Le Rock Progressif c’est pompeux, et merci au Punk de lui avoir indiqué la sortie. Combien de fois avons-nous entendu cette phrase, qui résume à merveille la mort des derniers dinosaures des années 70 et l’émergence de la simplicité musicale érigée en dogme incontournable ? J’en conviens, aux alentours de 76/77, ça commençait à sentir mauvais et à devenir fatiguant. Entre les pistes de danse envahies par les maniaques du Disco et les stades remplis de groupies masculines et féminines s’ébaubissant des performances individuelles de héros en crise d’ego aigue, il y a avait de quoi s’agacer et se tourner vers des préoccupations plus personnelles. Pour certains, beaucoup même, ce furent Londres et New-York, les RAMONES, PISTOLS, DAMNED, la scène No-Wave, la New-Wave, mais pour d’autres, qui n’avaient cure des modes et des attitudes de poseurs, le Rock Progressif est resté cet exutoire magnifique, regorgeant de mélodies sublimes et de parties techniques à rendre fou un ingénieur d’Apple, à peine âgé de 20 ans. Je n’ai personnellement pas connu cette émergence à temps, et je n’ai vécu la gloire des YES, KING CRIMSON, PINK FLOYD, ELP que par procuration, en lisant les magazines de mon grand frère, qui relataient souvent avec beaucoup de mépris le parcours de ces légendes. De cette condescendance est né le terme « Pomp Rock », désignant avec beaucoup de dédain les instrumentistes un peu trop concentrés sur l’onanisme perso. Il est vrai que les 80’s n’ont pas été faciles pour les manieurs de gammes et les dévaleurs de manche. Le Prog s’est vite adapté à l’air du temps, produisant des tubes Pop calibrés (école YES, « Owner of a Lonely Heart »), ou des crossover qui se voulaient précis, mais un peu plus maniérés que précieux (méthode IQ, entre autres). Alors, une nouvelle génération a émergé, renvoyant les anciens à leurs chères études de Canterburry, et de nouveaux adeptes ont occupé la scène, les SPOCK’S BEARD, les DREAM THEATER, les PORCUPINE TREE, FLOWER KINGS…Toujours à la limite du Rock, du Hard, du reste aussi, mais pas pleinement légataires du savoir-faire ancestral. Un savoir-faire qui semble avoir traversé les continents pour atteindre un jour la Norvège, et mettre dans la lumière les MAGIC PIE.
MAGIC PIE, un nom qui fleure bon les seventies de SWEET SMOKE, les mushrooms qu’on avalait pour se marrer, les space cakes qui permettaient de voir une réalité alternative. Et malgré cette connotation très marquée, il est certain que les norvégiens ont su adapter les exigences des grands anciens au réalisme des « petits nouveaux ». En vingt ans d’existence, et seulement cinq albums, le sextet (Eirikur Hauksson - chant, Eirik Hanssen - chant/chœurs, Kim Stenberg - guitare/chœurs/composition/arrangements, Erling Henanger - claviers/chœurs, Lars Petter Holstad - basse/chœurs et Jan Johannessen - batterie) a su combiner la complexité des inspirations divines des seventies, et la pureté mélodique des Steven Wilson et Neal Morse, qui tout en étant des influences majeures, sont aussi leurs pairs. Et la principale qualité de ce groupe nordique, est d’avoir gardé en mémoire qu’une chanson, progressive ou non, n’est bonne que si elle est jouée avec le cœur, et si elle parle au plus grand dénominateur commun, et non à une élite triée sur le volet. Et en substance, Fragments of the 5th Element est certainement le plus ambitieux des albums humbles que j’ai pu écouter ces dix dernières années. On y trouve tout ce qui a toujours fait le charme des SPOCK’S BEARD et de la carrière solo de Morse, ces harmonies qui semblent émaner d’un paradis pas si lointain, cette complexité qui profite de la technique et non l’inverse, ces progressions qui sont toutes logiques et nécessaires et non imposées, et cette pureté mélodique dans les nappes vocales qui rappellent le chant des sirènes, sans les inconvénients du naufrage mental. Et si le groupe nous avait déjà largement prouvé qu’il était capable de se hisser à la hauteur de n’importe quelle référence, ce cinquième album troue le ciel et transcende leur grâce naturelle. Par extension, et pour plus de clarté, considérez ce fait. Fragments of the 5th Element est sans aucun doute, et malgré le peu de recul, le meilleur album de MAGIC PIE.
Pour appuyer cette assertion, je pourrais me servir uniquement du final homérique de « The Hedonist », ode à la vie et hymne à la joie de jouer de plus de vingt-deux minutes. On y retrouve en effet le meilleur de YES assaisonné Steven Wilson, avec ce son si clair, ces nappes de clavier qui évitent l’écueil du superficiel, ces changements de rythme, ces thèmes qui se croisent, se mêlent avant de donner naissance à un break fabuleux, et surtout, l’imagination des vrais amoureux. Dans ces moments-là, on est prêt à pardonner les errances maniaques des seventies, lorsque des musiciens suffisants se congratulaient mutuellement au travers de soli interminables, et d’interprétations tenant de la flagornerie de cuistres ayant oublié que la musique doit rester un langage universel, et non un idiome codé pour élites pétries de suffisance. Cette musique, celle des norvégiens, est dense, riche, en circonvolutions, et pourtant, rien ne sert d’avoir étudié le solfège pour l’apprécier. Elle a la profondeur du PINK FLOYD post Syd, la sensibilité du YES de Fragile, et la foi indéfectible du Neal Morse le plus proche de Dieu. Le son, lui aussi, se met au diapason et évite le trop plein, garde les basses sous contrôle, mais n’enfouit pas la guitare dans les tréfonds des claviers. Le(s) chant(s), en avant mais pas frondeur(s), adopte(nt) des tonalités lyriques, mais reste(nt) plein(s) de sens. On entend la flûte dans les synthés, on apprécie les pauses acoustiques qui n’ont rien d’une rêverie champêtre, et on se dit que finalement, le Progressif peut encore être la plus belle incarnation du Rock qui soit, lorsqu’il n’en oublie pas les fondements harmoniques. Mais Fragments of the 5th Element ne se résume pas à son dantesque épilogue, loin de là. Et les quatre premiers morceaux sont autant de marches à gravir avant d’atteindre l’Eden.
Et le sextet est intelligent, très. Il a compris que pour attirer l’attention dès les premières secondes, il lui fallait séduire le public le plus jeune, celui qui aime la puissance et la distorsion. Alors, en combinant la grandeur du DEEP PURPLE mark II, l’agressivité maîtrisée du DREAM THEATER de Six Degrees, et la fluidité du Steven Wilson de l’ensemble de son œuvre, « The Man Who Had it All » joue parfaitement sa carte d’appât. « P&C » garde la même inflexion, mais se tourne vers la scène arty italienne, qui privilégie les figures de style et les passages instrumentaux complexes, tout en vénérant le Peter Gabriel le plus théâtral, avec un scat vocal précédant l’un des riffs les plus redondants du répertoire. Et pour ne pas oublier l’émotion dans un recoin de la mémoire, « Touched By an Angel » essaie de mériter son titre en alignant la partie vocale la plus veloutée, avec une batterie presque synthétique et 80’s, et une guitare toute en mute et en delay, égrenant ses notes comme des souvenirs d’un temps où la musique refusait d’être formatée. MAGIC PIE avec ce cinquième album, nous offre le dessert dont nous avions besoin, au glaçage impeccable, mais à la saveur persistante. Une génoise qui fond en bouche, une crème légère qui ne reste pas sur l’estomac, et on ressort de cette écoute/dégustation rasséréné, mais surtout rassuré. Le vrai Rock progressif n’est pas mort. Il est juste retombé entre les bonnes mains, celles d’amateurs passionnés.
Titres de l’album :
1. The Man Who Had it All
2. P&C
3. Table for Two
4. Touched By an Angel
5. The Hedonist
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