Entropy

Moirai

26/03/2017

Purple Bong River Recordings

On n’attend pas forcément d’un groupe venant de Santa Cruz, Californie, qu’il joue une musique sombre et introspective. Non, le climat local inciterait plutôt à se répandre dans la joie d’un SoCal punk un peu aéré et enjoué, mais après tout, chacun voit l’ombre où il veut.

Et il semblerait que ce trio originaire de là-bas ne prenne pas beaucoup le soleil au jugé de sa musique assez impénétrable et légèrement diffuse dans les excès de noirceur.

Ils l’admettent eux-mêmes, le Hardcore sombre et gueulard est leur root beer préféré, quoique je doute qu’ils s’abreuvent de soda local. Ils doivent certainement préférer les ambiances enfumées à la BLACK SAB’, l’ésotérisme à la THE OBSESSED, et même les tortueuses aventures de MELVINS perdus au pays des non-merveilles.

Darkcore, d’accord, mais avec un peu de Doom quand même. Non ? Si.

Les MOIRAI sont donc Californiens, mais rien ne les rattache artistiquement à cette région. Leur Hardcore est sans concessions, quoique multiple dans la forme et le fond.

Niveau bio, le minimum, un premier EP éponyme paru l’année dernière, une formation en trio (Jack Kosma- chant/guitare, Taylor Fish – chant/basse et Chris Patzke – batterie), et puis…c’est tout. Un Bandcamp qui ne se perd pas en conjectures, et une page Facebook avec quelques clichés, ce qui après tout est largement suffisant pour appréhender leur mélange assez…déprimant.

On pense à plusieurs références, et on évite les sempiternelles allusions aux TRAP THEM et autres NAILS, mais la vilénie, quoique plus pesante et moins cavalante n’est pas moins velue, et ce trio de presque nouveaux-venus semble se complaire dans l’hybridation entre un Crust vraiment desséché, un Hardcore sombre et empesé, et un Metal générique pas forcément illuminé.

Mais peu importe l’ivresse pourvu qu’on ait le flacon, ou l’inverse, et les quatre morceaux de cette seconde réalisation vous feront vite oublier que le printemps et là, et qu’il annonce l’été.

Je l’avoue tout de go, ce qui m’a séduit sur cet Entropy, c’est sa diversité dans la provocation. Chaque morceau navigue au gré d’humeurs, toutes sombres évidemment, mais au rendu balayant un spectre assez large et flagrant. Les blasts succèdent aux parties lourdes et emphatiques, et seul le chant, toujours aussi véhément et exhorté assure une cohérence de fond.

Les mélodies ne sont toutefois pas sacrifiées sur l’autel de la brutalité, mais elles sont amères et anémiées, comme jouées du bout des doigts pour ne pas les réveiller. Quatre chapitres qui s’enchaînent sans qu’on voit le temps passer, c’est toujours bon signe et caractéristique des véritables créateurs de l’extrême. Je me suis ainsi retrouvé en plein milieu de « Desert Floor », le troisième segment, sans véritablement réaliser que les deux premiers étaient déjà terminés, ce qui m’arrive plus que rarement je dois l’avouer. Dès lors, le cheminement est simple. Des rythmiques stables ou heurtées, des riffs massifs et pachydermiques prenant le pas sur des saccades et syncopes bien troussées, et de longues digressions minimales, reposant sur quelques notes développées qui occupent l’espace sonore sans s’étouffer.

On pense parfois à une rencontre inopinée entre les NEUROSIS, CLUTCH et MARTYRDOD dans un vieil entrepôt désaffecté, dissertant sur l’importance de la dissonance et des lancinances dans le Hardcore moderne, mais la patte personnelle des MOIRAI est profondément imprimée dans la trame de ces quatre chapitres salement agencés, qui parviennent en deux occasions à nous faire croire que huit minutes n’en sont qu’une moitié.

Un tour de force remarquable pour un EP qui ne trahit en rien l’origine nihiliste du projet, coincé entre une rage Hardcore de forcené et un Metal prophétique et malmené de lourdeurs écrasées.

Tout ceci rend l’écoute de ce second EP assez passionnante en soi, et une fois arrivé au terme « Senescence », on se prend à regretter que les aiguilles de la montre tournent aussi vite.

J’ai rarement entendu groupe jouer avec autant d’aisance dans des extrêmes aussi prononcés, et il faut reconnaître que les trois gaillards savent de quoi ils parlent, et connaissent leurs classiques sur le bout des doigts.

La tâche la plus ardue étant de les identifier…

Doomcore autant qu’il n’est Dark Crust, aussi rapide et barbare qu’il n’est sadique, et pas au hasard, aussi lourd qu’il n’est véloce, le mélange pratiqué par les Californiens a expurgé toute forme de luminosité pour se concentrer sur une obscurité, qui pourtant ne rechigne pas à laisse filtrer un peu de lumière harmonique certes rachitique, mais qui réchauffe des yeux un peu collés.

Et si chaque titre s’emboîte parfaitement dans le précédent, dans une longue litanie/procession douloureuse, il est tout à fait possible de les prendre indépendamment pour juger de leur propre pertinence.

Et si « Dreamcatcher » rentre dans le vif du sujet de la façon la plus biaisée qui soit, ses huit minutes et vingt-neuf secondes présentent les caractéristiques de l’univers cloisonné des MOIRAI, en distillant d’abord quelques notes de basse nostalgiques du Enemy Of The Sun des NEUROSIS, ou même des moments les plus contemplatifs des CULT OF LUNA, dans une tentative Post-Hardcore soignée.

La rage se met en place avec une minutie étonnante, avant de nous renvoyer dans les cordes du ring des MELVINS, soudainement piqués par une mouche vocale enrouée. Long, lent, mais progressif dans un sens, c’est une entame finalement aussi franche que détournée, parfaitement à l’image d’un groupe qui refuse de se laisser enfermer dans un univers trop bien dessiné.

Et si « Cowards » joue le jeu de la vitesse Crust/D-beat, c’est pour mieux compléter le tableau, d’une manière aussi crédible que n’importe quelle référence scandinave.

Mais vous avez maintenant compris qu’il ne faut se fier à aucun indice trop évident, puisque les MOIRAI les ont semés de façon à vous perdre dans leur psyché.

Torturé, il faut le reconnaître.

Santa Cruz et ses exilés Hardcore de pénombre. Une anti-carte postale exotique, mais un constat systématique. Le Hardcore US n’en finira donc pas de nous provoquer, pour le meilleur et le pire dont on peut aussi se délecter.

A quand un album complet histoire de s’immerger ?


Titres de l'album:

  1. Dreamwatcher
  2. Cowards
  3. Desert Floor
  4. Senescence

Bandcamp officiel


par mortne2001 le 08/05/2017 à 17:39
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