine balaie du revers des cordes et d’une rythmique acrobatique, symptomatique du passé Jazz des musiciens. L’ambiance se tend, la voix s’écorche, puis le thème Dreamjazz revient de plus belle, les structures s’enchainent logiquement d’un agencement précis, lorsqu’une accalmie grondante à la NEUROSIS interrompt la progression…Percussions sourdes, arpèges économes, mélodie rachitique mais sublime, le tout annonçant un crescendo qui explose dans une violence sourde et contenue…
A contrario, « Beat Them Hollow » s’engage sur une fausse piste Doom vraiment très oppressante, et laisse l’esprit se faire malmener pendant quatre minutes de litanie étouffante, suintant d’un riff unique et d’une pulsion pachydermique, comme un MASTODON qui marcherait au ralenti pour suivre le pas d’un ELECTRIC WIZARD moins embrumé qu’à l’habitude. Et en sa médiane, le morceau appuie encore plus sur la plaie pour sombrer dans un Stoner Sludge poisseux et ombragé, observé du point de vue d’une basse gigantesque et distordue à l’extrême qui parvient sans peine à noyer les riffs dans une mer de tourments. Lorsque soudain les blasts nous balayent d’une rage intense, évoquant un Post Black, la surprise est palpable, et pose en sept minutes et quarante-neuf secondes les jalons d’un disque aussi imprévisible que les sentiments d’un névrosé cyclothymique perméable à tous les stimuli de l’existence.
Joie, espoir, « Impending Doom » en étale sur la tartine diurne d’une journée étonnante, et se fend d’un Post Rock Indie empruntant l’ironie des SONIC YOUTH pour la confronter à l’espièglerie des SMITH ou des JAM. On retrouve d’ailleurs cette ambivalence sur le final « Shadows » qui se perd en conjectures et échappe à toute étiquette, avec sa mélodie de guingois et sa rythmique volubile, aussi JESUS LIZARD que CHARLATANS ou STONE ROSES, pour une fièvre Post Rock chaloupée et striée d’éclairs d’espoir.
« J’ai toujours eu peur d’être abandonné par les gens dont je dépendais. Et bien que je ne ressente plus vraiment cette peur, je pense qu’elle est restée et qu’elle m’a transformé, qu’elle a déteint mon regard sur le monde et la façon de réagir à ce que je vois, ce que j’entends, et ce que je ressens ».
Ruben Aksnes, en quelques lignes très personnelles, dépeint mieux que quiconque le tableau de Dreamarcher que vous allez écouter. C’est un album de peintures émotionnelles mises en musique par un quatuor qui accepte le fait d’être humain, versatile et influençable. Et pourtant, d’une personnalité affirmée. La liberté en quelque sorte, qui peut être remise en question du jour au lendemain.
Titres de l'album:
Bandcamp label (morceau en écoute)
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