Telle une chauve-souris noire planant sur nos nuits blanches, les DUST LOVERS reviennent pour planter leurs crocs dans les accros de notre vie trop sage, nous proposant une fois de plus un voyage nocturne dans le film de notre existence trop morne. Les amoureux de la poussière l’enlèvent donc des vieux grimoires pour invoquer les esprits anciens, ceux qui animaient l’imagination des amateurs de Rock garage, psychédélique, sombre, et plus simplement romantique dans la noirceur, et nous offrent avec ce Fangs une démonstration de leur capacité à nous servir la jeunesse éternelle sur un plateau de guitare/basse/batterie. Initialement baptisé THE TEXAS CHAINSAW DUST LOVERS en hommage au film de Tobe Hooper, les parisiens/nantais, en plus de raccourcir leur nom ont changé de direction, évoluant aujourd’hui dans un univers filmique assez fascinant, sorte de BO de l’enfer ne retenant de l’histoire de la pellicule que ses épisodes les plus iconoclastes et pulp. On trouve toujours de tout dans leur musique, du Rock un peu trash, de l’attitude Pop, des attouchements alternatifs, des pauses dansantes et lascives, mais surtout, une fascination pour la série B la plus fameuse, constellée de personnages étranges et d’une faune interlope peu encline à se satisfaire d’une routine normative ennuyeuse. Avec Fangs, le quatuor (Clément Collot : guitare/chant, Nagui Mehany : guitare/chant, Christophe Hogommat : batterie et Etienne Collot : basse) renouvelle légèrement son bestiaire, et se rapproche plus de Bram Stoker que de Twilight, se permettant même quelques allusions mutines à What We Do in the Shadows pour agrémenter leur Rock d’un brin de fantaisie plus légère. En résulte un album étrange comme une nuit éternelle, parsemé de rencontres inquiétantes, de moments de partage uniques, et bien évidemment de musique, une musique métissée, multiple, aux influences éparses, et au rendu effectif. Et en effet, ce nouvel épisode de la saga ressemble à s’y méprendre au soundtrack d’un film Indie un peu chelou aux histoires d’amour sous opiacées.
Lâchant quelques références utiles au moment d’aborder le truc (ELVIS, THE CRAMPS, DESERT SESSIONS, Ennio MORRICONE, MR. BUNGLE), le quatuor noie le poisson et continue de tracer sa route librement sans s’embarrasser d’étiquettes encombrantes. Il y a du Garage là-dessous, mais aussi de la Pop un peu décalée, du Rock plus classique évidemment, des adaptations Stoner de classiques américains, et en gros, tout ce qu’il faut pour immerger l’auditeur dans un univers très personnel. Enregistré et mixé par Christophe Hogommat, masterisé par Sylvain Biguet, Fangs réveille donc les vieux démons des CRAMPS, ressuscite pour quelques instants le fantôme de Peter Murphy, s’acoquine avec les 7 WEEKS, n’oublie pas la nouvelle-vague française de l’orée des années 80 (MARQUIS DE SADE, TAXI GIRL), mais n’oublie pas non plus de tisser sa propre toile pour engluer les victimes de la nuit, un peu trop confiantes en leur bonne étoile. Oh, rien de vraiment surprenant, mais du stupre, de l’androgynie, des œillades en costume élimé un peu déstabilisantes, et une façon de traiter le Blues comme un Death Rock du désert en réconciliant Chris ISAAK et BAUHAUS (« Negativity »). Un trip qu’on prend plaisir à s’injecter, malgré le risque d’accoutumance très concret, et une façon de survoler des années de Rock pour stopper sur les cases du Psychobilly fun et déjanté (« Born To Lose », plus Poison Ivy que Johnny Thunders, mais Punk quelque part quand même), ou du synthétique Dance pour faire valser les vampires dans leur propre éternité (« Night Cruising », on imagine bien Pacino en cuir se déhancher sur des démos de DEPECHE MODE vers 1980). Tout roule donc sur du velours Raoul, et si personne ne pédale dans la semoule, le temps passe plus vite, comme si le groupe essayait de faire entrer une vie en une seule nuit, et les échanges se veulent multiples, toujours plus ou moins monochromes ou noir et blanc, avec cette petite coloration de sang qui perle de la pellicule. Les arrangements, sobres, plantent quand même l’ambiance, et si la rythmique à cette souplesse suédoise roublarde, si le chant adopte parfois des phrasés presque Rap (« Revelation »), l’arrière-boutique est infestée de toiles d’araignées et de souvenirs d’un passé passé à trop regarder de films déviants et gentiment glauques.
Le son, nickel et abordable laisse peut-être traîner quelques regrets de ne pas se replonger dans l’approximation des bandes à la qualité fluctuante, mais il permet d’apprécier des inserts un peu giallo, à la GOBLIN en version plus actuelle (« Higher Desire (part. One) »), des clins d’œil à la génération actuelle qui n’hésite jamais à frotter le Rock à la Pop la plus lascive (« Higher Desire (part. Two) »), ou des bourrasques plus évidentes, qui rappellent le radicalisme de NIRVANA sur ses accès de colère les plus épidermiques (« Fangs », Cobain et Lux Interior en vadrouille dans une vieille Chevrolet à la recherche du vinyle ultime perdu).Alors bon tout ça peut vous sembler très abscons, mais raconte-t-on un film dans le détail pour perdre l’effet de surprise ? Non, bien sûr que non, et si les ombres du GUN CLUB, de X-JAPAN, VARSOVIE, planent parfois bas dans ce ciel obscurci, c’est pour mieux réveiller les armées de la nuit qui continuent de faire des victimes dans la population sans défense. Sorte de profanateurs de sépultures ne venant pas de l’espace, les DUST LOVERS ne mordent pas que la poussière pour grossir leurs rangs, et draguent tous azimuts, avec des astuces de dancefloor gothique (« Night Fight »), sans jamais justement tomber dans la vulgarité d’un Dark Rock trop empesé de ses références. Tout passe comme dans un rêve diurne/nocturne éveillé, qui se termine par un mariage entre un leader blafard comme la coke soufflée sur une carte de visite floue, et l’héroïne trop heureuse de voir son sang contaminé par un éclair d’éternité. On se laisse aller, on s’enivre au son d’un Blues Pop funèbre mais joyeux (« Goldie »), et puis tout est soudain fini, les invités disparus dans la nuit, et le réveil un peu difficile, avec une horloge qui égrène ses secondes devenues heures sans aucune pitié (« After a Thousand Years, The Vampire Finally Die Alone »).
Vous n’avez pas besoin d’aller zoner sur Netflix pour trouver le bon film à regarder. Les DUST LOVERS vous l’offrent sur un plateau surtout pas d’argent avec Fangs. Ne vous reste plus qu’à arborer votre plus belle chemise à jabots et à réviser vos classiques fifties avant de rejoindre les hordes nocturnes.
Titres de l’album:
01. Negativity
02. Born To Lose
03. Night Cruising
04. Revelation
05. Higher Desire (part. One)
06. Higher Desire (part. Two)
07. All About You
08. Fangs
09. Night Fight
10. Goldie
11. After a Thousand Years, The Vampire Finally Die Alone
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