Voilà un nom de baptême parfaitement choisi. D’abord né sous celui de THE THIRD EYE, ce trio des hauts de France a finalement opté pour le russe de YAROST transformé en YAROTZ, qui signifie « rage ». Et à l’écoute de leur musique, on ne peut penser à une émotion plus idoine pour décrire le ressenti de trois musiciens sous influences, mais qui ont su les transcender.
YAROTZ est une pointure. Non par ses faits d’armes, encore modestes (une démo et quelques dates sympathiques), mais par sa consistance. Une consistance artistique qui renvoie aux grands heures de CONVERGE bien évidemment, à NAILS lorsque le tempo se fait plus insistant, mais aussi à des choses beaucoup plus personnelles, émaillées de mélodies pour des traits de caractères fermes. Une grosse personnalité donc, et un premier album stupéfiant de maturité. Croyez-moi si je vous dis donc qu’Erinyes est sans aucun doute le meilleur album de Hardcore chaotique et viscéral que vous pourrez écouter en ce début d‘année. Car c’est la stricte vérité.
Un Hardcore pluriel, à l’épaisseur métallique des années 90, lorsque le genre abordait son grand virage sous l’impulsion des DILLINGER, CONVERGE et autres maniaques de la perturbation rythmique. Formé sous l’impulsion de Fabien Zwernemann (guitare, JUNON) et Vincent Perdicaro (basse, JUNON, ONE WAY MIRROR) vite rejoints par Enzo Laidi (batterie), YAROTZ laisse donc enfin exploser sa rage, et nous délivre un message clair : le monde est un foutoir, mais le Karma n’est pas une illusion. Les fautifs paieront donc leur dette avant la fin des temps. De fait, les thèmes sont multiples, et classiques. Climat, écologie, religion, société, tout y passe, à travers le prisme d’un concept fascinant : celui de la psychostasie.
La psychostasie désigne le jugement divin d'un défunt dans les religions. La psychostasie consiste à peser l'âme du mort, plus particulièrement son cœur.
Et cette sublime pochette signée de la main de l’artiste japonaise Yuki Watanabe souligne justement ce concept avec beaucoup de finesse dans le trait. Un énorme cœur submergé de ramifications, pour autant de destinations possibles. Et entre le paradis et l’enfer, YAROTZ a choisi, et les angelots ne seront pas de la partie.
Soulignons d’abord le son gigantesque qui enrobe l’album dans une bogue de puissance. Enregistré et mixé par Cyrille Gachet (YEAR OF NO LIGHT, FANGE), masterisé par Alan Douches (MASTODON, CONVERGE, DILLINGER ESPACE PLAN), Erinyes n’a pas à rougir de la comparaison avec ces références de l’extrême, à côté desquelles il peut se placer en toute humilité. Mais le trio conserve son libre arbitre, et se contente du passé comme point de départ d’un avenir qu’on pressent déjà clément. Et avant de pouvoir subir les assauts du trio lors de l’édition 2022 du Hellfest, Erinyes permet d’en entrevoir les conséquences sur l‘organisme, qui subit des coups portés avec une véhémence rare.
Très intelligemment agencé, ce premier album propose des pistes faciles en ouverture pour attirer ses victimes dans ses filets. Des morceaux brefs, rapides, dévastateurs, chaotiques, aux à-coups mortels et aux riffs évidents. Certes excellents, ces titres n’en sont pas moins de simples amuse-bouche avant que l’album ne révèle ses vrais desseins. Dès lors, le rythme ralentit, les harmonies amères se font une place à la lumière blafarde d’une réalité embrumée, et le Post-Hardcore dessine des ponts entre la brutalité ouverte et le vice inavoué.
« Vergogna » annonce la couleur avec sa cassure centrale, mais c’est véritablement « Gold » qui provoque la rupture. C’est à ce moment-là qu’on sent que le groupe a le potentiel pour défier les idoles internationales, avec un sens de la composition plein d‘à-propos. Enzo Laidi explore alors les possibilités de ses toms et de sa grosse caisse, et si le chant de Fabien Zwernemann ne dévie pas de son raclage de gorge au papier de verre gros grain, quelques harmonies vocales semblent glisser sur les textures abruptes.
Entre réflexes froids et cliniques à la KLLING JOKE, impulsions morbides à la NAILS, pesanteur digne du SWANS des grands jours, YAROTZ nous entraîne donc dans un tourbillon, et autant dire que la glissade n’est pas sans émotions. Entre claque Fastcore épaisse comme la paluche de Ron Perlman (« Caught By The Noose »), et déviation nostalgique aux teintes passées (« Deliverance »), Erinyes joue évidemment la diversité dans la concision, adopte la posture d’un groupe de Hardcore extrême jusqu’au bout des orteils (« B.M.A.P. »), mais n’hésite pas à faire allusion aux mélodies les plus éthérées soulignées par une basse à la NEUROSIS (« Phoenix »).
Pour un premier album, Erinyes est aussi pensé et réfléchi que viscéral et spontané. Comme une saine colère qui remonte à la surface après des années de frustration et de structuration de la pensée, et qui ne supporte aucun contre-argument. Et sans savoir quel sera l’avenir de ces trois musiciens, je peux quand même affirmer que la pesée de leur cœur révèlera des intentions très pures.
Titres de l’album:
01. Impunity
02. Childish Anger
03. Vergogna
04. Gold
05. Caught By The Noose
06. Deliverance
07. B.M.A.P.
08. Phoenix
09. Last Lust
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