Sur ce coup-là, ça va être plutôt simple. Imaginez un EXCITER après une semaine passée à Prypiat à se manger des radiations VENOM et à écouter du DISCHARGE passé en 78 tours, sentez la température monter et le compteur Geiger s’affoler, et vous aurez un aperçu assez précis de ce qui vous attend au tournant avec les américains de BLACK MASS. BLACK MASS, c’est un nom assez courant pour une musique qui ne l’est pas tant que ça. Formé en 2012 à Boston, Massachusetts, ce trio infernal privilégie évidemment une optique passéiste et délicatement nostalgique, mais le fait en jouant le jeu à fond, et en faisant preuve d’un indéniable panache. Constitué de trois killers on the loose dont deux courent depuis le début de l’aventure (Cristian Azevedo – basse/chœurs, Brendan O'hare – guitare/chant) plus un batteur ayant rejoint le sprint en route (Alex Fewell, SCAPHISM, VRAWSCHE, DESPOILMENT (live), FUMING MOUTH (live), PARASITIC EXTIRPATION, ex-FORCED ASPHYXIATION, ex-ABSTRUKTOR, ex-WHATCHAMACARCASS, TRUTHSEEKER, ex-INFERA BRUO (live), ex-LED TO THE GRAVE (live), ex-OBSIDIAN TONGUE (live), ex-SADISTIC RITUAL (live), ex-GOZU (live), ex-SACRELIGION (live)), ce groupe de têtes brulées n’envisage le Thrash que sous son aspect le plus blasphématoire et bestial. Pour autant, ces petits démons lâchés sur terre ne sont pas des manchots dans leur genre, et leur travail instrumental est assez remarquable.
Avec deux albums au palmarès de la sauvagerie (Ancient Scriptures en 2015 et Warlust en 2019), le trio connaît son boulot, et le fait de mieux en mieux. Car loin de se contenter d’une banale relecture des écritures anciennes, les marsouins se sont lancé corps et âme dans un lifting des vieilles peaux, pour offrir un cul lisse au destin. Adeptes de la rythmique en chien de fusil si prisée par les Punk et les Crust maniacs, les BLACK MASS parviennent encore à combiner la rage du Hardcore, la noirceur du Black primaire des années de découverte, et l’épaisseur du Thrash de première génération, celui développé en parallèle des bancs de la fac Bay-Area.
S’ancrant dans le mouvement old-school le plus brutal et viscéral de ces dernières années, Feast at the Forbidden Tree est encore un festival de riffs en moissonneuse-batteuse, refusant le sacro-saint principe du lick unique qui porte un morceau jusqu’à l’inévitable break. Ici, les thèmes s’enchaînement à une vitesse incroyable, le chant blindé d’écho domine les débats de son timbre rauque, mais les mélodies n’ont aucun mal à monter au front. C’est ce mélange détonant et étonnant qui fait le charme unique de ce groupe, capable d’évoquer la scène brésilienne, HELLHAMMER, RAZOR, LIVING DEATH, mais aussi la nouvelle génération des thrasheurs fous, admiratifs de leurs aînés.
Et c’est après une longue intro que les choses dégénèrent vraiment, lorsque la batterie commence son tir de barrage sur fond de moulinage de guitare aussi sévère qu’un claquement de règle sur les doigts d’un cancre. Loin de se planquer au fond de la classe de solfège pour que personne ne remarque qu’ils n’ont rien foutu depuis la rentrée, les trois trublions font montre d’une maîtrise incroyable en termes de composition, et les lignes concentriques et serpentines de Cristian Azevedo surprennent dans un tel contexte de débauche. Il faut entendre la musicalité d’un titre suintant le stupre comme « Nothing Is Sacred », sorte de poème noir proto-Black comme on aurait pu en enregistrer dans les années 80 en prenant appui sur MAYHEM, MERCYFUL FATE et SARCOFAGO, pour comprendre que ces musiciens ne sont pas des monomaniaques coincés dans leurs certitudes. L’ambiance instaurée par les trois américains est bouillante, mais aussi savante. Pas question de confondre vitesse et précipitation, et chaque idée est millimétrée pour ne pas empiéter sur la suivante.
Ainsi, malgré des titres assez longs et des structures évolutives rondement menées, l’album dégage une impression de pression et de folie constantes, et enthousiasme autant qu’il n’ébouriffe. C’est d’ailleurs le point fort de cette réalisation, parvenir à concilier hystérie d’ambiance et sophistication des idées. Et cette combinaison ne peut s’obtenir que lorsqu’on est un véritable amoureux d’un genre qui trouve ses racines dans les années 86/87, dans l’underground américain (nord et sud), et qu’on a appris à manipuler son instrument avec assez de flair.
Du début à son terme Feast at the Forbidden Tree s’agite comme un serpent qui vous offre non une pomme, mais qui distribue des pains comme Jésus après un stage de kickboxing chez un boulanger. Mais décidément plus futés que la moyenne, les musiciens aménagent des espaces plus aérés, des riffs plus posés, et des soli plus mélodieux, histoire de ne pas se contenter d’une attaque éclair. Ainsi, « They Speak in Tongues », Heavy/Thrash en diable, à de faux-airs d’exorcisme pratiqué sur une pauvre femme innocente qui n’a rien demandé, et qui se retrouve à poil, attachée sur un lit. On pourrait pointer du doigt quelques miracles accomplis par les BLACK MASS, mais c’est la cérémonie entière qui mérite toute l’attention, d’autant que le travail d’Alex Fewell est époustouflant, profitant d’un son cru et analogique en diable.
La fin de l’album, tout en continuant le travail de sape, propose une déviation intéressante sur l’hystérie générale, et avoue une fascination pour DESTRUCTION, mais aussi les VULCANO et autres chantres de la bestialité. Et « Blood Ritual » de terminer l’aventure nocturne en grandes pompes, toujours grâce à ces riffs incroyablement catchy et dissonants, propres à faire passer les VOÏVOD pour de simples artisans.
Voilà donc un petit précis à l’usage des nostalgiques qui ne supportent pas d’obtenir la moyenne en copiant sur leur voisin érudit. De la folie, patente à chaque seconde, de la créativité, de la précision dans la débauche, pour un troisième album qui fait honneur à son rang. Le premier évidemment.
Titres de l’album:
01. Intro
02. Unholy Libations
03. Dead to the World
04. A.S.H.E.S
05. A Path Beyond
06. Nothing Is Sacred
07. They Speak in Tongues
08. Betrayal
09. Blood Ritual
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