Combien de fois vous-ai-je dis que TOUT ce qui provient de Portland, Oregon est dangereux ? Hum ? Combien de fois vous ai-je alerté sur la vilénie de la scène locale, qui en matière de Hardcore, de Noise et d’extrême en général donne systématiquement une leçon à l’Europe et au reste des Etats-Unis ? Alors inutile de jouer l’étonnement lorsque vous poserez vos délicates oreilles sur le premier album des locaux de DECREPISY, car elles risquent de morfler comme aux plus sombres heures des bombardements de la seconde guerre mondiale. Visiblement enregistré dans un vieux bunker abandonné, ce premier longue-durée de cinq morceaux seulement donne le sentiment d’être un écho venu de la fin des temps, mais aussi d’un passé pas si révolu qui avait transformé les nineties en charnier géant.
Fondé en 2020 par Kyle House (VASTUM, ACEPHALIX), DECREPISY est le genre de créature difforme qu’on ne souhaite pas rencontrer la nuit sous un tunnel sombre aux murs suintant la peur. Voulu comme un hommage au Death le plus violent, le plus nauséabond et le plus grave des années 90, ce projet unissant aussi les talents de fossoyeurs de Jonathan Quintana (THANAMAGUS, RITUAL NECROMANCY) aux guitares, Tim Lower (HELLGRAZER, GRAVE DUST) à la basse, et Charlie Koryn (ASCENDED DEAD, FUNEBRARUM) à la batterie n’est rien de moins qu’un hommage sentant la mort à plein nez, et en restituant les effluves avec une générosité sans pareille.
Partagé entre trois labels selon les formats (avec Life After Death and Seed Of Doom s’occupant des vinyles et tapes), Emetic Communion est une plongée dans les enfers personnels de quelques cadors de la scène, IMMOLATION, SUFFOCATION, GRAVE, CONVULSE, mais aussi GNAW THEIR TONGUES parfois, et quelques autres aux intentions des plus désagréables pour le corps et l’esprit. Envisagé comme une visite guidée des cryptes les plus légendaires du Death Metal, ce premier album n’en est pas moins très personnel dans l’approche, puisqu’il ne propose que cinq pistes, dont trois dépassant allègrement les sept minutes, avec un pic à dix.
D’ailleurs, tout commence par un formel et sentencieux « Dissipating Form », qui ne laisse planer aucun doute sur les intentions malveillantes du quatuor. Intro rampante et grondante, graves en avant, lourds coups de cymbale, guitare monolithique en linceul mélodique, tout est en place pour une descente des escaliers de l’horreur, et lorsque le thème principal vient nous bousculer les neurones, la joie de vivre s’est fait la malle depuis fort longtemps.
Mais DECREPISY ne se contente pas de plomber l’ambiance, il la déchire en mille morceaux, et nous empeste les naseaux auditifs d’une odeur de mort qui s’incruste dans le cœur et les poumons, comme au temps béni d’INCANTATION et ses formules magiques diaboliques. C’est lourd, voire écrasant, ça mixe MORBID ANGEL et SUFFOCATION, et finalement, ça vous étrangle d’une étreinte dont on ne peut s’extirper, jusqu’à aspirer votre dernier souffle. Ayant très bien compris les impératifs d’un album de Death sourd, malsain et putride, le quatuor de Portland fait horreur à sa ville et à son état en poussant tous les paramètres au paroxysme de leur rendement. Semblant reprendre à son compte les vieilles recettes moisies d’AUTOPSY en osant aller encore plus loin que ce cher Chris Reifert, Kyle House domine de sa voix néandertalienne cet instrumental qui s’offre une dualité statisme/évolution assez intéressante.
Les passages écrasants et suffocants succèdent donc aux accélérations fulgurantes, et les sifflantes, licks aux harmonies acides, et autres cassures nettes nous empêchent d’atteindre une quelconque zone de confort. C’est évidemment très formel dans la forme, mais le fond, créatif dans la déférence, nous offre autre chose qu’un simple exercice de style old-school périmé d’avance.
J’en tiens pour preuve l’éprouvant et progressif « Abbatoir of Sorrow », à peu près aussi gai qu’un premier jet de BLACK SABBATH revu et corrigé par diSEMBOWELMENT, et qui pendant plus de dix minutes traîne sa misère funèbre le long des couloirs hantés du cimetière Death Metal le plus décati, aux tombes encore ouvertes.
C’est donc très vilain, enregistré de façon à supprimer tout aigu de l’équation, animé par un esprit revanchard mais respectueux, et on déguste ça comme on dévore une grosse pièce de bœuf saignante, au léger fumet faisandé, qui laisse une sensation de charogne dans la bouche. Le combo a beau bouffer à tous les râteliers, emprunter des riffs au répertoire classique du genre, et oser utiliser la gravité et la lourdeur au maximum de leurs possibilités, l’effort n’en est pas moins remarquable, et certainement l’un des albums Classic Death les plus convaincants de cet été morose.
Titres de l’album:
01. Dissipating Form
02. Emetic Communion
03. Embodied Decomposition
04. Abbatoir of Sorrow
05. Anxiety Womb
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