Consciemment, inconsciemment, directement, indirectement, il est assez impressionnant de constater le nombre de groupes que BLACK SABBATH a influencés. Tiens, j’en prends quelques-uns comme ça à la volée. ST VITUS, SOUNDGARDEN, ALICE IN CHAINS et TYPE O NEGATIVE. Vous noterez avec un peu de malice que deux sont certainement employés à dessein dans cette chronique…En effet, lorsqu’on apprend que SILVERTOMB a été fondé par Kenny Hickey and Johnny Kelly, deux ex-TYPE O, et deux ex-SEVENTH VOID, il n’est pas incongru de dresser des comparaisons évidentes, tant la musique proposée par Edge of Existence se rapproche dangereusement des exactions verdâtres de leurs anciens combos, et spécialement celles menées par feu Peter Steele. Et si le géant vert vous manque autant qu’à moi, nous, et eux, alors je ne saurais que trop vous conseiller de jeter une oreille sur ce premier LP, qui sans reprendre exactement les mêmes recettes, s’abreuve à la même source originelle des seventies. On retrouve aussi le côté Hardcore des débuts de TYPE O, via la présence de Joseph James (AGNOSTIC FRONT, INHUMAN), le tout saupoudré d’une touche de légèreté avec la prise en charge des claviers par Aaron Joos (AWAKEN THE SHADOW, EMPYREON). Alors, supergroupe SILVERTOMB ? Dans les faits, c’est indéniable au vu du pedigree des musiciens impliqués, et pourtant, à l’écoute de cette musique, il est difficile de concevoir le projet comme une simple association de mercenaires en mal de reconnaissance. D’abord, parce que la carrière de Hickey et Kelly parle d’elle-même. En deux groupes, les deux hommes/amis ont balisé une passion, qui s’est formalisée autour d’un amour inconditionnel pour les sons anciens et sombres, pour la lourdeur poignante et la profondeur sincère. Ensuite, parce que les chansons offertes par ce nouveau projet suintent de franchise, et ne misent pas simplement sur un passé glorieux pour s’ouvrir un avenir clément. Et si les recettes employées sont d’usage depuis longtemps, et au moins depuis le premier LP de BLACK SABBATH, elles sont ici adaptées à un vécu qui n’a rien d’un scénario commercial.
Avec Edge of Existence, Hickey touche en plein cœur, le sien, et le met à nu. Il nous parle de ses addictions, de ses amours, de sa relation ténue avec le suicide, et de la perte de son ancien ami/leader Steele. Il ouvre donc son âme, et nous en livre les états, qui ma foi, ne sont pas de la première gaieté. Pourtant, il exsude de ce premier album une tendresse infinie pour la vie, qui se matérialise autour de mélodies nostalgiques, de longues complaintes pleines de sens, et qui s’articule dans une dualité lourdeur/légèreté, comme le prouve le hit naturel « Not Your Savior ». On y reconnaît l’utilisation d’une rythmique appuyée si chère à TYPE O, mais aussi les harmonies que SOUNDGARDEN utilisait sur ses deux derniers albums, pour créer des textures évanescentes, et terriblement concrètes à la foi. Mais tout ça ne doit pas faire oublier que depuis le crash de TYPE O, Kenny et Johnny ont parcouru du chemin ensemble, au travers de l’expérience SEVENTH VOID, et que leur personnalité s’est accoutumée à l’absence, et au besoin d’exister par eux-mêmes. Inutile donc de chercher dans cet album une sorte de retour en arrière et de fascination morbide pour un hier qui n’a plus lieu d’être, même si l’ombre de Steele plane bas au-dessus de certains morceaux. Ainsi, « One Of You » aurait parfaitement eu sa place sur un album posthume, sans la voix de Peter remplacée habilement par celle de Hickey, mais un album posthume intelligent, et tout sauf opportuniste, qui aurait profité d’une connaissance approfondie de la vague NOLA des DOWN, CORROSION OF CONFORMITY. Beaucoup de pesanteur donc, mais aussi du groove, et finalement, un disque qui s’appuie sur trois ou quatre décennies d’apprentissage pour proposer non de nouvelles pistes, mais un résumé poignant de nos années Heavy Metal.
Et avec cette pochette conçue par les deux géniteurs du projet, en référence aux posters sci-fi des années 70, le ton est donné. Edge of Existence ne sera rien d’autre qu’un regard en arrière, une sorte de constat temporel personnel musical et émotionnel. Et lorsque Hickey martèle le mantra « suicide » sur « Right Of Passage / Crossing Over », nous n’avons aucun mal à être convaincus de son implication dans le sujet tant le mot prend une connotation glaçante entre ses lèvres. C’est certainement pour ça, et quelques autres raisons aussi, que ce premier album sonne si authentique, et fragile. Fragile, car les harmonies font constamment trembler les fondations rythmiques sur leurs bases, ces mélodies subtiles que la guitare initie mais que les claviers transcendent. Ces claviers manipulés par Aaron Joos qui ont permis au tandem de base de revisiter d’anciens morceaux pour les adapter à une vision commune, et dont Hickey dit qu’ils ont permis au concept de franchir une frontière supplémentaire. Le parallèle serait bien sûr facile à dresser entre SILVERTOMB et TYPE O, en se souvenant de l’apport incroyable de Josh Silver qui sans édulcorer les riffs, parvenait à les métamorphoser en les allégeant d’un trop plein de gravité. Ici, la gravité est reine et domine les débats, de l’entame « Insomnia / Sunrise » jusqu’à « Eulogy / Requiem », introduction et clôture qui sont évidemment intimement liées, et symptomatiques d’une philosophie de souffrance dans la guérison, et de plaisir dans l’abandon, cet abandon qui permet au Doom de s’unir au Post Grunge, et de relier le SAB, TYPE O et SOUNDGARDEN, trois groupes aux points plus que communs finalement. Le chant de Hickey a gagné en maturité bien sûr, ce qui lui permet même parfois de s’adapter à des lignes mélodiques héritées des BEATLES et des LA’S (« Eulogy / Requiem »), mais sa guitare est toujours aussi convaincue de l’importance de la puissance, se déchirant sur le trépidant « So True » pour mieux casser le schéma sans trahir les convictions.
Avec un fil rouge évident, qui cite les LIFE OF AGONY, ALICE IN CHAINS (« One Of You »), qui se souvient avec émotion de Peter et Chris (« Love You Without No Lies »), un pré-final en boucle clin d’œil d’acoustique tendre et doucereuse (« Sleeping On Nails And Wine »), avant la conclusion totalement inattendue de « Waiting », le hit acoustico-électrique de l’album, Edge of Existence se montre cohérent, mais ne souhaite pas se voir enfermé dans une petite case de Post Doom commercialisable et rentable. On sent derrière le projet global une réelle envie de chérir le souvenir d’êtres perdus, mais aussi de célébrer la vie sans occulter l’inéluctabilité de la mort. Une tendance à glorifier le passé sans craindre le futur pour autant. Et mieux que ça, une belle musique, riche et pleine, certes un peu monolithique parfois, mais qui parvient toujours à susciter chez l’auditeur les émotions qu’elle dégage elle-même.
Titres de l’album :
01. Insomnia / Sunrise
02. Love You Without No Lies
03. So True
04. Not Your Savior
05. One Of You
06. Right Of Passage / Crossing Over
07. Eulogy / Requiem
08. Sleeping On Nails And Wine
09. Waiting
!!!
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