C’était au milieu des années 90. Nous étions attablés entre amis, et Sam, batteur de son état buvait une bière, lorsque l’intro de « Sober » a retenti dans la pièce. Il a fixé son regard, posé sa bière, et a commencé à taper des doigts sur la table, avant de lâcher un péremptoire « non mais cette intro, c’est pas possible, il y a deux batteurs, c’est inhumain !! ». Il avait raison et tort à la fois. Oui, cette intro était incroyable, mais non, il n’y avait décidément qu’un seul batteur, Danny Carey. Et c’est ce jour-là je crois que j’ai compris TOOL. Un groupe presque sorti de nulle part, qui en un seul album, un seul, a révolutionné le son des nineties. On ne parlait pas encore de Post Metal à l’époque, ou alors dans le cénacle des initiés, qui se repaissaient de leur propre élitisme. Non, on parlait encore de Metal alternatif, ce style bâtard dans lequel on rangeait tout ce qui n’avait pas sa place ailleurs, ni ici. Mais TOOL a-t-il un jour été un groupe, stricto sensu ? Avec les occupations incessantes de Maynard James Keenan au sein d’A PERFECT CIRCLE, de PUSCIFER, l’obligation pour ses comparses de bosser sur de longues pistes instrumentales avant que le chanteur n’ait le temps d’écrire des textes et pire, d’enregistrer des vocaux, et cette manie de faire patienter leurs fans de plus en plus longtemps, il y a de quoi en douter. Parlons plutôt de collectif, qui une fois à l’occasion rassemble ses idées, et nous enthousiasme de son culot resté intact. Treize ans depuis le platiné 10.000 Days, et cinq ans de moyenne entre Lateralus, Aenima et le reste. Pour un groupe qui fêtera bientôt ses trente ans de carrière, les chiffres ne sont pas éloquents, mais TOOL n’a jamais été une question de chiffres, même si leur équation est d’importance. Ce qui l’est aussi, c’est leur fonction au sein de la grande famille du Metal qui se déchire déjà à leur propos. Et cette fonction dérive avec le temps, avec pour seules limites, l’infini de leur imagination, la folie de leur créativité. Vous pensez déjà que le statut de Fear Inoculum est galvaudé, que le quatuor n’est qu’un méchant rideau de fumée qui cache un vide intersidéral ? Vous invoquez le paravent du snobisme, la touche arty qui force à séduire sous peine de passer pour un cuistre ? Vous avez peut-être raison, mais vous n’empêcherez jamais les fans d’aimer. Et ça, c’est l’essentiel.
Dans les années 70, personne n’attendait cinq ans ou même quatre pour sortir un album. La règle voulait qu’une nouvelle œuvre fasse son apparition tous les ans, voire tous les deux ans à la rigueur, mais pas plus. Et si les fans de PINK FLOYD avaient dû patienter treize années avant de découvrir ce qui séparait Meddle de son successeur, ils n’auraient certainement pas pu placer Dark Side of the Moon sur un piédestal. Parce qu’en 1984, ce chef d’œuvre n’aurait pas eu lieu d’être. Il en va de même pour Fear Inoculum qui en 2019, est jugé hors contexte par des détracteurs qui le condamnent à n’être qu’une pâle copie de ses prédécesseurs. Une morgue un peu trop assurée qui ne fait que résumer des certitudes pétries depuis trop longtemps, et peut-être le meilleur moyen de régler leur compte à ses artistes surfaits, à la réputation galvaudée, à la perfection discutable. Dans les faits, et produit une fois encore par Joe Barresi, ce cinquième album se place dans une directe lignée, semble ne prendre aucun risque, et incarne pourtant le plus gros pari d’un groupe qui conchie la promotion, qui vomit la télévision, et qui ne distille ses interventions dans les magazines qu’avec une ironique parcimonie. Ironique, parce qu’ils savent très bien qu’ils n’ont nulle besoin de promotion pour continuer à être révérés, et parce que les fans les attendent comme le messie à chaque coin de bac, à chaque vulgaire notule de fanzine. Alors, il est là aujourd’hui, vendredi 30 août de l’an de disgrâce 2019. Il est là physiquement, entre mes mains, mais aussi virtuellement, un peu partout sur les plateformes et autres supports moins légaux. De sa superbe, comme le dirait Benjamin Biolay, il toise le reste de la production, pâle à côté, il fait se retenir le souffle des mélomanes, et distille justement les mélodies les plus pures que le groupe américain à jamais couchées sur bandes. Et dans les faits, après plusieurs écoutes non religieuses, mais appliquées - l’amour et la passion ne pouvant être des dogmes pour le chroniqueur - il se découvre de quelques fils, laisse apparaître le reflet d’un groupe apaisé, certain de ses positions, et roublard dans le fond, avec ses textures qui se pèlent comme la peau d’une orange, sans jamais vraiment découvrir le fruit.
Celui défendu de TOOL, a toujours été la simplicité. James, Danny, Adam et Justin ont toujours détesté la facilité, au point que le contrepied en a souvent été pris, en les traitant d’habiles contrefaiseurs, mais de piètres compositeurs. Sous ce point de vue-là, Fear Inoculum ne changera pas la donne. Avec six morceaux sur sept qui piétinent les dix minutes, des riffs qui en utilisent plusieurs pour s’installer, des arrangements épars (aide de LUSTMORD pour les bruits d’océan sur « Descending »), des rythmiques et idées complexes tournant toutes autour de la mythique du 7, un concept de départ que Maynard voulait intégral pour un seul morceau d’une heure et vingt minutes, et comme cerise sur un gâteau déjà chargé un packaging CD avec écran digital intégré au support pour la bagatelle de quatre-vingt-euros, il était impossible que les sourcils ne se froncent pas, et que les dents ne grincent pas. Si vous ajoutez à ceci les dithyrambes jetées en public par des institutions comme le NME, FIP, on s’attendait presque à entendre « Pneuma » sur RTL et Skyrock, et à voir Maynard au journal de vingt heures déguisé en Yann Moix. Heureusement, telle mascarade nous aura été épargnée, et quel que soit l’écart de convergence entre les divergences, ce cinquième album tient toutes ses promesses, mais pas à la fois, et surtout, pas en une seule fois. Il eut été logique et presque prévisible que le groupe s’éloigne de sa zone de confort, si bien délimitée, et que les musiciens se servent de leur propre expérience extra muros pour alimenter le juke-box. Sauf que TOOL n’a pas honte d’être TOOL, et qu’ils ont eu la grande intelligence de ne pas dévier de leur non-ligne de conduite en poursuivant le travail laissé en suspens il y a treize ans. Il eut aussi été compréhensible que cet album louche vers le plus glorieux passé, et tente de refourguer des thèmes nineties, ce qu’il fait partiellement, et uniquement sur le long final « 7empest », le travail le plus accompli d’Adam selon les spécialistes de l’extrême. Ces mêmes spécialistes qui jugent que les lignes de chant de Maynard sont les plus abouties de sa carrière, ce qui est en partie vrai, mais pas uniquement.
D’une façon très pragmatique et dans un désir de vulgariser à outrance, je pourrais m’amuser de formules et dire que Fear Inoculum est le meilleur album de TOOL que DREAM THEATER n’enregistrera jamais. On retrouve cette manie de placer des signatures rythmiques et des prouesses techniques toutes les deux mesures, cette façon progressivo-intellectuelle de broder un riff pour le regarder muer, avant d’en reprendre le fil. Pour faire court aussi, je cracherai avec joie que tout a été construit comme un gigantesque crescendo destiné à nous faire atterrir sur le cactus « 7empest ». Mais ce constat serait méprisant envers la dentelle ouvragée des textures empilées de « Fear Inoculum », arabisant de ses boucles et des intonations de James, mais terriblement occidental dans sa façon de laisser la mélodie grandir en vous, comme ce fameux virus que le titre se plaît à décrire. Le virus de quoi au juste ? De l’âge, de la « maturité » qu’invoquent les instrumentistes au sac à dos bien chargé et aux rides bien prononcées. De ces percussions si fines qu’on a peur de les casser des tympans, de ces parties de guitare qui sont plus à prendre comme des nappes que comme des riffs (d’ailleurs, la moitié de l’album est complètement exempt de thème mémorisable, comme pour bien souligner que les gimmicks putassiers ne sont pas le genre de la maison), de ces progressions qu’on découvre en restant attentif, parce que délicieusement noyées dans les répétitions…Avec beaucoup de recul et d’humour, TOOL s’affirme d’ailleurs « Invincible », aidé en cela par la basse toujours claquante de Justin Chancellor, l’éternel « petit dernier ». Mais il n’y a finalement pas grand-chose à dire sur ces sept compositions et cet interlude (la version digitale de l’album en contient trois, pour renforcer l’idée du « trip intégral et unique de Keenan), puisque encore une fois, cette musique demande à être ressentie par chacun selon ses inclinaisons, ses goûts, sa sensibilité et son humeur. La mienne lorsque j’ai découvert l’album était très bonne. Un heureux accident dans la journée qui m’a donné le sourire, et qui a donc ouvert mes canaux à la perception.
Je n’irai certainement pas jusqu’à dire que j’étais heureux, mais je pouvais de nouveau ressentir. Pour les autres, imperméables, pervers du scepticisme, ou tout simplement sous l’emprise d’une aversion irrémédiable, Fear Inoculum ne sera que le cinquième album d’un des groupes les plus surestimés du monde. Nous sommes à la fin des années 2010, et Sam n’est plus à table avec sa bière. Dommage. Il m’en aurait certainement dit de belles sur la partition de Danny Carey pendant le final de « 7empest ».
Titres de l’album :
1.Fear Inoculum
2.Pneuma
3.Invincible
4.Descending
5.Culling Voices
6.Chocolate Chip Trip
7.7empest
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