Bon, je ne vais pas vous faire un dessin, d’autant plus que je déteste les moutons et que je n’ai pas d’avion. Mais je ne viens pas en costume de lumière vous entretenir de la poésie de Saint Exupéry, mais plutôt en robe de bure à capuche pour vous parler d’un nouvel ensemble venu du Delaware et qui visiblement, griffonne quelques esquisses dont le graphisme morbide vous rappellera certaines planches macabres publiées il y a quelques dizaines d’années.
Mais lorsqu’on choisit de s’appeler SCORCHED et de sortir un premier album baptisé Echoes Of Dismemberment, c’est qu’on a forcément des intentions musicales malveillantes et ténébreuses. Comment s’en convaincre sans laisser planer le moindre doute ?
En lisant les titres des morceaux bien sûr, mais aussi en écoutant ce premier LP, ce qui semble être une chose logique. Et à partir de là, les dernières hésitations subsistantes vont sagement s’enfoncer dans la terre meuble des certitudes d’un cimetière de plus en plus encombré…
Oui les SCORCHED jouent du gros Death Metal, non, ils ne semblent pas avoir tenu compte de l’évolution du style, qu’il se décline en Deathcore, en Techno Death ou en Néo Death scandinave. Leur Metal de la mort pue les entrailles d’origine, celles qui s’éparpillaient sur le sol après l’éviscération du cadavre de la mélodie par les bouchers légistes d’AUTOPSY, GRAVE, UNLEASHED et autres ENTOMBED. Et il n’y a aucun mal à ça, même si l’école Death old-school commence à manquer de bancs pour que ces affamés du riff pas frais puissent y coller leur séant céans.
Formé en 2015 dans l’état du Delaware donc, le quintette ricain (Matt Kapa – chant, Andrew Benenati – basse, Nick Carucci et Steve Fuchs – guitares, Matt Izzi – batterie) a déjà à son actif une première démo qui avait bien éveillé l’attention de l’underground, mais aussi deux participations à deux splits, avec GATECREEPER, HOMEWRECKER, OUTER HEAVEN dans la seconde configuration et PUTRISECT dans la première.
Les émanations toxiques de leur musique semblaient avoir enivré les acteurs critiques de la scène extrême mondiale, et une poignée de webzines de référence ne juraient plus que par eux…
Attention méritée ? A l’écoute de ce premier longue durée qui intervient assez tôt dans leur carrière, ma réponse sera claire et massive, comme leurs chansons. OUI, oui, et oui, les SCORCHED sont vraiment dignes d’intérêt, parce qu’ils parviennent à retrouver les émanations putrides du Death des origines, mais aussi parce qu’ils savent y apporter leur grain de pourriture personnel.
Le constat est donc éminemment positif dans le fond et la forme. Les cinq musiciens savent bien sûr se référer aux sonorités d’époque, mais les adaptent à un contexte moderne, grâce à une production compacte mais étonnement claire, et un art de la composition efficace et légèrement ludique sur les bords. Si la terminologie Gore d’usage ne trompera personne sur les affinités de ces malades de l’embaumement en petites pompes, les compositions des Américains vont beaucoup plus loin qu’un assemblage éculés de clichés extirpés d’un contexte cinématographique horrifique de série B. Bien sûr, les allusions aux films sanglants sont légion, et on sent en filigrane une obsession pour les pellicules les plus malsaines, dans la catégorie si crainte des « video nasties » étiquetées par les Anglais.
Mais musicalement, l’affaire est solide, et se permet même une grosse poignée de riffs beaucoup plus accrocheurs que la moyenne, un peu comme si la paire de guitaristes Nick Carucci et Steve Fuchs avaient intégré la froideur nordique des Hellid et Cederlund dans un contexte de putrescence digne des pires cauchemars de Chris Reifert.
Et l’amalgame fonctionne très bien, la construction insérant de petits interludes instrumentaux assez sombres à intervalles réguliers est très intelligente, et permet de relancer la machine à injection de liquide d’embaumement sans craindre une obstruction du tuyau.
Alors, entre les déluges d’accords ténébreux et glacés, quelques notes de synthé et de piano viennent jouer les prophètes de mauvais augure, et tendent à transformer ce premier album en bande son de l’horreur, comme un film bien tordu se déroulant juste sous nos oreilles.
Techniquement, le travail individuel est bien sûr au-dessus de tout soupçon, et si la rythmique se montre plutôt monolithique, les guitares accomplissent un travail de titan digne d’un abattoir rural tournant à plein régime. Les deux six-cordistes ne sont pas les derniers à proposer quelques accroches rythmiques très futées, en sus de mélodies amères qui contaminent les chairs. Il serait d’ailleurs assez facile de résumer le travail de bouchers post-mortem de SCORCHED au titre « Autopsy Incomplete », qui de son intitulé à son intro, en passant par ses changements d’ambiance et de tempo synthétise tout ce que ces allumés du scalpel peuvent proposer en termes de créativité et d’efficacité.
Lourdeur, oppression, accélérations à la SUFFOCATION, épaisseur à la GRAVE, ambiance délétère à la AUTOPSY, tout est là question héritage, et même plus, puisque les Américains ont salement fait fructifier le legs.
Mais tout l’album en soi est intéressant, et se suit comme un excellent film au déroulement classique, mais prenant. Soulignons de fait l’efficacité outrancière de la fausse ouverture (puisque précédée d’une intro) « Torture Prolonged » qui après une mise en jambes terrifiante et abyssale s’envole doucement au rythme d’un pas pressé qui nous emmène loin dans nos souvenirs d’un GRAVE époque Into The Grave, ou, à contrario, la folie démesurée de « Craving Human Remnants » qui cavale de quelques blasts se prolongeant dans une attaque véloce à la ENTOMBED plein régime.
Gravité donc, mais avec quelques nuances infimes assez perceptibles, que le final « Fluorescent Hell » met en exergue de ses arpèges pourrissants, ou que « Rot In Confinement » propulse de sa démarcation OBITUARY/SUFFOCATION assez prononcée.
Quelques lacérations plus effectives qui laissent de sales cicatrices (« Scorched », puzzle rythmique aux nombreuses pauses étouffantes), beaucoup de grognements efficaces qui évitent les stéréotypes stériles de plantigrades à peine agacés, des riffs malins comme des mises en bière un samedi matin, pour un bilan en forme de constatation d’un succès indéniable.
La mort est une fin en soi, pour tout le monde, et pourtant, les SCORCHED parviennent à en faire une sorte de début, tout du moins d’initiation.
Je ne parle pas ici de chamboulement de l’ordre naturel des choses, mais d’une façon de les aborder sous un point de vue différent.
Echoes Of Dismemberment charcutera avec plaisir les ouïes des maniaques d’un Death old-school humant bon la déliquescence du linceul, mais séduira aussi les jeunes fans d’une crudité plus moderne, qui recherchent aussi la pertinence mélodique et la franchise morbide.
Le meilleur des deux mondes, pour une célébration de la noirceur en éventration majeure. Ah, et en plus, la pochette est superbe. Tout ça devrait vous suffire je pense…
Titres de l'album:
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