Si je vous dis Belo Horizonte, vous allez immédiatement et logiquement penser aux SEPULTURA, SARCOFAGO, HOLOCAUSTO, CHAKAL, MUTILATOR, et toute la vague sud-américaine de bestialité des années 80. L’association d’idée sera naturelle, pourtant il serait incroyablement réducteur d’associer cette ville à la brutalité Thrash et à la déliquescence Death. Après tout, cette cité, et ce pays, le Brésil, ne sont pas automatiquement reliés à une violence urbaine traduite en langage musical, même si le développement est d’usage en termes artistiques Metal. Il existe aussi de ce côté-là du monde des groupes qui osent franchir les barrières et transgresser les codes pour offrir une vision plus nuancée, et osons le terme, mélodique. Nous pourrions évidemment évoquer le cas des ANGRA, mais aussi celui des VITALISM, et tant d’autres qui ont œuvré à offrir un visage plus modulé de la vie en Amérique du Sud, bien qu’un simple coup d’œil à la page recensant les acteurs nationaux sur Encyclopedia Metallum nous prouve que les genres extrêmes se taillent la part du lion, partageant les rôles entre Death, Thrash, Black et autres extensions brutales. Nonobstant ce constat indéniable, il est toujours agréable de découvrir des groupes qui poussent des portes sans les défoncer avec un bélier, et c’est avec plaisir que je suis tombé ce matin sur la seconde réalisation longue-durée des locaux de SACRIFICED, qui ne nous avaient pas donné de nouvelles depuis bientôt sept ans. Sept années donc pour enfin donner une suite à leurs aventures entamées par The Path Of Reflections, qui finalement leur aura tracé un chemin en forme d’énigmes et de questionnement. Les années ont donc passé, sans que la passion ne s’éteigne, et nous retrouvons le quintette en pleine forme, prêt à affronter l’avenir avec beaucoup plus de sérénité, mais pas moins de colère.
Une colère qui s’incarne toujours autour d’un Heavy Metal plus complexe qu’il n’y parait, et surtout, très éloigné du folklore local et des figures imposées européennes. Les cinq instrumentistes (Kell Hell - chant, Diego Oliveira & Ronan Lopes - guitares, Thales Piassi - batterie et Gabriel Fernando - basse) sont toujours aussi affutés, et prêts à en découdre, sur de leur fait, et de l’actualité de leur Heavy moderne ne crachant pas sur des influences contemporaines, sans rien renier de ses racines classiques. Menés de front par la voix puissante et ondulante de la belle Kell Hell, les SACRIFICED livrent avec Enraged une prestation presque sans faute, technique mais efficace, directe mais pleine de sagacité, ambitieuse mais pas ampoulée, et démontrent en trois petits quarts d’heure que les cartes postales en provenance du Brésil n’évoquent pas toujours la véhémence d’un Thrash furieux ou d’un BM impétueux. Sans vraiment casser les codes, les lusophones les arrangent à leur convenance, et se complaisent dans l’élaboration de morceaux bien dans leur époque, qui piochent leurs arguments un peu partout (Heavy pur, progressif, Modern Metal brillant et Néo Metal rutilant), pour proposer une sorte de Fusion géante fédératrice, mais pas vulgarisatrice. En optant pour une classe modeste plus qu’un populisme de liesse, les SACRIFICED ne sacrifient aucun de leurs principes aux modes en vogue, et ne tombent pas dans le piège de la stérilité, s’adonnant parfois au petit jeu du métissage en incorporant à leur bestiaire des éléments de culture musicale nationale (les allusions directes à la bossa-nova sur le terriblement accrocheur « Oblivion »). Mais inutile de vous attendre à des clichés pour touristes en mal de couleur locale, puisque les brésiliens s’accrochent fermement à leur Heavy pour nous convaincre du bien-fondé de leur démarche. Et le plus séduisant à leur propos reste ce choix assez risqué de jouer avec les frontières sans vraiment les franchir, pour rester dans un cadre libéral, mais indispensable à l’élaboration d’un répertoire pluriel et cohérent.
Pluriel et cohérent, parce que constamment en porte-à-faux, mais toujours conscient de son propre badinage. Car entre les ballades progressives émotives et sensibles (« To Whon You Belong », un peu LACUNA, un peu WITHIN TEMPTATION, sans les tenues de gala et les artifices de make-up en arrangements en toc), et les accès de rage purement Néo-Thrash (« Shame », du DREAM THEATER période « Awake » en version synthétique et simplifiée), le spectre couvert est ample, mais ne contredit pas la logique. Cette logique s’articule autour de dérivations rythmiques et d’implications harmoniques, qui trouvent leur juste équilibre dès l’entame de parcours (« Meet Your Fate », qui en cinq minutes résume le propos avec élégance mais puissance), et qui supportent très bien quelques déviances oniriques en inserts dramatiques (le sublime mais trop court intermède « The Unspoken », liturgique et pourtant profane). Sans jamais chercher les prolongations dispensables, les brésiliens savent parfois se laisser dériver le long d’un Heavy moderne et subtilement évolutif (« Spiral Down », admirable de précision et de spontanéité), pour mieux se recentrer autour d’une fausse redondance de ton qui privilégie autant la forme que le fond (« Dear Killer », estampillé 2018 mais qui ne rechigne pas à loucher du côté d’ANGRA). Thèmes de société, animosité, difficulté d’affronter une vie de défis et de dangers, la réalité est abordée de plein fouet, mais permet parfois quelques temps d’évasion, pour qu’une guitare classique instaure une ambiance de coton (« Refugees », tragique, mais qui ne tire pas les larmes de force des paupières).
Il est toujours bon de comprendre que sur Enraged rien n’est gratuit, imposé, ou forcé. Chacun fera son choix dans les onze morceaux proposés, mais personne ne pourra nier que l’ensemble dégage un agréable parfum de liberté. Si pour certains, les intermèdes ne sont là que pour meubler, les SACRIFICED en utilisent toutes les possibilités, pour offrir des liens instrumentaux de toute beauté (« Interlude »), permettant à l’auditeur de franchir les ponts sans avoir à sauter. Et si certains plans, si certaines idées semblent se retrouver d’une portion à l’autre, le quintette trouve toujours un refrain pour dynamiser l’uniformité (« Thick Skin »), même si la voix assez uniforme de Kell dans les instants les plus formels empêche vraiment l’instrumental de décoller. Mais le bilan n’en reste pas moins sinon ébouriffant, du moins terriblement probant, jusqu’à ce final purement Thrash (« Into The Hive »), qui superpose des grognements masculins à des envolées féminines pleines de ressenti. Ce témoignage de la vitalité de Belo Horizonte est donc une preuve supplémentaire que le Brésil n’est pas que grognements et stigmatisation violente d’un quotidien de guerre, mais surtout un album plein, riche, qui révèle la personnalité attachante d’un groupe qui mérite vraiment une attention plus particulière. Souhaitons-leur tout le bonheur du monde, et surtout, de pouvoir enchainer sans avoir à patienter.
Titres de l'album:
1.Meet Your Fate
2.Shame
3.Oblivion
4.To Whon You Belong
5.The Unspoken
6.Spiral Down
7.Dear Killer
8.Refugees
9.Interlude
10.Thick Skin
11.Into the Hive
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