Gentle Illness

Caïna

01/11/2019

Apocalyptic Witchcraft Recordings

Une fois encore, et puisqu’on ne peut pas tout anticiper, ni tout connaître, j’ai été introduit à l’univers étrange de CAÏNA sur le tard, lors de la sortie de Christ Clad in White Phosphorus en 2016. Des présentations un peu tardives pour le moins, puisque le concept à ce moment-là avait déjà méchamment évolué, tout au long de six longue-durée et encore plus de splits, EP, compilations qui émaillaient un parcours chargé, depuis la création du groupe en 2004. Plus que de groupe, il convient d’ailleurs de parler de one-man-band, puisque la plupart du temps seul Andrew Curtis-Brignell est aux commandes, assurant la totalité des rôles, du chant, basse, guitare, batterie sans donner l’impression de peiner à endosser tous les costumes. Je le concède, le précédent LP m’avait cueilli à froid. Sans rien en attendre de particulier, j’avais été surpris par la somme d’idées qu’il contenait, et la noblesse qu’il conférait de nouveau à des termes comme « avant-garde » ou « expérimental », justifiant de sa richesse des expérimentations tout sauf gratuites, qui ouvraient les genres à des perspectives sans laisser les portes grandes ouvertes aux courants d’air de vacuité. On le sait, et plus particulièrement dans le Black Metal, la solitude et la liberté de ton ne font pas toujours bon ménage, et pour un Mories, nous avons droit à une horde informe de bruitistes difformes, tentant désespérément de nous faire passer leur brouet pour un breuvage riche et énergisant. La frontière entre « n’importe quoi Noise » et « créativité bruyante » étant très mince, il convient de rester attentif. Mais les trois ans séparant ce Gentle Illness de son prédécesseur n’ont pas perdu Andrew Curtis-Brignell sur les chemins hasardeux de la trop grande liberté personnelle. Mieux. L’homme a recentré ses idées, accepté une nouvelle fois d’être l’unique tête pensante, et s’est obstiné à retranscrire en musique les idées noires encombrant son cerveau pour nous offrir une œuvre aux confins de la folie, mais dont la lucidité pointe d’un doigt accusateur les manquements d’un pays, les failles d’une société, les douleurs d’une vie moderne. Et plus qu’un simple album, Gentle Illness est une catharsis, une voie de guérison, et pour le moins, une extériorisation bouillonnante qui sans exorciser les démons, leur démontre qu’ils n’ont pas un contrôle total.

Cela dit, le BM de CAÏNA n’a jamais été facile d’accès. Si par le passé les comparaisons avec d’autres concepts comme TAAKE, BOSSE-DE-NAGE, GNAW THEIR TONGUES, LUSTMORD ou COIL ont toujours été validées par des tentatives d’extirper le style de sa condition parfois trop figée, elles ont gardé leur pertinence aujourd’hui pour définir les contours d’une œuvre très personnelle, que l’auteur décrit sans honte ni fausse pudeur. Avec des thèmes aussi reliés que variés, tel le manque de soutien envers la santé mentale en Angleterre, aux pouvoirs psychiques extraterrestres sous la forme de possession démoniaque, et le suicide, ce huitième LP ne manque pas de points de focalisation, que l’auteur a voulu mettre en avant via l’une des musique les plus culottées de son répertoire portant déjà chargé en folie instrumentale. On retrouve donc les différents visages d’un groupe qui n’en a jamais vraiment été un, et cette façon de traiter l’Ambient, le Raw Black, le Black électronique, celui d’avant-garde avec la même pertinence et le même amour des choses excentrées et moins évidentes. Difficile pour un public de BM mainstream de comprendre la démarche de l’artiste, son disque évoquant souvent des groupes ne gravitant pas dans la sphère Metal (mais plutôt dans celle de l’ère Post électronique, Ambient, Dark Noise), mais facile d’apprécier des bribes d’un LP vraiment varié, qui cherche à tout prix à matérialiser les idées noires de son auteur pour leur donner une dimension humaine. Et loin de rentrer dans le costume d’un VRP désireux de placer son produit dans toutes les chaumières, Andrew Curtis-Brignell joue la sincérité brute, et l’honnêteté sans fard. Il dit de cet album qu’il est « ce qui arrive lorsque ton cerveau se désintègre et que les idées les plus intrusives prennent le contrôle. Cet album est le son d’un homme malade, furieux, fatigué, et pathétique, qui essaie d’enregistrer avant de perdre totalement la capacité de penser. ». Une assertion effrayante, mais qui parvient à expliquer le pourquoi des comments, sans donner de réponse, mais en laissant l’auditeur seul avec son libre-arbitre et ses démons. Ne sommes-nous pas tous rongés de l’intérieur, devant faire face à des névroses, des peurs, de fausses certitudes qui comblent notre quotidien de questions, de crises de parano, et d’un sentiment de solitude exacerbé par la vitesse de l’information qui nous dépasse ?

Ces sensations, ces pathologies, mais aussi cette envie d’aller mieux en crachant ses craintes permet à ce huitième LP de bénéficier d’une articulation certes logique, mais d’un déroulé pour le moins déstabilisant. Il n’est pas rare qu’une composition dérive au gré des humeurs, et passe d’un Noise très abrasif et presque à la MERZBOW, pour flotter soudain au gré de courants Post Metal mélodique et presque dérangeants de leur quiétude (« Contactee Cult »). Et une fois passée l’intro de « Wellness Policy », qui plonge dans le bain et la psyché d’un musicien en proie aux affres de la souffrance, la thérapie commence. « Your Life Was Probably Pointless » est un constat sans appel sur les conséquences du suicide, et la vacuité d’une existence menée sans but qui a probablement mieux fait de cesser. On retrouve ces amalgames de sons, ces strates qui s’empilent comme autant de voix intérieures vous donnant les bons ou mauvais conseils, et cette manière de travailler le BM comme un mode d’expression total et non comme une mode. D’ailleurs, le créateur ne se voit en aucun cas comme un monstre de puissance, ou le roi de la discordance jouant plus fort et plus irritant que les autres. Il déclare avec une candeur touchante « qu’il ne veut rien nous vendre, qu’il n’adopte pas de stratégie, qu’il ne se gargarise pas de la puissance et de la violence de son travail, puisque la provocation est pour les lâches, seule la vulnérabilité est réelle ». Un crédo pas comme les autres, qui accepte le legs du BM nordique tout en le torturant d’influences plus anglaises. D’ailleurs, seul ce second morceau peut encore être affilié à une forme larvée de BM traditionnel, puisque les stridences, les itérations empestent l’atmosphère dès « No Princes in Hell », tout en laissant place à des inserts jazzy, électro, et presque lounge. Mélange bizarre qui s’explique par cette envie de tout lâcher sans trier ni filtrer, ce qu’un esprit malade fait lorsqu’il veut expurger son trop plein de souffrance…

Parfois grondant comme une crise qui couve (« Canto IV», entre LUSTMORD et SCORN), parfois mélodique et soudainement assourdissant (« Gentle Illness »), parfois abscons et grondant (la longue suite introspective « My Mind Is Completely Disintegrating », presque apaisé sous ses couches de sons qui s’effritent), mais toujours justifié et valide, Gentle Illness est donc l’antithèse du cri primal, et plus volontiers une expression ordonnée de pensées désordonnées et spontanées. Pas de la schizophrénie non, juste une douleur mise en sons et en bruits, cathartique, mais terriblement humaine sous la terreur musicale.  

   

Titres de l’album :

                         01. Wellness Policy

                         02. Your Life Was Probably Pointless

                         03. No Princes in Hell

                         04. Canto IV

                         05. Gentle Illness

                         06. Contactee Cult

                         07. My Mind Is Completely Disintegrating

                         08. One Breath Under the Yoke Is a Fate Worse Than Death

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par mortne2001 le 18/10/2020 à 18:01
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