Si j’avais pu imaginer un jour que cet obscur groupe hollandais émergerait de nouveau des abysses, j’aurais sans doute eu du mal à le croire sur le moment. Il faut dire que nous sommes sans doute peu à avoir chopé le truc à temps en 1990, lorsque l’étrange Divine Spiritual and Intellectual Development heurta le marché au moment même où le Thrash se raidissait en Death, d’autant que USURPER semblait s’obstiner à incarner l’arrière-garde de défense d’un Thrash persistant, refusant la séduction glauque d’un PESTILENCE déjà passé de l’autre côté. Sorti sur le microscopique label Overdrive, ce premier LP atteint aujourd’hui des sommes astronomiques sur la toile, et il vous faudra débourser près de trois cents dollars pour vous en porter acquéreur. L’œuvre en question vaut-elle cette somme déraisonnable ? Non, car elle est anecdotique en termes d’avancée et de portée émotionnelle, mais après tout, ce sont rarement les chefs d’œuvre qui se négocient sous le manteau à hauteur de la valeur d’un organe vital. Nonobstant cette parenthèse marchande, c’est avec un plaisir teinté de méfiance que j’abordais le retour sur la scène de ce combo de Waddinxveen, au sud des Pays-Bas, me demandant bien ce que les musiciens pouvaient encore avoir à raconter après un long silence de trente ans. C’est donc un anniversaire que nous fêtons aujourd’hui, le genre d’anniversaire surprise qui en fait plus à ses invités qu’à ses hôtes, puisque le plus gros cadeau offert aujourd’hui sont ces huit pistes surprenantes, et beaucoup plus enthousiasmantes que la livraison de 1990. Si Divine Spiritual and Intellectual Development était déjà très étrange, mais n’avait pas forcément les moyens de ses ambitions obscures, Evilution et son jeu de mot facile va beaucoup plus loin que son aîné, et nous entraine dans une aventure brumeuse à base de Thrash avant-gardiste et ambiancé teinté de Death light, qui en appelle aux meilleurs représentants du genre de l’époque.
Doté d’un son étouffé qui confère aux compositions une aura ténébreuse, Evilution est une œuvre à part qui semble unir les univers différents mais complémentaires d’ATHEIST et MEKONG DELTA. Un Thrash pas forcément technique mais complexe, aux ramifications multiples, et au développé très travaillé, qui permet aux musiciens de proposer des compositions de plus de neuf minutes sans perdre leurs arguments en route. Immensément supérieur au premier LP du groupe, il s’affirme comme une incongruité dans la production actuelle, comme un effort old-school qui se projetterait dans le futur pour mieux redéfinir le passé. Et si les premières mesures de l’obscur « Evilution » peuvent aiguiller faussement dans la direction d’un Death Metal de l’orée des années 90 (les soli aident aussi à suivre cette piste), la mise en place finit par avancer les vrais arguments de l’œuvre, qu’on a finalement beaucoup de mal à situer tant le son sourd nous empêche de vraiment comprendre les partitions. Les parties de batterie qui semblent programmées ne sont pas faciles non plus à discerner, et si le son de la grosse caisse frise l’insupportable, ce sont les guitares qui sauvent la mise, entre riffs inextricables et parties en solo qui se rapprochent évidemment de la période Mameli de PESTILENCE et des errances jazzy d’ATHEIST. La voix de Patrick Harreman, elle aussi très particulière rapproche le tout de CORONER, mais son timbre à la Kelly Shaeffer n’éloigne pas le spectre d’un Death toujours planant au-dessus des morceaux. Même fondamentalement ancrés dans un Thrash brutal et diffus (« Midlife Christ »), ils persistent à suivre plusieurs directions, créant un effet hypnotique agréable, ce que les nombreux breaks accentuent de leurs harmonies alambiquées.
En deux morceaux, les hollandais de USURPER nous obligent à les suivre dans leur folie musicale, jusqu’à ce que l’étrange « Kill’em Allah » impose un mid-tempo plus accrocheur. Premier titre assez posé de l’ensemble, ce pavé de près de huit minutes passe par de nombreuses ambiances, mais s’en remet à un riff redondant à la MORTAL SIN pour s’accrocher à un Thrash médian plus formel, bien que les breaks évanescents ne soient pas sans rappeler les NOCTURNUS. Toujours aussi décalés, les musiciens n’ont pas changé d’optique pour se faire adopter par le plus grand nombre, et affirment leur singularité en proposant un LP très connoté, qui pourra permettre aux fans du genre d’oublier les répétitions irritantes du Thrash old-school habituel. Pour autant, et bien que daté 2020, Evilution s’accroche aux racines 90’s du groupe, mais va beaucoup plus loin qu’une simple redite de mise en jambes. Et entre des accélérations fulgurantes permettant aux solistes d’étaler leur talent en détalant sur leur manche, des écrasements soudains qui pèsent sur le thorax, et des reprises vocales erratiques qui semblent intervenir librement au niveau du timing, l’effet produit est maximal, et nous efface les repères du sol. Que dire alors des deux chapitres les plus développés, « Cold Lake » et « Religion of Pieces », qui à eux deux frisent les vingt minutes ? Qu’ils sont les titres les plus étranges du lot, ce qui n’est pas peu dire, et lorsque « Cold Lake » lâche son intro sombre et gluante, on sait qu’on évolue dans un univers différent, dont les structures ne répondent pas aux exigences du Thrash le plus classique. Il n’est d’ailleurs pas idiot de concevoir ce second long comme l’album qu’ATHEIST n’a jamais enregistré entre Unquestionable Presence et Elements, sans qu’USURPER ne singe les travers techniques jazzy des américains.
Ici l’atmosphère est importante, et si beaucoup seront rebutés par ce son bizarre et décidément trop comprimé, les amateurs de bizarrerie musicale s’accorderont du caractère unique d’un album détonnant dans la production actuelle. Violent mais créatif, excentré mais logique, Evilution est un retour en grâce inespéré de la part d’un groupe totalement anecdotique à l’époque, et qui ne fait rien pour séduire les masses trente ans après son émergence. On ne change jamais vraiment visiblement, mais aussi subjectif cet avis puisse paraître, il m’apparaît clair que ce disque est le plus intéressant que vous pourrez écouter avant…très longtemps.
Titres de l’album :
01. Evilution
02. Midlife Christ
03. Kill’em Allah
04. Century of Entitlement
05. On the Edge of a Dream
06. Cold Lake
07. Master of the Shadows
08. Religion of Pieces
Merci pour la découverte. Je l'écoute en ce moment même et j'apprécie beaucoup. Le genre d'album qui fait tilt dès la première écoute, ce qui est rare chez moi mais généralement bon signe.
Quant au son, j'écouterai au casque pour voir mais là, ça sonne comprimé certes, mais ça passe fort bien ma foi.
@mortne2001 grand merci m'sieur de m'avoir fait découvrir ce MONUMENT !!!
Depuis le jour où cette chro a été publiée, je n'ai pas passé une journée sans m'écouter ce Evilution et chaque écoute apporte son lot de plaisir supplémentaire... Parce qu'on s'habitue aux morceaux, qu'on s'habitue à cette plongée dans les ténèbres habilement menée musicalement.
Quant au son, pour l'avoir écouté au casque et sur enceinte, il est nickel et même, il participe à la noirceur ambiante.
Si j'avais eu connaissance de cet album l'an dernier, nul doute qu'il aurait devancé les Mr Bungle et autres Mekong Delta que j'ai pourtant adorés.
Evilution, mon album Thrash de 2020 tout simplement.
Je sais pas quelles sont les bonnes sorties Thrash à venir cette année mais Usurper risque de leur faire de l'ombre pour un bon bout de temps !
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21/11/2024, 08:46
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