En tant que chroniqueurs, nous recevons chaque jour des dizaines de mails promo nous arguant du caractère indispensable de certaines sorties. Il convient évidemment de faire le tri pour séparer le grain de l’ivraie, mais certaines signatures attirent plus notre attention que d’autres. Ainsi, j’accorde toujours un intérêt particulier à des labels n’ayant jamais trahi ma confiance, pour des raisons artistiques diverses. Ainsi, Frontiers est assuré de ma fidélité depuis des années, mais d’autres ont gagné mon affection en m’offrant la possibilité de découvrir des artistes et groupes méritant du temps et de l’énergie. De fait, lorsque je souhaite fouiller dans les arcanes de l’underground, je sais pertinemment vers qui je peux me tourner. Quelques noms surnagent, dont Blood Harvest, Svart Records, et évidemment I, Voidhanger, qui à chaque fois me comblent de la pertinence et du culot de leur choix. Aujourd’hui, c’est ce dernier label qui est à l’honneur, avec une sortie plus qu’originale, et qui plus est nationale. L’argument de la nationalité n’a pas beaucoup d’importance en soi, mais découvrir un artiste solo breton qui navigue dans les sphères de l’avant-gardisme et du progressif travaillé est quelque part une fierté, sachant quand même que notre scène française est l’une des plus en vue en terme d’expérimental osé. Un nom vient donc s’ajouter à la longue liste des chercheurs fous, celui de CREATURE, qui cache celui beaucoup plus personnel de Raphaël Fournier. Raphaël Fournier, en substance, est en quelque sorte un équivalent négatif et plus introverti de notre cher Gautier Serre, un touche à tout de génie, un solitaire qui partage sa folie musicale avec un public d’initiés, cénacle de privilégiés qui savent apprécier l’originalité, la fusion des genres, l’absence d’étiquettes, et plus généralement, une musique riche et inspirée, qui n’a cure des barrières et qui ignore le sens du mot « impossible ». Entendons-nous bien. Les deux hommes n’ont en commun que leur audace un peu décalée, puisque stylistiquement, malgré quelques rapprochements possibles, leur univers est relativement différent. Mais on ressent chez ces deux artistes un besoin de s’éloigner des normes, et une vraie envie de proposer quelque chose de neuf.
Raphaël Fournier lui, s’épanouit dans le Black Metal progressif, évolutif, baroque, démesuré, et osons-le terme, symphonique. Déjà auteur de deux longue durée en autoproduction, l’homme bénéficie aujourd’hui du soutien de I, Voidhanger pour propager sa bonne parole, et en profite donc pour nous livrer une nouvelle version des faits, sous la forme d’un troisième album aux ambitions énormes et au rendu bluffant. C’est ainsi qu’après Inquiétudes en 2018 et Contes Funèbres en 2019, Raphaël découvre cette année le troisième tome de ses réflexions avec Ex-Cathedra, qui pourrait bien être son œuvre la plus aboutie et surprenante. Avec sa tête de premier de la classe et de développeur, Raphaël se fond dans la masse physique, mais ne vous fiez pas à son minois charmeur ou à son sourire enjôleur. L’homme connaît la violence, connaît les musiques, et sait les associer dans un ballet combinant brutalité, harmonies, arrangements luxuriants, et interprétation hors-normes. Puisant son inspiration dans tout ce que les nineties ont pu nous offrir de plus symphonique (EMPEROR, ARCTURUS), Raphaël se tourne aussi vers les répétitions hypnotiques de l’Industriel, les arabesques classiques, la musique traditionnelle, pour produire un mélange unique en son genre, entre Black Metal, extrême plus généraliste, et Néo-Classique progressif. Lettré, l’homme accompagne ses musiques de textes fouillés, chante, joue de la guitare, de la basse, programme, arrange, enregistre et mixe, se charge de l’artwork de ses albums, pour se présenter comme un artiste complet. Accompagné ponctuellement sur Ex-Cathedra par quelques guests (Perrine Neulet - flute, Maria Grigoryeva - violon sur "Atlantis", Alexis Bertran - chant sur "Le Roi Zogue"), Raphaël via CREATURE sort une fois de plus le BM de son ghetto bruyant pour en faire un art à part entière, déviant constamment entre traditionalisme et anticonformisme, pour parfois proposer des pistes tenant plus de la bande originale de film gothique que de Metal à proprement parler. Ainsi, impossible de résister à la grandiloquence de « Neo Habilis », sorte de soundtrack impossible d’un giallo d’Argento passé à la moulinette d’Insahn, déroulé impressionnant de maîtrise, à l’orchestration baroque et riche qui nous entraîne dans un rêve éveillé, drapé dans des tentures de velours lors d’une nuit d’orage. Bien souvent, lors de ces tentatives classiques, les compositeurs ont tendance à négliger le son, sombrant dans les approximations synthétiques Bontempi qui ruinent leur créativité. Tel n’est pas le cas ici, puisque les chœurs célestes et la guitare partagent un espace conséquent, et même si la batterie programmée sonne parfois un peu trop comme tel, le mixage est étonnant, et rapproche l’auteur d’une version diabolique du Devin TOWNSEND le plus débridé.
Attention toutefois au piège du découpage. Ex-Cathedra est en effet évolutif en partie, mais aussi en son tout. Chaque morceau se base sur une idée qui évolue et mute, mais l’album in extenso résulte lui aussi d’un désir d’avancer vers un univers final différent du point de départ. Si les trois premières compositions sont les plus ouvertement violentes du lot (tout en contenant des idées reprises ultérieurement, plus développées), dès « Involution - Expectations », le panorama et l’ambiance changent, pour s’orienter vers un développement plus classique, déviant, souvent instrumental, et ponctué de chœurs dramatiques. Inutile de trop chercher les comparaisons, leur accumulation serait une insulte au travail titanesque de Fournier, et si chaque piste est d’un intérêt majeur, j’avoue avoir été sidéré et happé par le long et atmosphérique « Atlantis », et ses douze minutes d’immersion. En cumulant l’absence de scrupules du CELTIC FROST d’Into the Pandemonium, la grandiloquence de Verdi, et la puissance d’EMPEROR, CREATURE parvient à construire un décor grandeur nature, imbrication de Black avant-gardiste, d’extrême perméable au classique opératique, et plus généralement, de Metal en fusion, osant les riffs les plus complexes et les rythmiques les plus changeantes. Difficile de s’accrocher à un thème en particulier, tant ils s’entrechoquent en permanence, et pourtant, on sent l’album cohérent, loin d’un fourre-tout pseudo génial destiné à flatter l’ego d’un artiste en mal de reconnaissance. Certes, le tout est excentrique, beaucoup auront du mal à accrocher au concept, à adhérer au parti pris, mais en terminant son parcours sur le très trouble « Ethernellement », Ex-Cathedra anesthésie nos sens, dévie notre perception, fausse notre jugement en transformant la linéarité en sinuosités, empilant les soli, les ruptures rythmiques, les signatures complexes, les couches de clavier, sans perdre de vue sa propre logique. Du cor, des violons, des nappes, d’énormes cordes, du toucher, de la grâce aussi, de la force, et de quoi étancher votre soif d’ailleurs. Un monde très particulier, auquel seront hermétiques les plus conventionnels, mais en soixante-deux minutes, CREATURE prouve que le Black Metal a toujours beaucoup de choses à dire, pourvu que son langage soit parlé par ceux qui en respectent la poésie la plus sombre.
Titres de l’album :
01. Fugue en Sol Mineur
02. “zÑ5♦mı
03. L'Odyssée Hyperpropulsée
04. Involution - Expectations
05. Note Anticosmique
06. Neo Habilis
07. Le Roi Zogue
08. La Brièveté de l'Aphélie
09. Atlantis
10. Ethernellement
"Neo Habilis" - I, Voidhanger Bandcamp
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