Avoir des nouvelles d’un groupe qu’on aime à la folie une fois tous les dix ans ou plus, c’est comme croiser sa bien-aimée sur le quai de la gare de la vie toutes les décennies. Une frustration ultime, une plaie béante, un sentiment de manque et un désir contrarié qui reste inassouvi provoquant des réactions épidermiques de tristesse. Alors, à chaque rencontre, heureusement prévue bien en amont, on a peur. Peur de ne plus la reconnaître, peur que les sentiments aient changé, peur que la magie n’agisse plus et qu’on fasse face à une sorte d’inconnue que l’on a chérie avant, et qui aujourd’hui ne suscite plus qu’un vague sentiment de déjà-vu dénué de passion. Une énorme déception vous attend toujours au tournant quand le temps agit comme une punition, et depuis 2010, nous autres énamourés d’HEATHEN et de son Speed Thrash magique, avons largement eu le temps de ruminer notre peine et d’attendre dans l’ombre que notre groupe fétiche daigne se montrer enfin sous un jour aussi flatteur que celui de ses trois premières visites. En tant que fan assumé et totalement subjectif, j’avoue être immédiatement tombé sous le charme du gang de la Bay Area, un samedi matin de l’année 1987, en découvrant Breaking the Silence chez mon disquaire. Entendre ces rythmiques franches, ces mélodies de guitare prononcées, ces accès de violence soudains, sans que personne ne fasse allusion à HELLOWEEN, fut un délice dont je n’ai que très rarement retrouvé la saveur depuis. Sauf évidemment sur les deux albums suivants du groupe, le magique et progressif Victims of Deception et le miracle The Evolution of Chaos. Alors, lorsque les rumeurs d’un quatrième chapitre ont commencé à se répandre comme des volutes de parfum à minuit, mon sang n’a fait qu’un tour et mon cœur a battu la chamade. Certes, après avoir posé mes oreilles conquises sur les premiers extraits, mon enthousiasme légitime a laissé place à une circonspection assez logique, au regard de l’orientation prise par le groupe. Mais à époque exceptionnelle, méthodes exceptionnelles, et il me fallait admettre l’évidence incontournable : mon groupe fétiche avait changé, et pour cause.
Pour cause d’emploi du temps chargé et multiplication d’implications dans des groupes externes (EXODUS évidemment), le rôle de principal auteur de ce comeback inespéré a été confié au guitariste Kragen Lum. C’est lui qui a donc donné son ton à l’album qui présente un visage légèrement modifié, et une structure qui ne respecte pas vraiment la tradition initiée par les californiens depuis leur première démo. Exit les longs morceaux envoutants à ambiance, exit les longues suites progressives et mélodiques qui nous entrainaient aux confins du génie évolutif, et bonjour l’immédiateté, la concision, la violence directe, et l’efficacité de front. Avec une bonne moitié de l’album déjà prête aux alentours de 2014, le répertoire frais ne l’est plus tant que ça. Mais après ces débuts tonitruants qui laissaient augurer d’une sortie bien plus précoce, le groupe a connu une période de statu quo, et la mise en application a fait soudainement du surplace. Logique, puisque Kragen et Lee Altus avaient leurs obligations live à honorer avec EXODUS, et des tournées à assurer. De fait, entre ces obligations et les diverses autres embuches, Empire Of The Blind n’a pu voir le jour qu’en cette terrible année 2020 qui a mis la musique live complètement KO pour le compte. Ajoutez à ça le départ du bassiste Jon Torres (décédé en 2013, RIP) et du batteur Darren Minter, et vous comprendrez pourquoi cet album a tant tardé à nous arriver, comme un train qu’on attend et qui accuse des heures de retard. Mais ici les heures se comptent en années, et sont à prendre en compte au moment de juger de la qualité d’un disque qu’on osait espérer à la hauteur des frustrations, le droit à l’erreur n’étant pas forcément pardonné avec plus de complaisance eu égard aux circonstances qui ont entouré sa conception. Certes, j’en conviens, avec une section rythmique complètement renouvelée, un compositeur se faisant les dents sur la légende, il eut été inutile d’espérer une resucée de The Evolution of Chaos malhabile qui n’aurait trompé personne, mais qui aurait rassuré les fans les plus attachés au passé. Et finalement, en faisant bifurquer son groupe d’adoption depuis 2007, Kragen Lum a pris la bonne décision, et assume totalement ses choix. Et le HEATHEN nouveau de se montrer sous un jour beaucoup plus simple, concis, et brutal. Plus Thrash en somme.
Je ne le cache pas, et je vais jouer l’honnêteté, ce qu’on devrait toujours faire à l’égard des groupes qu’on respecte. La première écoute d’Empire of the Blind fut désastreuse au point de me demander si TESTAMENT et EXODUS n’avaient pas fait cause commune pour synthétiser leur parcours respectif contemporain en un seul album partagé. Absence totale des stimuli habituels, expurgation des tics les plus symptomatiques, abandon pur et simple des ambitions de longueur pour proposer des morceaux pensés, basés sur une impulsion rythmique simplissime (nouvelle section rythmique composée du bassiste Jason Mirza (PSYCHOSIS) et du batteur Jim DeMaria (TOXIK)), chant linéaire de David White, ambiance totalement générique qui semble réduire le sceau Bay-Area à un simple gimmick de musée de cire, la déception n’en était que plus grande, et le sentiment de colère encore plus éprouvant. Où était donc passé le génie harmonique d’un groupe capable de composer des chefs d’œuvre comme « Open The Grave », « Heathen’s Song » ou « No Stone Unturned » ? Il me fallait pour apprécier cet album à sa juste valeur oublier le passé grandiose du groupe et sa patte unique qui permit fut un temps à la scène Speed Thrash de gagner de nouvelles lettres de noblesses, et à un album comme Victims of Deception d’accéder à un statut si culte que ses exemplaires physiques atteignent aujourd’hui des prix indécents sur les plateformes de vente d’occasion. Alors oui, je l’écris haut et fort, Empire of the Blind est une énorme déception au premier degré, et il convient pour l’apprécier d’oublier durant son écoute le nom fameux qui flanqué sur la pochette, décolore la légende.
Ensuite, une fois accepté ce statut, une fois assimilé le concept caché derrière les morceaux, on se prend à apprécier certains titres, plus inspirés que d’autres et moins faciles d’accès. Kragen l’avoue, son parti-pris permettra peut-être au groupe de toucher de nouveaux fans, et évidemment d’en garder d’anciens, ceux qui apprécieront « In Black » et sa complexité technique, « A Fine Red Mist » pour son solo d’intro complétement fou et ses syncopes diaboliques, ou « Shrine Of Apathy » et son ambiance à la METAL CHURCH/SANCTUARY parfaitement délicieuse. Les hordes de la jeune génération élevées au biberon du Néo-Thrash old-school de ces dix dernières années trouveront sans doute l’ensemble passionnant et crédible, mais c’est quand même la moindre des choses. Mais les plus endurcis, les plus exigeants, les plus attachés aux valeurs d’antan regretteront amèrement que le visage de leur groupe favori ait changé à ce point, et qu’on ne reconnaisse plus le sourire de « Death by Hanging » ou la fougue d’une accolade « Dying Season ». Ainsi va la vie, et sans tourner le dos aux idoles qu’on a vénérées au-delà de toute raison, le HEATHEN 2020 ne m’a pas procuré le frisson, sans que je puisse l’accuser de trahison. Mais l’amour est un sentiment subjectif, et même en admettant la partialité, Empire of the Blind marque le pas, et se contente d’un baiser sur le front, alors qu’on crevait d’envie d’embrasser ses lèvres avec passion.
Titres de l’album:
01. The Rotting Sphere
02. The Blight
03. Empire Of The Blind
04. Dead And Gone
05. Sun In My Hand
06. Blood To Be Let
07. In Black
08. Shrine Of Apathy
09. Devour
10. A Fine Red Mist
11. The Gods Divide
12. Monument To Ruin
Être influencé est une chose normale.
Pomper un groupe ou recycler des riffs que le groupe en question n'a pas voulu en est une autre.
Après autant d'années, être incapable de respecter la personnalité d'un groupe que l'on connait bien (n'est-ce pas Kragen Lum?) parce qu'on a été débauché par un autre groupe, ça le fait moyen.
Après 3 écoutes, je ne retiens positivement que 2 compos : In Black et l'instrumental. Je me passerait volontiers du reste.
Merde, je l'ai commandé hier sur le web. En fan ultime du groupe. Du coup, je vais peut-être regretter mon achat.
@NecroKosmos : alors, tu l'as écouté finalement ? T'en as pensé kwa ?
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