On en revient à cette question, souvent, toujours. Un fou sait-il qu’il est fou ? Vous noterez que j’emploie le terme « fou » à dessein, de façon totalement politiquement incorrecte pour grossir le propos et caricaturer la problématique, le terme de maladie mentale couvrant un spectre trop large. La folie résulte souvent d’un trauma émotionnel lourd, qui entraîne une altération de la perception, une distorsion des sens et des émotions, une amplification du ressenti, la réponse parait claire. Un schizophrène ne sait pas qu’il se partage entre plusieurs personnalités, tout comme un maniaco-dépressif ne sait pas qu’il exagère les agressions dont il est victime. De même, le temps ne défile pas de la même façon selon votre pathologie. Pour certains, il est figé, inamovible, comme un point sur lequel l’obsession reste fixe, tandis que pour d’autres, il n’est qu’une boucle qui se répète inlassablement. La réponse est donc claire. Non, un fou ne sait pas qu’il est fou, puisque sa perception des choses lui semble normale, sa réalité étant différente de celle imposée par la norme du plus grand dénominateur commun. Partant d’un même processus de réflexion, un génie sait-il qu’il est un génie ? Certains qui n’en sont pas, en sont persuadés. Mais de la même façon, un brillant chercheur ne se croira pas au-dessus de la masse puisque son intelligence lui permettra de comprendre des choses que le commun des mortels ne voit que comme un puzzle de données inextricable. C’est la fameuse théorie « ABCD ». Une personne douée et talentueuse ira de A à D en passant par B et C, c’est ce qu’on appelle la déduction, fondement de l’intelligence. Le génie lui, ira directement de A à D, sans passer par B et C, puisque la conclusion lui apparaitra comme une évidence. De ce point de vue-là, osons le dire, Devin TOWNSEND est un génie. L’a-t-il toujours été ou l’est-il devenu, nous ne le saurons jamais, mais il a réussi durant sa carrière à éviter le piège de la facilité pour éviter les poncifs, et toujours avoir un temps d’avance créatif sur les autres. Il a été plus violent et grandiloquent que la majorité des groupes extrêmes avec son projet STRAPPING YOUNG LAD, plus drôle et ludique que n’importe qui avec ses dessins animés pour les oreilles Ziltoïd et Infinity, plus pur et zen que n’importe quelle bande-son de méditation en travaillant sur la quiétude de Terria et Ocean Machine, en phase avec la vie, et toujours fidèle à lui-même. Mais comme tous les vrais génies artistiques (musicaux pour baliser, Paul McCartney, Brian Wilson, Syd Barrett, Frank Zappa…), il est souvent tombé dans la complaisance, persuadé que la moindre de ses idées avait une importance cruciale. Il a donc glissé sur la dangereuse pente de la surproduction, nous assénant des œuvres toujours plus plurielles à un rythme de dément, laissant parfois traîner de petites choses superflues sur la partition, indignes de son talent. Pour la simple et bonne raison que pour un type de cette trempe, un long instrumental Ambient est aussi pertinent qu’une Pop song de trois minutes bourrée de cœurs célestes, de parties de guitare stratosphériques, et surtout, aussi facile à composer.
Mais comme tout répond à un cycle, il fallait bien qu’un jour le bonhomme se recentre, se concentrant sur l’essentiel, et surtout, marque une pause dans sa diarrhée créative qui allait foutre en l’air son système de digestion artistique.
Nous étions sans nouvelles de lui depuis quelques années, ce qui en langage Townsend devient vite des siècles, et commençait à nous inquiéter. Rien depuis le notable Transcendence en 2016, soit trois ans de silence total, ce qui dans le cas de notre canadien préféré avait de quoi donner des sueurs froides. Alors quoi, une retraite anticipée ? Une panne d’inspiration sans fin, ou alors, au contraire, une surprise de taille à attendre capable d’excuser les débordements de live accumulés sur la table, d’albums de plus en plus longs et pas forcément épiphaniques, de private-jokes que même les fans commençaient à trouver moins drôles ? Rien de tout ça, et plus encore. Devin l’avait dit, il était temps de dissoudre son groupe qui n’avait plus rien de probant à proposer, se retourner sur son passé, et redevenir ce musicien incomparable qu’il a toujours été. Alors, le solo. Terme terrible pour un homme capable de tout faire mais qui n’aime rien de plus que s’entourer d’amis et de pointures pour donner corps à ses visions uniques. Mais le solo dans le cas de Devin est souvent une façon de revenir aux bases, et de ne plus faire preuve de facilité dans la composition. On sait les plus grandes œuvres accouchées dans la douleur, ce qui n’est assurément pas le cas d’Empath. L’empathie si chère au musicien qui ne voit le salut du monde qu’à travers l’abnégation, le partage, le plaisir de communiquer, et qui devait formaliser sa nature au travers de chansons exprimant tout ce sens de l’oubli de soi au travers de la musique. Un don ce nouvel album ? Oui, il est tout à fait possible de le voir comme ça, loin des démonstrations de force sincères, d’empilement de couches humble, d’étalement des capacités involontaires qui en ont fait l’artiste le plus chéri et le plus pardonné de notre nouveau siècle. Et sans vouloir mériter ce statut à nouveau, car là n’est pas son intention, Devin nous avait aussi averti que son nouvel album ne défricherait pas de terrain, et qu’il se contenterait de fouler à nouveau les terres du passé, pour mieux avancer vers l’avenir. Et comme le mensonge ne fait pas partie de son vocabulaire, il nous avait dit la vérité. Et du coup, Empath réussit le miracle d’être l’un des meilleurs albums de Devin tout simplement parce qu’il n’est pas son meilleur album, et de loin. Mais il pourrait l’être, car il est le plus dense, le plus hétéroclite et pourtant le plus concis de tous, ou presque. Il revisite tous les thèmes déjà abordés par le canadien, citant les chapitres les plus essentiels de sa carrière, en les traduisant dans un vocable d’aujourd’hui. Car peut-être que pour Devin, le temps n’est pas une ligne, ni une boucle, mais un peu des deux à la fois. Est-il fou pour autant ? La question n’a aucune importance, puisque les génies sont souvent plus proches de la folie que n’importe qui.
Au regard du tracklisting, avant d’aller plus loin, on se sent comme rassuré. Dix chansons seulement, jusqu’à ce que le temps (une fois encore) nous ramène à la réalité distordue. Dix morceaux oui, mais un de plus de onze minutes, et une mini suite opératique finale en six mouvements de près de vingt-cinq minutes, pour un opéra personnel plus touchant, ludique et créatif que pas mal de ses derniers efforts. Avec Empath, Devin n’a aucunement renié son talent et ses facultés à dresser des murs de son plus hauts que ceux de Phil Spector, n’a pas remisé sa facilité à passer du coq à l’âne en sautant d’une case cartoon à un décor de tragédie spatiale en un claquement de riff, il a juste concentré sa concentration, et épuré son travail de toute scorie inutile. Dans les faits, Empath ne propose rien de plus que ce que Terria, Synchestra, City, Addicted ou Ocean Machine ont déjà proposé, mais il en représente une sorte de point de jonction magique, comme un reader’s digest à l’attention des néophytes, trop effrayés de devoir se taper une discographie pléthorique pour comprendre les tenants et aboutissants. Mais il s’adresse aussi à nous, ses fans de toujours, en multipliant les clins d’œil, les références, en bourrant ses titres de copiés/collés plus amusants qu’un jeu de piste, et dont je ne dévoilerai aucune surprise ici puisque vous les trouverez très bien vous-même. Aussi orchestral que n’importe laquelle de ses extravagances (et même plus parfois, merci à certains guests), aussi violent que n’importe quelle ruée dans les brancards de STRAPPING, et parfois, les deux en même temps (« Hear Me », appel indirect à la compréhension que la violence et la quiétude cohabiteront toujours chez lui sans avoir à provoquer de clash), des invités qui font passer le casting d’un nouveau produit hollywoodien ambitieux pour un film indépendant à cinq mille dollars (Mike Keneally, ex-ZAPPA à la direction artistique, Morgan Ågren (ZAPPA /FREDRIK THORDENDAL), Anup Sastry (MONUMENTS) et Samus Paulicelli (DECREPIT BIRTH) à la batterie, Steve Vai, Chad Kroeger, Anneke Van Giersbergen et Ché Aimee Dorval, et on s’arrêtera là, une liste exhaustive ne servant à rien), et évidemment, cette production toujours aussi gigantesque, cathédrale sonore protégeant le moine des turpitudes extérieures.
Loin de moi l’idée de vous dévoiler les pics d’inventivité de tel ou tel morceau, le but du jeu dans le cas de TOWNSEND étant justement de les trouver par soi-même, les goûts et les (nombreuses) couleurs étant trop différents. Sachez simplement que parfois, l’homme cède pour quelques secondes au corny le plus gluant pour mieux imposer des fulgurances de brutalité (« Why ? », le truc le plus improbable et enfantin qu’il nous a pondu depuis très longtemps, sorte de final en climax de dessin-animé pour adultes à la « Good Night » des BEATLES revu et corrigé Buena Vista), qu’il cherche toujours à repousser les limites d’un Heavy Metal qui n’est qu’une partie de son univers (le dansant et bondissant « Genesis », qu’on aurait pu trouver quelque part sur sa fameuse tétralogie), qu’il aime toujours tartiner ses chansons de chœurs dégoulinants, de miaulements de chatons, de coupures intempestives, de riffs lunaires, et qu’il se laisse parfois aller à la déconstruction fantomatique la plus incongrue pour parvenir à des/ses fins que lui seul connaît (« Singularity », son medley à la Abbey Road à lui, qui comme ses modèles contient autant d’allusions, de coupes de bandes, d’idées incomplètes, de trouvailles extra-terrestres et de…génie).
Génie ? Le mot revient encore une fois, mais cette fois-ci, Devin, avec Empath, prend la forme d’un génie bienveillant, aux intentions plus modestes. Il avance sans bouger, il progresse en regardant en arrière, et ne propose rien de réellement novateur. Juste une synthèse de tous ses dons, une carte de son territoire un peu moins foutoir que le puzzle de sa discographie. Parce que les fous ne savent pas qu’ils sont fous, ni qu’ils sont différents, et inversement. Et pour une fois, on s’en fout. Parce que plus on est, plus on rit. Et Empath étant aussi drôle que profond, aussi apaisé qu’extraverti, aussi timide que fort en gueule, la schizophrénie n’a jamais paru seule alternative à une réalité chiante qu’aujourd’hui.
Titres de l'album :
1.Castaway
2.Genesis
3.Spirits Will Collide
4.Evermore
5.Sprite
6.Hear Me
7.Why?
8.Borderlands
9.Requiem
10.Singularity
I. Adrift
II. I Am I
III. There Be Monsters
IV. Curious Gods
V. Silicon Scientists
VI. Here Comes the Sun!
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