Je suis en colère, tu es en colère, ils sont en colère. Les allemands sont en colère, les français sont en colère, les grecs sont en colère, les américains aussi, mais les italiens semblent particulièrement remontés. Oh, en surface, rien n’est pire chez eux que chez leurs voisins européens (mais un peu quand même, surtout avec une coalition de droite menée par la Ligue), et d’ailleurs, si l’envie vous prenait d’aller jouer les touristes transalpins, gageons que vous ne remarqueriez rien de particulier. Non, l’agitation est plus sourde, et plus underground puisqu’il faut bien utiliser le terme. Le peuple a peur, peur de l’avenir, celui d’une Europe qui se désagrège sous le regard impuissant d’Angela, celui d’une Europe que le gouvernement français verrait bien en start-up géante et autonome (mais sous la coupe de la BCE évidemment), et surtout celui d’une humanité qui n’en est plus que de nom, et qui se dirige tout droit vers une impasse économique et écologique. Alors, oui, ils ont des raisons d’avoir peur, tout comme nous d’ailleurs, tout comme toi, tout comme eux. Et cette peur se transforme petit à petit en rage, celle des insoumis, qui finalement, préfèrent le chaos à l’absence de révolte. Et cette révolte se manifeste de façon artistique par la pratique du coup d’état (en français dans le texte, même transposé en Italie), via la parution de pamphlets aussi virulents qu’un pavé lancé à la tronche de la répression. De fait, musicalement, c’est le bordel. Le Hardcore se taille donc la part du lion, lui qui a toujours été le moyen d’expression préféré des agitateurs salutaires. Rien d’anormal donc de constater que le nouvel album des DISCOMFORT est aussi puissant qu’une colère grondante émergeant des rangs serrés d’une manifestation.
Les vrais savent qu’ils n’en sont pas à leur coup d’essai, et que Fear n’est que le fruit d’un long cheminement interne/externe. Après avoir subi les attaques justifiées de Scorn en 2013, puis de Worst en 2015, les fans se doutaient bien qu’une nouvelle étape allait les faire franchir un nouveau palier, transformant le pire en mépris, puis le mépris en peur. Et cette peur-là tient de la réaction naturelle d’un animal sauvage pris au piège d’un destin inéluctable, qu’il tente par tous les moyens d’éviter, en jetant toutes ses forces dans la bataille. Et même perdue d’avance, elle ne le sera pas sans effusion de sang, sans cris, et sans blessures infligées à l’ennemi. C’est en tout cas ce qu’essaient de nous dire ces dix nouveaux morceaux qui ne rentrent absolument pas en contradiction avec le passé, mais qui capitalisent sur son expérience pour tenter de porter la douleur à une dimension supérieure. On y retrouve l’urgence de l’ultraviolence, le chaos des coups de boutoirs portés, les estocades qui trouent les chairs, et surtout, les sons qui vrillent les tympans. Toujours à cheval entre Hardcore lourd et Chaotic Core sourd, les italiens de DISCOMFORT cherchent justement à sortir l’auditeur de sa zone de confort pour lui prouver qu’il existe une troisième voie, pas forcément diplomatique, mais beaucoup plus réaliste et concrète. Pour la dessiner, ils utilisent des éléments de Hardcore moderne, de Grind contemporain, mais aussi de Mathcore assez peu démonstratif dans le fond, pour tenter de tirer un trait d’union entre les mouvements, et concrétiser cette terreur qu’ils essaient de susciter au sein des factions opposées. Lesquelles ? La société, le mal-être ambiant, l’ordre établi, la fatalité, qui en prennent un coup, tremblent mais ne semblent pas s’effondrer.
Pourtant, l’effort est notable, dense, et impressionne. Perfectionnant encore plus leurs recettes, les italiens se rapprochent des CONVERGE, de BOTCH, mais aussi de CANDIRIA, des UNSANE, des NAILS, de CULT LEADER, des PRIMITIVE MAN, tout en lâchant quelques grimaces de circonstance aux MELVINS et à NEUROSIS, histoire d’appuyer pile là où ça fait très mal. Cette musique qui ne supporte pas vraiment la comparaison avec une quelconque pâleur de ton, assourdit, laisse alangui, presque hagard, mais terriblement conscient des réalités. On y sent la véhémence de ceux qui ne fuient pas en avant, mais qui affrontent leur époque avec les armes adéquates. Alors, beaucoup de gravité évidemment, quelques stridences pour l’inspiration, mais aussi des ralentissements, sournois, à l’image sonore de cet insidieux « Longing », placé en fin de parcours pour tester notre résistance et qui porte à ébullition la marmite mise à chauffer à blanc dès l’intro « Fear ». Dualité vocale digne d’un Grind anglais de tradition ou d’un Crust américain en unisson, guitare maladive qui lâche ses riffs les plus contradictoires, tâtant de l’épaisseur pour mieux effiler son tranchant d’impudeur, rythmique polyvalente qui se fixe parfois, pour appuyer les dires, mais qui aime l’équilibre instable de mesures qui inspirent, et le tout sonne comme un cauchemar conjoint entre toutes les références déjà énoncées, sur fond de bande sonore d’une apocalypse programmée. Quelques mélodies anémiées sont disséminées pour rappeler que l’espoir se meurt, mais qu’il halète encore de peur (« Divide », final en Némésis/Catharsis avec une simple guitare en accords de sueur qui s’époumone pour accrocher la demi-heure), mais l’essentiel s’articule autour d’une cohésion titanesque entre tous les acteurs de jeu (« Cold », entrée en matière qui juxtapose une rythmique et une ambiance purement Death à une expression nihiliste typiquement Loudcore), qui témoigne d’une vitesse qui concrétise l’urgence autour d’un Chaotic Core au corps à corps (« Unborn », bruyant, redondant, mais tellement intelligent dans ses répétitions hachées).
Et même s’ils gardent la foi (« Faith », lien entre hier et demain pour un faux rythme main dans la main), même s’ils tentent le coup du siège comme ultime désespoir (« Siege », blasts, harmonie de guitare acide, et changements fréquents pour ne pas laisser la routine s’installer), s’ils comptent les corps une fois l’aube levée pour ne pas se leurrer (« Bodies », UNSANE et BRUTAL TRUTH en infirmiers qui ne pansent aucune plaie), les DISCOMFORT finalement, ne font que matérialiser un destin funeste qui nous attend tous à l’arrivée. Un destin qui accepte la peur comme ultime motivation, mais qui connaît ses desseins aussi bien que n’importe quel oracle. Et de fait, Fear reste certainement l’implication la plus fidèle de musiciens envers leur époque, qu’ils conchient, contre laquelle ils se dressent, mais qui aura raison d’eux comme de nous. Une raison de plus d’être en colère.
Titres de l’album:
01. Fear
02. Cold
03. Siege
04. Trapped
05. Bodies
06. Unborn
07. Faith
08. Deprive
09. Longing
10. Divide
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