J’aurais bien aimé voir la tête des mecs quand ils ont entendu JESUS LIZARD, UNSANE, ou CONVERGE pour la première fois. Ils ont dû faire une grimace du style, « Ouais, on se doutait que ça allait arriver, mais on ne pensait pas forcément à ça… »
Mais que devait-il arriver au juste ? Qu’un jour, un groupe repousse les limites, non en se disant qu’ils en étaient capables, mais en ne disant pas que c’était impossible. En faisant tout ça le plus naturellement possible, sans se poser de question inutile, et en attrapant leurs instruments, pour voir ce qui allait sortir de leurs tripes. Et le boucan fut disons-le…assourdissant, mais cathartique. Depuis, les jalons sont posés, les références assimilées, et le bilan, accepté. Rien n’est plus comme avant, mais tout est encore à faire demain. Et ce tout là, viendra peut-être des Etats-Unis, encore, ou alors, de Londres.
Après tout, ne sont-ce pas ces putain d’anglais qui ont tout inventé, ou presque ? Du moins, le croient-ils, et pas mal de monde leur emboîte la pensée. Du Punk, il ne reste que quelques souvenirs sur carte postale fanée, mais celle reçue aujourd’hui de la perfide Albion est encore plus sale et mal écrite que les précédentes. Et son contenu fait mal à lire. L’écriture est chaotique, et pourtant assurée, et le propos est véhément, venimeux, hargneux, mais sincère au demeurant. L’expéditeur ? Une bande de malades qui au départ pensaient s’amuser dans un side-project devenu leur only one. Des membres de GHOST OF A THOUSAND, ASTROHENGE, ECONO, NITKOWSKI, qui une fois réunis, ont pris conscience de leur potentiel maladif de destruction, et qui ont décidé de rester dans le même giron.
Celui de la violence brute, qui reconnaissons-le, est le seul à même de vous protéger de la VRAIE réalité. Celle qui nous épuise de minute en année…
YARDS depuis leurs deux premiers EP’s, en ont parcouru pas mal. A pied, en bus, à dos de guitare, qui une fois encore, rugissent et ruminent leur mal-être comme des lames de rasoir qui nous lacèrent les chairs, les tympans, et le cœur. Ils ont peaufiné leur approche pour la rendre encore moins inoxydable, et sujette aux accès d’humeur. Alors, ne le cachons pas, ce serait d’une hypocrisie sans nom, oui leur son est délibérément influencé par celui de Ballou & friends, le son de You Fail Me, qui avait traumatisé plus d’un Punk pas encore à l’aise avec la bousculade intégrale. On y retrouve la même vision chaotique et perturbée de rythmiques en coups de boutoir, de riffs tendus et maladifs qui vous soupèsent l’âme pour mieux la brader, et ce chant, exhorté des poumons qui cherchent un peu d’air vicié, de celui qu’on respire à Londres un petit matin glauque d’hiver. Glauque, Excitation Thresholds l’est, sans contestation possible. Il est difficile d’approche, difficile d’accroche, et passe du fish n’chips à l’âne dans se demander si le couteau est assez aiguisé. C’est le genre de premier album qui taille dans le destin une réputation qu’on traîne après ça comme un boulet de canon/condamné, et qui vous oblige à chaque fois à aller plus loin, en jouant plus fort, et en composant des hymnes de mort. Je pense que les YARDS vont d’ailleurs se mordre les moignons d’avoir signé un pamphlet aussi définitif du premier coup, parce que maintenant, on va les attendre au tournant. Et dans les milieux Core interlopes de la capitale anglaise, quand les hooligans du décibel en veulent à votre intégrité, les couloirs deviennent dangereux et à éviter.
Comme une peste qui gonfle les amygdales.
Enregistré par Wayne Adams aux Bear Bites Horse Studios, pendant deux semaines au creux de l’hiver, Excitation Thresholds rassemble les fans de CONVERGE autour du cadavre de CANDIRIA, pendant que la messe est dite par les PIGS qui s’enflamment de tant de brutalité. C’est une odyssée en souffrance majeure, qui parfois joint la dissonance aux pleurs, comme si l’inéluctable avait pu être évité (« Bail Recommendation », le placebo que les UNSANE ne trouveront plus dans leur placard…). C’est une accumulation de blessures en forme de constat majeur de la scène Core contemporaine, qui n’en peut plus d’aller chercher dans le passé de quoi regretter son avenir. Doté d’un son gigantesque qui amaigrit des guitares déjà pas bien épaisses pour injecter leur graisse dans une basse à la distorsion LIZARDienne, il pousse les murs pour se faire de la place, mais manque quand même d’oxygène, et termine son parcours hors d’haleine, conscient d’avoir poussé sa résistance un peu trop loin. C’est principalement un disque qui ne répond qu’à une seule exigence, celle de tout donner comme si demain n’allait jamais exister, et qui donc, se rapproche de l’heure de gloire la plus totale de CONVERGE, alors même que ces derniers s’apprêtent à délivrer leur dernier méfait. Mais il faut aller au-delà de cette comparaison un peu réductrice pour embraser la phénoménale puissance résignée d’un premier disque qui aurait pu se vouloir conclusif d’une carrière maladive. Il faut voir au-delà du chaos d’un duo basse/batterie qui livre un combat sans merci, il faut savoir entendre plus loin que les riffs en barbelés qui protègent le champ d’une intrusion. Il faut savoir.
Savoir que des groupes capables de conclure un LP par sept minutes et quarante-deux secondes de « The Shadow Stealer », n’a décidément pas les mêmes moyens que la moyenne.
Parce qu’entamer un parcours en course folle, et le terminer en mixant la pesanteur catatonique d’un MASTODON et les itérations stridentes d’un UNSANE, ça n’est pas donné à tout le monde. Et sans faire les malins en affirmant avoir donné naissance à un hybride Proto Doom-Sickcore, les londoniens n’assument rien, et se contentent de jouer ce qu’ils ont toujours joué, en le faisant mieux que jamais, et en soignant leur sortie comme ils ont soigné leur entrée.
Une sortie presque NEUROSIS en stade terminal, pour une entrée en CONVERGE en plein délire mental. En à peine plus d’une minute, « Future Tyrants » blaste le champ d’action, et impose la rage comme réaction. Basse huge, chant démiurge, et hymne à tous les frappés pour une brutalité éhontée. « Capes Of Flesh », en sniper, pour ramasser tous ceux ayant réussi à en réchapper, sur un tapis de violence sourde, grave et pourtant lumineuse quelque part, comme un gène du mal isolé au mental.
Portions de BREACH pour une strangulation médium qui serre le cou de l’homme n’ayant pas vu le coup venir (« Knowable & Whole »), et synthèse générique pour traitement spécifique, qui ose enfin briser le moule et tenter la séduction fatale en burner à la Jane Doe (« The Attic », ce grenier ou personne ne veut aller sous peine de ne jamais en revenir entier, malgré des arpèges tentés).
La vie est une chienne, mais on en n’en a qu’une ? Peut-être, mais est-ce pour autant que l’on doit la passer à faire semblant de sourire ?
Excitation Thresholds est plus qu’un premier album, plus qu’une excitation d’avoir repoussé les limites. C’est un statut définitif, un plasma Hardcore pour hémophiles d’accords en exil, et de hurlements difficiles. Peut-être même le seul postulat de l’année, en étant honnête et lucide. Et le vrai signal de départ d’un parcours qui va se terminer en crash. Pas celui de Darby, déjà mort et honni, mais celui d’une Londres qui n’en peut plus de ne pas pouvoir être suivie.
Ville de haine. Ville de colère. Et fière de ses YARDS comme des abrutis d’américains regardant un ballon ovale s’envoler pour rien.
Titres de l'album:
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