La méduse, figure mythologique, avait selon la légende le pouvoir de pétrifier tout mortel qui la regardait. Seule gorgone à être mortelle, la signification de son message a depuis été altérée, et longtemps utilisée comme protection envers le mauvais œil. Mais on peut aussi y voir le moyen de regarder en soi-même, et d’y confronter ses propres peurs se matérialisant en la conscience de ses pêchés, que l’on se doit d’assumer selon la religion chrétienne…Il n’est donc pas étonnant d’en voir sa symbolique adaptée par un groupe depuis longtemps dévoué à la parole divine, en l’occurrence les originaires du Wisconsin de TOURNIQUET, qui depuis 1989 répandent la bonne parole du Christ au travers d’albums à la sincérité au moins égale à leur intensité. Depuis très longtemps aussi, TOURNIQUET se résume à deux membres, Aaron Guerra, à la guitare depuis 1994 (avec une pause entre 2002 et 2004), mais surtout Ted Kirkpatrick, leader incontesté depuis les débuts de l’aventure, et responsable des musiques et textes. Si TOURNIQUET a connu un début de carrière assez tonitruant, enchaînant les albums comme autant de perles autour d’un rosaire (nul fan n’a pu oublier le saint triptyque 1990/1991/1992 de Stop The Bleeding, Psycho Surgery et surtout Pathogenic Ocular Dissonance, publiés coup sur coup), son rythme de croisière s’est soudainement ralenti dans les nineties, avec des albums paraissant tous les trois ans, et un sacré break entre Where Moth and Rust Destroy en 2003 et le retour d’Antiseptic Bloodbath en 2012. Mais Onward to Freedom a vite remis les choses à plat, se voyant relativement apprécié par la presse et les fans, et les quatre ans de silence du duo n’ont fait qu’attiser la curiosité et l’appétit des followers, bien décidés à suivre leur groupe fétiche jusqu’au plus haut des cieux. Et avec raison, puisque la cuvée 2018 est une fois de plus enivrante, complexe mais réjouissante, et prétexte à des collaborations aussi diverses que pertinentes, méthode de travail devenue une norme pour le duo.
Si par le passé, nombre d’artistes confirmés sont venus leur prêter main forte (Chris Jericho (FOZZY), Tim "Ripper" Owens (JUDAS PRIEST, ICED EARTH), Corey Glover (LIVING COLOUR), Michael Sweet (STRYPER) et Doug Pinnick (KING'S X) au chant, ainsi que Marty Friedman (MEGADETH), Pat Travers, Scotti Hill (SKID ROW) et Bruce Franklin (TROUBLE) à la guitare), la méthode n’a pas vraiment changé, puisqu’on peut retrouver Tim "Ripper" Owens au poste de vocaliste, et Deen Castronovo (JOURNEY) au micro et Chris Poland (MEGADETH) au solo sur le morceau éponyme de ce Gazing at Medusa. Et ces nouvelles collaborations tournent à plein régime, grâce au talent des guests impliqués évidemment, mais surtout grâce à celui de Ted Kirkpatrick, qui a su une fois encore composer de véritables hymnes au Thrash progressif le plus agressif et intelligent, dans la lignée des plus grandes réalisations de son groupe. On retrouve donc au menu de ce nouvel album les composantes essentielles de la nature de TOURNIQUET, notamment cette façon d’aborder le Thrash comme une variante d’un Heavy Metal vraiment corsé, technique parsemée d’éclairs de génie en accélérations soudaines et autres accalmies sereines, qui permettent aux chansons de proposer un nombre conséquent de plans probants, ne mettant jamais en danger la cohésion globale. Cette touche de folie doublée d’une épaisseur de passion sans faille trouve une fois de plus son apogée sur Gazing at Medusa qui continue le travail entrepris sur la discographie globale du duo, apportant sa nouvelle pierre à un édifice de taille conséquente. Pas de faute de goût, de la diversité dans la solidité, et surtout, une adaptation aux exigences contemporaines qui ne sacrifie en rien la tradition d’une musique aussi alambiquée qu’efficace. Ajoutons à ce bilan global des détails de taille, et notamment le rôle joué par l’ancien vocaliste de JUDAS PRIEST, qui se glisse dans le costume taillé sur mesure par Ted, bien conscient des possibilités de ce chanteur hors-norme qui respecte pourtant les limites qui lui ont été fixées, tout en insufflant à l’atmosphère générale une hargne incroyable.
Neuf nouveaux morceaux qui semblent gommer les points de rouille d’une absence prolongée, et qui nous replongent justement dans les affres des plus grands achèvements de ce groupe unique. Si évidemment, la comparaison avec les chefs d’œuvre que furent et sont toujours Pathogenic Ocular Dissonance et Psycho Surgery est à peu près aussi pertinente que de dresser un parallèle entre Repentless et Reign In Blood, le cru 2018 de TOURNIQUET est fort en bouche, avec toujours cet arrière-goût légèrement onirique, rapprochant le répertoire d’une vision divine d’un Heavy Thrash précieux et presque mystique (« Can’t Make Me Hate You », son tempo appuyé, sa guitare et son chant à l’unisson, et ses lignes vocales dédoublées). Mais évidemment, le duo du Wisconsin ne serait pas ce qu’il est expurgé de ses obsessions rythmiques tournant à la névrose, en témoigne l’ouverture gigantesque de « Sinister Scherzo », sorte de résumé des plus grandes années, et entrée en matière plaçant d’emblée les débats sur le terrain de la liberté créative et de l’animosité harmonique. Enorme travail accompli sur les couches vocales qui s’entremêlent et se chevauchent, rythmique de Ted toujours en embuscade, prompte à lâcher les cerbères d’une double grosse caisse organique hyperactive, le tout se fondant dans un creuset de riffs de plomb toujours aussi sauvages. Le modus operandi ne changera jamais, ni la philosophie progressiste de Ted qui une fois encore fait preuve d’inventivité dans le classicisme, pour incarner la seule alternative US possible au Thrash old-school que le tempétueux et pieux leader à justement contribué à dépoussiérer à l’époque.
Et quel que soit le morceau que vous pourriez écouter de façon aléatoire, la richesse est omniprésente, et souvent bluffante, comme sur ce miraculeux « Longing for Gondwanaland » opératique en diable, se lovant parfois au creux d’un pendant positif de KING DIAMOND, mais évoquant aussi les effluves lointaines d’un Techno-Thrash à l’américaine, le côté démonstratif légèrement altéré pour ne pas faire preuve de trop de fierté. Nous sommes donc loin des péchés capitaux, même si l’emphase finale du fameux « « Gazing at Medusa » prouve que l’union fait la force, et il est assez surprenant de retrouver Deen Castronovo loin de ses fûts, mais derrière le micro, pour un featuring surprise lui allant comme un gant. Up tempo accrocheur, montée dans les tours jouissive, et réussite absolue pour l’un des morceaux les plus catchy de la carrière du groupe. Mais inutile de nier que les circonvolutions personnelles de Ted restent toujours aussi hypnotisantes, à l’image de cette gorgone qui orne la superbe pochette signée Jason Juta, et qui nous envoute d’un « The Crushing Weight of Eternity », cumulant les images, les sensations de sa progression en crescendo et des modulations rageuse d’un Owens au sommet de son art. Et sans verser dans la redondance d’une lecture linéaire qui ne rendrait pas justice à l’œuvre, signalons quand même quelques réflexes automatiques en gravité sur « Memento Mori », utilisant un riff bien connu du groupe, pour imposer une litanie amère et nostalgique en dualité de nappes vocales, qui une fois encore apportent une incroyable plus-value aux morceaux les plus théâtraux. Des automatismes donc, mais une envie de continuer la route sans trop faire de pas de côté, et un nouvel album rompant quatre années de silence avec toute l’emphase requise. Gazing at Medusa vous envoutera donc comme l’antique regard de la gorgone, et les serpents de son inspiration s’enrouleront autour de votre âme, créant une dépendance que rien ne saura soulager, si ce n’est une écoute répétée.
Titres de l'album :
1.Sinister Scherzo
2.Longing for Gondwanaland
3.Memento Mori
4.All Good Things Died Here
5.The Crushing Weight of Eternity
6.The Peaceful Beauty of Brutal Justice
7.Can’t Make Me Hate You
8.One Foot in Forever
9.Gazing at Medusa
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