Retour en arrière. J’avais traité il y a deux ans du cas éminent des allemands d’ANCST, via leur premier long publié sur Vendetta Records / Halo Of Lies / Yehonala Tapes en format divers, et j’avais cru y voir un certain avenir du Hardcore germain le plus sombre. Je tenais là un disque capable de tenir la dragée haute à bien des combos du cru, et finalement, le temps m’a presque donné raison. Il faut dire qu’à force d’affirmer leur présence, les allemands ont occupé le terrain avec insistance, multipliant les sorties et les formats pour s’imposer sur la scène nationale et européenne. Jugez du peu. Pour un groupe (re)formé en 2012 après changement de patronyme, leur production n’a d’égal que leur colère qui se manifeste toujours au travers d’une musique foncièrement violente et presque nihiliste dans l’esprit. En amont de Moloch, ce fameux premier LP édité en 2016, le groupe avait déjà pris le temps de nous proposer une démo, cinq EP, quatre splits aux faces partagées avec les HIVEBURNER, AST, SMUTECNI SLAVNOST, mais aussi une compilation, histoire de ne pas nous perdre dans la jungle de leur créativité. Et depuis ce premier long, ils n’ont pas chômé non plus, puisque 2016 et 2017 auront vu l’émergence de deux EP et splits supplémentaires. Alors, prolixes musicalement, c’est un fait, mais toujours aussi endémiques et épidermiques ? A l’écoute de ce Ghosts of the Timeless Void, le doute se dissipe assez vite, puisque les onze morceaux de ce nouveau témoignage sont au moins aussi intenses que ceux explosant sur leurs prédécesseurs, voire plus dans la majorité des cas. On y trouve toujours cette façon d’aborder toutes les digressions Hardcore d’un point de vue Black, ce qui a tendance à brouiller les frontières. Et surtout, à définir les siennes, aussi étendues soient-elles.
Du Blackened Hardcore, on connaît la propension à se fixer sur une ligne conductrice sans en dévier. Que ce Hardcore soit straight ou légèrement Crust sur les bords, c’est toujours la vitesse qui l’emporte, ou la lourdeur, et les deux s’imposent dans un climat étouffant, ne laissant que peu d’espace à l’imagination. La musique des ANCST au contraire respire et se meut, pour ne pas rester inamovible face aux possibilités de fuite en avant. Inutile donc de vous attendre à déferlement continu de violence sous couvert de dégoût d’un monde qui part à la dérive, puisque nos amis berlinois acceptent les bons comme les mauvais côtés, et ne rechignent pas à s’arrêter de temps à autres pour apprécier un maigre espoir pointant le bout de ses illusions. On trouve donc dans la musique du quintette (Stefan - basse, Tom - chant, Mirko et Robert - guitares et Mihai - batterie) beaucoup d’éléments assez surprenants, qui outre les ingrédients Crust et Black de départ, accueillent quelques réminiscences de Post Metal, de Grind, de Deathcore, pour une efficacité maximale qui évite les modes comme un homme politique les questions gênantes. Les prises de position de Ghosts of the Timeless Void sont au contraire fermes, et ne se matérialisent pas comme des fantômes perdus dans le vide du temps, vide que le groupe se plaît à combler de rythmiques toujours plus percutantes, et de riffs circulaires emprunts des dérives du Black national, l’un des plus abrupts et sombres du circuit. On se retrouve donc parfois à nager à contre-courant, s’accrochant à une bouée jetée d’un navire co-piloté par les NAILS et NAPALM DEATH (« Unmasking The Imposters », titre lâché en fusée éclairante et redoutablement efficace, crevant les icebergs de sa coque pointue et effilée), ou au contraire nous laissant porter par un flux typiquement Hardcore, presque new-yorkais dans l’esprit, mais indéniablement européen dans son cours (« Of Gallows And Pyres », qui part d’une guitare accrocheuse et presque joyeuse pour arriver vers une cascade de Grind qui ne laisse que peu de chance de surnager). En gros, de la variété dans la brutalité, mais un seul objectif. Nous bousculer, nous provoquer, et nous forcer à choisir un camp alors même que le leur n’est pas franchement le plus tranché au niveau des opinions.
Pourtant, avec une intro aussi puissante que « Dying Embers », distordu d’une mélodie acide, les choses semblaient claires. Grandiloquence, emphase, dramatisme mélodique, avant un énorme coup de boutoir non Crust comme on pouvait s’y attendre, mais purement Grind, affolé d’un BM utilisé comme arrangement pour accentuer la véhémence. Vilénie, puissance, exagération d’une double grosse caisse à la compression plus tassée que de raison, chant presque résigné dans sa gravité, et puis des breaks assénés comme des coups du destin, nous tassant les vertèbres comme une accolade coupable. « Shackles Of Decency », calmant un peu le jeu d’un Hardcore tirant sur le loud, confirme toutefois que la piste à emprunter ne va pas se vouloir linéaire, en faisant des références voulues ou non à l’école Néo-Death suédoise, avant une fois de plus de laisser les compteurs s’emballer en tentant de recenser des blasts étalés. Et même si « Concrete Veins » s’amuse beaucoup à singer les tics les plus évidents d’un Crust dit « à la suédoise » pour mieux les faire siens et encore plus vilains, « Revelation of Deformity » revient vite dans le giron de ce Crossover entre genres, qui sans aboutir à la genèse d’un nouveau, offre des possibilités un peu plus vastes qu’une simple crise de colère personnelle. On joue encore plus vite, encore plus fort, on pique au BM du nord ses guitares en vent qui tournoie, et on arrache au Deathcore ses tonalités triggées, pour finalement se vautrer dans une mélodie sereine…Les ANCST, parsemant leur second album de samples de dialogues, finissent par craquer et avouer que leur drapeau à eux est bien celui de la haine, via la déclaration d’intention presque Post « Republic Of Hatred », qui évidemment ne peut résister à une embardée finale encore une fois dégoulinante de BPM…
Mais en choisissant de terminer cette deuxième étape longue-durée par leurs morceaux les moins perméables et les plus étranges, les allemands ont fait le pari de l’ambivalence, comme si leur réelle identité restait cachée sous une épaisse couche de slogans violents. On la devine sur « Dysthymia », qui rampe d’une inquiétude harmonique, et qui alterne les arpèges et les stries de haine comme le faisaient certains morceaux de Moloch, sur le final de « Sanctity », qui navigue au gré des humeurs Crust et Grind, et évidemment sur le terminal « Self-Portrait », qui entre deux tirs de rafale ose un groove presque inconcevable quelques minutes auparavant, mais qui termine sa course la tête baissée pour éviter les balles en projetant les siennes.
Alors évidemment, pour beaucoup, rien de nouveau sous l’éclipse. Du Hardcore joué comme à la parade neigeuse d’un Black mi- allemand, mi- scandinave, une façon de renforcer la violence du Crust par une attitude frondeuse, et énormément de violence, qui parfois furète dans tous les sens pour y trouver les dernières parcelles de lumière à tamiser. Mais pourtant, le cheminement des ANCST sur Ghosts of the Timeless Void a quelque chose de fascinant en soi, sans que l’on puisse vraiment expliquer pourquoi. Ou plutôt si. Parce qu’il est le reflet d’une génération qui n’en peut plus de voir l’écho de sa colère rebondir sur les parois du vide de l’indifférence.
Titres de l'album:
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