Archipel autonome faisant partie du Royaume du Danemark, les Îles Féroé sont composées de 18 îles rocheuses volcaniques situées entre l'Islande et la Norvège, dans l'océan Atlantique Nord. Elles communiquent via des tunnels routiers, des ferrys, des routes et des ponts…et avec le reste du monde sur un terrain de football, mais aussi en musique. C’est ainsi que ces îles nous envoient aujourd’hui l’un de leurs représentants les plus féroces en termes de Néo-Thrash contemporain et puissant. Dans les faits, ASYLLEX s’est formé en 2013 à Suðuroy, et a déjà proposé un premier longue-durée il y a quatre ans, War Order, qui leur a permis de se faire un nom loin de ses côtes et ses tunnels. Mais les musiciens viennent bien de tous les côtés de ces îles, et c’est ainsi que Hans Hammer et Andreas Jacobsen viennent de Fámjin alors que Finnur Nielsen réside à Tvøroyri. Au-delà de ces quelques précisions géographiques, pas vraiment d’informations à se mettre sous la dent concernant ces musiciens éminemment sympathiques, leur bio étant plus que succincte et ne révélant qu’un line-up. En quatuor sur leur page Facebook (Hans Hammer: guitare/chant, Andreas Jacobsen: guitar/choeurs, Finnur Nielsen: basse et Bogi Petersen: batterie), mais en quintet sur The Metal Archives, qui nous dévoile la présence de Luka Radosavljevic à la seconde guitare. Mais après tout, peu importe la densité de la formation, puisque ce qui nous intéresse est cette musique plus complexe qu’il n’y paraît, et finalement, assez éloignée d’un Thrash old-school, et plus proche d’un Groove Metal des années 2000, avec tout ce que ça implique de clichés et d’influences. Sauf que le quintet/quatuor sait faire preuve d’ingéniosité pour les contourner, et offrir des compositions plus personnelles, puissantes et mélodiques, qui aiguisent l’appétit et la curiosité, et qui sont aptes à déclencher de sérieuses crises de headbanging chez un auditeur concerné. Mais pas que.
Première constatation avant de poser ses oreilles sur les fichiers numériques : le groupe n’a pas lésiné sur la quantité, avec plus d’une heure de musique. Et après seulement sept ans d’existence et un seul LP, on se demande si les instrumentistes ont l’imagination nécessaire pour meubler un tel timing avec pas moins de quinze morceaux de durée assez raisonnable. On sait que l’époque permet depuis longtemps de combler un album numérique au maximum pour en donner aux fans pour leur argent, mais quinze titres semblent un écueil d’ennui et de redondance assez difficile à éviter, ce que les Féroïens ont réussi, accomplissant le tour de force de nous offrir une œuvre variée, qui en appelle à la culture nineties et 2K, et qui parfois évoque une version plus exotique d’ILL NINO ou de CHANNEL ZERO, avec ce Thrash musclé mais à la vélocité contrôlée qui repose sur des bases mélodiques très prononcées. A ce titre, « Lost Life » est une entame bien singulière, avec son tempo lourd, ses arrangements orchestraux à la RAMMSTEIN de Mutter, et ses riffs qui trainent leur lancinance comme une mélancolie nordique. Mais avec cette introduction, le groupe parvient à intriguer, et à brouiller les pistes, nous menant sur le chemin d’un Heavy Metal emphatique et épique, alors que son but est tout autre. Et « Soul » de remettre immédiatement les pendules à l’heure, en ouvrant le bal des saccades sans ambages. On y retrouve tout ce que le Groove Metal a toujours proposé de plus efficace, ces syncopes prononcées, cette rythmique explosive et ce chant mélodique mais hargneux, et cette composition nous prend immédiatement à la gorge, nous immergeant dans un univers très personnel, détournant habilement les codes pour proposer autre chose qu’un simple succédané d’œuvres antérieures. Musicalement, le groupe est très carré, mais fluide dans ses interventions, et si les guitares se veulent la plupart du temps graves, le chant de Hans Hammer permet d’éviter la linéarité et la claustrophobie de ses modulations, tandis que les breaks harmoniques et le jeu très coulé de Bogi Petersen défont les nœuds rythmiques avec beaucoup de pertinence.
Le groupe est conscient qu’il doit sa réputation à cette diversité et à cette incapacité à les classer dans une catégorie bien définie, et le très KILLING JOKE époque Millenium « Dark Pursuit » d’assombrir encore le propos et d’imposer une rigidité assez inattendue. On se dit à ce moment-là que les ASYLLEX ont un énorme potentiel à mettre au service d’une musique riche et variée, et « Welcome To The Night » d’accentuer cette impression de son acoustique délicate mélangeant Cohen, ALICE IN CHAINS, le NOLA et quelques autres artistes Americana de toutes les décennies. Oser une demie balade amère en début de parcours est un choix culotté, mais qui démontre que les Féroïens n’ont pas l’intention de se laisser apprivoiser comme n’importe quelle créature musicale de playlist, et on se prend rapidement d’affection pour un album fondamentalement ouvert et original, qui distille ses composantes avec beaucoup d’intelligence. Les morceaux sont tous aussi effectifs les uns que les autres, l’atmosphère change à loisir, et le chant roublard et sinueux de Hans Hammer, qui n’hésite pas à murmurer, à feuler, à hurler ou à chanter avec beaucoup de douceur est un argument de poids pour conférer à cet Ephemeros un parfum unique et enivrant. Il est pourtant très difficile de retenir l’attention d’un public sur une heure de jeu, mais le groupe y parvient en dosant admirablement bien son effort, et en accentuant la violence au moment idoine, en lâchant un furieux « Bite » qui mord à pleines dents dans le Thrash des années 90. On croirait entendre FORBIDDEN, celui de Distortion, et la sensation est vraiment agréable.
Alors évidemment, chacun choisira ses titres favoris, mais tout le monde trouvera chaussure à son pied sur cet album surprenant, qui ose l’amertume à intervalles réguliers (« Concrete Shoes »), les intros travaillées, les humeurs plus sombres et syncopées (« Sleepwalker »), pour un festival de créativité qui a de quoi laisser pantois. Loin de la plupart de ses homologues qui se contentent d’un travail de reproduction old-school, ASYLLEX navigue à vue entre les époques et les genres, n’hésite pas à tergiverser entre Néo-Thrash et Post-Grunge (« Tranquility »), pour finalement nous offrir l’un des disques les plus surprenants de cette année 2020. Loin, dans leurs îles un peu perdues dans le nord, les musiciens prouvent qu’il n’est pas nécessaire d’habiter une terre connue pour se faire remarquer, et risquent fort d’attirer un public avide de chansons moins convenues. Et Ephemeros loin du sens de son titre, gardera une longue emprise sur vous, comme celle qu’imposent des souvenirs étranges mais si agréables qu’on accepte la rêverie. Bravo messieurs, et merci pour cet album si atypique et charmant.
Titres de l'album :
01. Lost Life
02. Soul
03. Dark Pursuit
04. Welcome To The Night
05. Endless Greed
06. Bite
07. Concrete Shoes
08. Frostbitin
09. Wither
10. Sleepwalker
11. Spirits
12. Kyrra
13. Tranquility
14. Murder
15. Between Life And Death
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