Eminence

Passéisme

11/06/2021

Antiq Records

Le label angevin Antiq a toujours eu le don pour dénicher de petites perles. Ayant déjà eu plusieurs fois affaire à leurs protégés, je sais d’instinct que la moindre de leur sortie mérite une attention particulière. Avec une écurie abritant des poulains sauvages de la trempe de CREATURES, BRAQUEMARD, HANTERNOZ, REGIMENT ou VEHEMENCE, pour n’en aborder que quelques-uns, le label peut s’enorgueillir de promouvoir la culture Black Metal sous toutes ses formes, qu’elle soit abordée sous un angle puriste et violent, Folk et chantant, ou plus avant-gardiste et créative. Aujourd’hui, c’est en Russie que la maison de disques nous emmène, pour y rencontrer un trio résolument à part sur la scène. Originaires de Nizhny Novgorod, les PASSEIME et leur baptême évoquant notre belle France pratiquent donc un BM d’obédience multiple, très brutal dans le fond, mais ciselé dans la forme et perméable à nombre d’influences allant du Heavy lourd et emphatique jusqu’aux tonalités Folk plus délicates. Avec ce premier album, le trio pose donc des bases qu’on avait remarquées à l’occasion d’un premier split partagé avec les DAGOR BRAGOLLACH et KPAX, mais développent plus largement leurs théories pour accoucher d’une œuvre terriblement homogène, aux reflets complexes.

Décomposé en sept chants, Eminence propose donc une vision assez formelle du BM de l’est, avec toujours ces racines qu’on retrouve le long d‘harmonies circulaires, plaquées sur une rythmique impitoyable et un instrumental qui n’est pas sans rappeler la cruauté des 1349. Ainsi, KK (basse/chant), AV (batterie) et IM (guitare) proposent en trente-six minutes de faire le tour de leurs influences, et de savourer une tranche de violence très intelligemment tartinée de nuances.

Le principe est simple, et chaque chant suit une ligne de conduite édictée par son titre. Avec six morceaux plus ou moins courts et un épilogue de plus de dix minutes, les russes construisent leur progression avec beaucoup d’efficience, et si « Chant for Tribulation » se montre aussi rude qu’un hiver nordique, les cassures sont déjà en place, et les digressions aussi. Le chant particulièrement impressionnant de KK permet d’accentuer ce sentiment de pression qui anime tout l’effort, mais c’est aussi le formidable travail d’AV à la batterie qui permet de valser dans les couloirs du temps, le batteur se permettant des figures particulièrement acrobatiques pour donner aux morceaux le relief qu’ils exigent. Alors, évidemment, les riffs se montrent sous une nuit de pleine lune traditionnelle, laissent une part de mélancolie conséquente, mais les multiples accélérations, les cris rauques d’un vocaliste au coffre profond, et cette basse qui sinue entre les obstacles créent un sentiment de bousculade permanente, comme un voyage sur une vieille route qui n’épargne ni les suspensions ni les voyageurs.

A l’inverse, « Chant for Harvest » choisit la quiétude relative d’une mélodie très Folk, souillée de chœurs abominables et collégiaux. Impeccablement produit pour occuper tout l’espace, Eminence est un album très ample et très dense, qui ne laisse aucune place à l’approximation. Il faut bien sûr aimer son BM légèrement teinté de mélodies traditionnelles, et se laisser soudainement emporter par un accès de cruauté, mais cette alternance et ces contrastes sont le point fort d’un travail qui refuse la facilité des travaux les plus linéaires, même si le classicisme a encore une grosse voix au chapitre. Les PASSEIME se montrent même à l’aise en terrain médium, proposant un catchy « Chant for Insolence », écrasé d’un rythme monstrueux et d’un riff extrêmement redondant, prouvant que le trio est capable de lâcher des gimmicks accrocheurs pour attirer le chaland dans ses filets.

Le déroulement est donc passionnant, avec toujours des surprises sur le chemin, comme cette intro dantesque sur le monstrueux « Chant for Parade », monument chaotique qui pulvérise tout à des lieues à la ronde, ou cet interlude superbe « Chant for Splendour », d’une acoustique pleine de pureté (et chanté en français, sur un thème à la ANGE), qui nous prépare dans le calme à la dernière étape du voyage.

Cette dernière étape est évidemment le long et progressif « Chant for Enlightenment », acmé d’un disque intense au rythme soutenu, et dès ses premières secondes, le morceau boucle la boucle et fait le lien avec l’entame « Chant for Tribulation ». On y sent du MAYHEM post-reformation, avec une technique affutée et une ambition affichée, mais une fois encore, PASSEIME ne se contente pas d’une resucée habile, et joue avec les BPM, la répétitivité des riffs, pour instaurer une ambiance totalement hypnotique. Coupé en son milieu par un intermède encore une fois très subtil et empreint de seventies bucoliques, mais élaboré comme un crescendo de violence nous laissant à genoux, cet épilogue est assurément la grosse réussite d’un album qui s’impose par le talent, et non par la facilité. Nouvelle et belle signature pour les angevins d’Antiq, qui prouvent que le nombre de sorties leur importe moins que leur qualité.  

      

                                                                                                                                                                                                        

Titres de l’album:

01. Chant for Tribulation

02. Chant for Harvest

03. Chant for Austerity

04. Chant for Insolence

05. Chant for Parade

06. Chant for Splendour

07. Chant for Enlightenment


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par mortne2001 le 07/06/2021 à 14:59
85 %    870

Commentaires (1) | Ajouter un commentaire


Jus de cadavre
membre enregistré
15/11/2021, 11:20:07

Je viens de découvrir ce chef-d’œuvre. L'album de l'année (et plus encore) et de très loin. Quelle baffe, quelle intensité bordel ! Putain que c'est bon de se faire surprendre comme ça quand parfois tu n'attends plus grand-chose. Commandé sur le champ. Merci à Antiq de dégoter de telles pépites.

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