Nous vivons à l’ère des réseaux sociaux, de l’IA, des filtres et des titres sensationnalistes d’auteurs inconnus. La désinformation contrôle les masses et crée de multiples vérités où la réalité reste inconnue. Le développement de la technologie consiste en grande partie à résoudre des problèmes et à répondre aux besoins humains. Mais peut-il aussi conduire à l’opposé et devenir son propre maître en transformant les humains en esclaves ? Entity est une illustration du passé et du présent dans laquelle ce développement particulier est central. « Pour le meilleur ou pour le pire ? », « Sous contrôle ou hors de contrôle? »
Le progrès a toujours été au centre des attentions, entre 1984, Metropolis, THX 1138, Soleil Vert, Wargames, et des centaines d’autres œuvres qui se sont interrogées sur le libre arbitre, la domination des masses, le grand remplacement de l’homme par la machine, et finalement, la dictature digitale transformant l’humain en simple exécutant à garder sous contrôle total. La question est toujours d’actualité, et le problème épineux. Entre ceux embrassant ces avancées et les autres les craignant comme la peste, le combat est rude, mais le résultat connu d’avance : on n’arrête pas le progrès.
En musique, la question se pose, comme pour tout art. Alors que les graphismes commencent à être produits artificiellement par des intelligences numériques, les véritables artistes au pinceau ou au crayon craignent pour leur avenir, la gratuité de ces outils rendant leur travail trop onéreux et donc dispensable. Mais qui nous dit que chacun d’entre nous ne sera pas remplacé un jour, « Pour le meilleur ou pour le pire ? ». Cette interrogation anime donc les réflexions du troisième album des suédois de SEVENTH CRYSTAL, qui transforme toutes ces évolutions en un être suprême aux intentions discutables : l’Entité.
Un an à peine après le très réussi Wonderland, la bande de Göteborg remet le couvert pour Frontiers avec un nouveau chapitre dense, développé, plein de surprises et forgé de mélodies modernes. Le partenariat entre le quintet (Kristian Fyhr - chant, Anton Roos - batterie/percussions, Olof Gadd - basse/chœurs, Gustav Linde - guitare/chœurs et Emil Dornerus - guitare/chœurs) et sa maison de disques italienne est donc confirmé, et les deux parties y trouvent leur compte. SEVENTH CRYSTAL pour l’exposition, et Frontiers pour la valeur créative et l’imagination. De cette association découle donc un contrat moral tacite, obligeant le quintet à se sortir les tripes pour honorer son engagement.
Et dire qu’il s’est surpassé pour enthousiasmer est d’un euphémisme lénifiant.
Alors que Delirium, premier du nom restait sagement sous la barre des quarante minutes, Entity profite d’un supplément d’inspiration pour venir titiller l’heure de jeu. Un jeu dangereux justement, qui laisse la redondance et la complaisance s’inviter aux agapes, obligent de facto les musiciens à se forcer la main pour accoucher de morceaux accoucheurs, agencés pour donner corps à une vision très précise. Le pari est-il gagné ? Oui et non, dû à des itérations évidentes et des redites parfois balbutiantes. Mais globalement, et en restant objectif, ce troisième longue-durée fait honneur à son rang relevé pour faire avancer la cause d’un Metal moderne et mordant, parfaitement illustré par l’ouverture « Oathbreaker »
Au menu des hostilités entre l’homme et la machine, beaucoup de lucidité harmonique, une technique affutée pour permettre de tailler dans le vif, des mélodies évidemment placées au premier plan, et une énergie qui ne se dément pas pendant cette petite heure de dénonciation. On retrouve avec plaisir le timbre chaud et puissant de Kristian Fyhr, excellent vocaliste de cette nouvelle génération, qui n’en fait jamais trop mais qui sublime les morceaux de ses intonations toujours bien placées. En arrière, le reste du groupe fournit la bande instrumentale nécessaire à cette variété de ton prônée comme une révolution, pour que l’osmose soit effective et incontestable. Et avec quelques effets et autres intros narrées, le tracklisting se révèle sous un jour très flatteur, qui annonce des campagnes live en béton.
L’équilibre entre modernité et traditionalisme est encore une fois quasiment parfait. La fusion de la perfection suédoise en la matière et de la rigueur rythmique à l’américaine fonctionnent à plein régime, produisant des tubes à la chaine, dont « Blinded by the Light » et « 404 » sont des exemples plus que probants. Les syncopes omniprésentes, la puissance, l’envie d’écarter les murs pour gagner de l’espace font que ce voyage dans les arcanes du progrès se passe sans encombre, et s’arroge le droit de dénoncer les dérives d’une société qui s’en remet totalement aux machines pour survivre.
Ni Hard-Rock ni Heavy Metal, SEVENTH CRYSTAL est une boule de cristal Modern Metal, qui utilise quelques codes du Metalcore et de l’Alternatif pour parvenir à ses fins. S’il est totalement compréhensible de se montrer dubitatif face à cette gerbe de violence calibrée, pointant du doigt le systématisme de la formule, il convient de reconnaitre une perfection dans l’unisson, les cinq membres œuvrant pour un intérêt commun bien plus grand que ses parties.
Et comme nul ne vous oblige à tout encaisser d’une traite, abreuvez-vous avec raison à la fontaine de jouvence. La nostalgie d’une époque analogique est une thématique presque consensuelle, mais lorsqu’elle est illustrée par un propos moderniste, le dilemme est énorme. Décalage entre le propos et l’expression ? C’est sans doute ce qui chatouille le plus, puisque les suédois s’en remettent souvent à des gimmicks type pour donner corps à leurs craintes.
Je ne survendrai donc pas un album qui montre encore ses limites, eu égard à son timing trop étiré. Mais j’en extrairai les morceaux les plus vendeurs, pour ramener Entity à des proportions plus raisonnables. « Push Comes to Shove », sombre et plus sensible, « Path of the Absurd », single imparable en feront évidemment partie, avec une poignée d’autres qui selon moi caractérisent le mieux ce concept de refus d’un progrès en roue libre.
« Pour le meilleur ou pour le pire ? »
Proche du meilleur mais aussi capable du pire : la paraphrase maladroite.
Titres de l’album:
01. Oathbreaker
02. Thirteen to One
03. 404
04. Path of the Absurd
05. Architects of Light
06. Interlude
07. Blinded by the Light
08. Siren Song
09. Versus
10. Mayflower
11. Push Comes to Shove
12. A Place Called Home
13. Song of the Brave
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