Exhaust

Pyrrhon

06/09/2024

Willowtip Records

Nous sommes tous fatigués non ? Ce que nous avons dû subir ces dernières années n’a pas été de tout repos, entre pandémie et confinement, montée des extrêmes, racisme ambiant, féminicides multipliés par deux ou trois, violences de rue ou domestiques, baisse du pouvoir d’achat, prix de l’essence qui fait le yoyo, météo capricieuse avec crues, canicule, éboulements…Pas étonnant que plus grand-monde n’ait la capacité de s’enthousiasmer pour quoi que ce soit, sans même parler e s’investir pour l’avenir. Et pourquoi faire d’abord ? Dès qu’un embryon de solution est trouvé, on le jette aux toilettes et on tire la chasse. Parce que le profit, parce qu’il est plus facile de continuer à faire ce que nous avons toujours fait plutôt que de changer et de s’offrir des perspectives. J’en connais même qui renoncent et se suicide face au désespoir et au manque total de perspectives. La lumière se tamise de plus en plus, et le chaos occupe une place centrale dans l’évolution de l’humanité. Qui nous réserve sans doute encore quelques surprises bien vilaines.

Désolé de casser l’ambiance, mais quand je vois un animal mort les tripes à l’air, même en dessin, ça n’aiguise pas forcément mon optimisme. De nature misanthropique, asociable, je ne peux que faire un pas de côté lors des thérapies de groupe. Je préfère me confier à la musique qui m’apporte depuis des années plus de soutien que n’importe quel praticien. Prenons par exemple le cas des américains de PYRRHON. Leur formule tout inconfort propose des pirouettes, des écarts faciaux, de la transpiration à gogo, et une obligation formelle de regarder la réalité en face, aussi hideuse soit-elle.

Certes, c’est assez peu engageant, mais ça a le mérite d’être honnête.

Depuis leur émergence sur la scène de Brooklyn, autrefois réputée pour ses réflexes Hardcore, les PYRRHON n’ont guère profité d’un moment de temps libre. Album, on tourne, on compose, un autre album, et ainsi de suite. Jusqu’à ce jour fatidique où tout le monde a été consigné à demeure. Dès lors, la méthode devait changer, non par choix mais par obligation. Un album qui sort en plein marasme de pandémie, une tournée avortée, une reprise de contact avec les clubs en une ou deux occurrence, et l’occasion enfin de garder un peu de temps pour soi et de changer les habitudes. Et de façon radicale. Laquelle ? Une retraite non aux flambeaux mais créative, isolés de tout, perdus dans la pampa avec des instruments et ce désir viscéral de créer.

Nous n’avions jamais fait de retraite créative auparavant, et c’était tellement cool d’écrire des trucs à la volée. Écrire dans la même pièce nous a montré que nous n’avions pas besoin de nous forcer pour composer quelque chose de valable. Il y avait beaucoup de liberté dans le groupe, surtout quand on a fait cet album. Le fait de faire preuve d’énergie dans la même pièce nous a aidés à nous faire davantage confiance

Et ça se sent. Dès le début. Bien que la musique de PYRRHON ait toujours été éminemment chaotique et discordante, Exhaust a poussé le bouchon encore un peu plus loin, comme un chat qui fait glisser un objet random sur une table. Alors, Exhaust d’accord, mais pourquoi ?

Ça traite de l’expérience d’être poussé au-delà de votre capacité à encaisser les choses. Nous avons affronté une pandémie, et maintenant les gens agissent comme si elle n’avait jamais eu lieu. Nous avons connu une tentative d’insurrection fasciste, et maintenant les gens agissent comme si cela n’était pas arrivé. C’est le sentiment de jongler constamment avec les choses et de ne jamais les maîtriser. Ce ressenti occupe une grande part de cet album et des images qui en découlent.

Tout ça fait beaucoup. Et pour retranscrire les émotions d’une pandémie et de ses conséquences, il faut en avoir sous les sabots. Mais les new-yorkais ont l’habitude de composer des morceaux alambiqués, qui génèrent bien des sentiments contraires, ou complémentaires. Ce nouvel album ne déroge à aucune règle, et il est très difficile de savoir qu’il a été composé dans un vieux chalet les yeux dans les yeux. Son professionnalisme évoque les studios les plus modernes, ses impulsions la maturation la plus complète, et sa puissance la concentration la plus absolue. Tout est résumé en dix morceaux, et ces dix morceaux sont des explosions de rage, d’incompréhension, de frustration et animés d’un désir d’annihilation.

D’où ce monstrueux « Concrete Charlie », horrible créature de béton, d’excréments, de règles tacites et de liberté au-delà de l’entendement. Entre Death expérimental et Mathcore gonflé aux anabolisants, le registre est toujours aussi brutal et dissonant, et l’effet sur le moral fluctuant. A la manière d’un faux jumeau de CONVERGE et DILLINGER ESCAPE PLAN passé de l’autre côté de la frontière Death, PYRRHON pulvérise, atomise et s’embarque dans des digressions violentes, chaotiques, parfois cacophoniques, et accouche d’abominations comme « First As Tragedy, Then As Farce » ou « Stress Fractures ».

On se dit même qu’un ATHEIST perdu sur le chemin de la vie, et en pleine psychose aurait pu accoucher d’un album pareil. Ces variations, cette technique prédominante, cette envie de lâcher tout ce qu’on a sur le cœur correspondent assez bien aux réflexes nineties, lorsque le Death Metal s’appuyait un peu plus sur le solfège sans renoncer à son instinct bestial.

Un album éprouvant, voire même exténuant. Pas étonnant que les new-yorkais l’aient baptisé ainsi, nous vendant uniquement ce qu’ils ont à offrir. Le tempo irrégulier et haché, cette guitare qui ne semble pas accepter la notion de riff clair et précis, et ce chant ignoble caractéristique des plus acharnés Hardcore, tout contribue à vous mettre mal à l’aise, et surtout, à forcer sur votre résistance morale et physique. « Last Gasp » a même ce petit sadisme de Portland dans ses discordances, ce qui ne fait que renforcer l’aspect « torture » de l’expérience.

J’étais fatigué, je suis épuisé. Flapi, étalé pour le compte. J’ai eu ma dose, à vous de vous injecter la vôtre. Attention aux effets secondaire toutefois. Car une fois la pilule avalée, la vie vous paraitra encore plus insupportable et bordélique.

        

Titres de l’album:

01. Not Going To Mars

02. First As Tragedy, Then As Farce

03. The Greatest City On Earth

04. Strange Pains

05. Out Of Gas

06. Luck Of The Draw

07. Concrete Charlie

08. Stress Fractures

09. Last Gasp

10. Hell Medicine


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par mortne2001 le 07/12/2024 à 17:03
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