Ceux qui s’ébaubissaient, ceux qui régurgitaient, ceux qui se gaussaient, ceux qui s’interrogeaient lorsque le premier single « Dance Of The Clairvoyants » a été lâché en sont pour leurs frais. Je les pardonne, le choix était culotté, mais plus rien ne m’étonne de la part de PEARL JAM. Depuis le début des années 90, ils n’ont jamais rien fait comme les autres. Ils ont émergé de la vague Seattle comme le plus grand groupe de non-Grunge, ils ont battu les records de vente sur leurs premières semaines de sortie, ils ont largué des LPs sans titre, des trucs radicalement anti-commerciaux (Vitalogy, ou le plus beau suicide commercial d’un groupe de stade, respect), se sont battus bec et ongle contre Ticketmaster pour tourner dans des conditions ne prenant pas les fans pour des vaches à lait, ont résisté aux tempêtes, survécu à la déferlante qui a emporté leur acte de naissance comme un tsunami, alors, que pouvaient-ils encore se permettre ? Justement, de donner en pâture aux fans et curieux le single ne plus improbable de leur carrière, un machin élastique que les STONES eux-mêmes n’auraient jamais osé malgré leur « Miss You », un tube incroyable que Dua Lipa, Jack White, HOTEL REPUBLIC ou NIGHT FLIGHT ORCHESTRA auraient pu promouvoir sans en avoir honte. Ok, « Superblood Wolfmoon » avait plus ou moins rassuré les sceptiques, mais même les passionnés ne savaient pas vraiment ce qui les attendait au tournant, et le tournant n’était pas un petit virage à négocier une seule main sur le volant. On ne disparaît pas pendant sept ans pour revenir tout penaud, avec de simples resucées de hits d’antan, ou une paraphrase d’un album qui à l’époque n’avait pas l’envergure des chefs d’œuvre. Je le concède, Lightning Bolt était bon, plutôt très bon même au vu du parcours du groupe. Mais il lui manquait l’audace des pieds de nez les plus mémorables d’Eddie V, ces chansons biscornues, et ces vrais standards du Classic Rock que le JAM est le seul à pouvoir encore composer. Et une fois admise la perte de Kenny Rodgers, pouvait-on craindre que les PEARL s’aventurent en terre Country, juste pour faire chier le monde ? Non, n’allons pas jusque-là.
Premier album de l’ère Trump du groupe, Gigaton est évidemment un constat sans appel sur la destruction massive de notre écosystème. Une gigatonne, c’est la mesure de la fonte des glaces, vous savez, ces photos à pleurer qui montrent des ours polaires isolés sur une pauvre banquise en puzzle. Trump d’ailleurs, s’en prend pas mal dans la tronche en passant, pas plus que ça, mais des allusions plutôt fermes. En louchant vers le passé tragique des native americans, Eddie se fend d’un lapidaire Sitting Bullshit pour le nommer sans le nommer, et c’est plutôt bien vu, surtout lorsqu’il admet qu’il cherche encore « a place Trump hadn’t fucked up yet ». Mais Trump n’est pas la seule obsession de Vedder et des siens, puisque tout y passe, ou presque. Le monde, la lune, la planète Mars, et pas mal d’autres thèmes qu’Eddie triture pour en tirer les mots les plus poétiques qui soient. Il a même inventé des gimmicks pour que les fans regardent le satellite rond de nuit en basant la promotion de « Superblood Wolfmoon » sur l’éclipse de janvier 2019. Mais pour un groupe qui a la tête dans les étoiles, Gigaton a méchamment les pieds sur terre, et s’amuse beaucoup à synthétiser le parcours du quintet sans trop appuyer sur les références triviales. PEARL JAM n’est pas là pour jouer ni proposer un quizz ou un blind-test de sa longue carrière, mais bien pour offrir de nouveaux morceaux, ceux-là mêmes que le groupe devait jouer en tournée avant que celle-ci ne soit reprogrammée, virus mondial oblige. Bizarrement, Gigaton agit lui aussi comme un virus, un organisme qui s’insinue en vous, sans causer de dégâts, mais en obligeant votre corps à réagir aux rythmiques, aux trouvailles de guitare, aux arrangements spatiaux d’arrière-plan. Un virus bénéfique, qui renforce votre système immunitaire et votre foi pour vous obliger à croire encore que la musique peut sauver le monde. Je ne cautionnerai pas totalement cette assertion, mais ce qui est certain, c’est que PEARL JAM en 2020 peut encore panser les plaies et nous faire rêver.
Aujourd’hui, par provocation ou réelle conviction, j’ai assuré à un ami que Gigaton était le meilleur PJ depuis Vitalogy. Il y avait derrière cette comparaison l’envie de faire une formule pour l’obliger à écouter, mais il y a du vrai aussi, le mensonge étant sans doute le pire outil de promotion. Ce qu’il y a de vrai aussi, c’est qu’il est difficile de croire que le groupe accuse le coup des années, puisqu’il semble plus en forme que jamais. C’est sans doute pour cette raison que ce nouvel album est truffé de compos à la limite du Punk Rock dont les mecs sont si friands, eux qui reprennent les RAMONES, le MC5 et tant d’autres. C’est aussi pour ça qu’on apprécie l’ascétisme admirable de « Who Ever Said » en introduction, qui nous replonge directement dans les affres joyeuses de Vs et Vitalogy, sans que le JAM puisse être taxé de jeunisme ou d’opportunisme. Le son lui aussi se veut up in time, mais pas trop, avec beaucoup de clarté et d’espace, et une conséquente laissée à la basse toujours aussi ronde de Jeff Ament. Le discret mais efficace bassiste s’en donne d’ailleurs à cœur joie sur le dancefloor burner « Dance Of The Clairvoyants », adoptant l’attitude groove de John Deacon sur « Another One Bites the Dust », lâchant ses boucles avec détachement, mais avec un certain sourire aux lèvres. Mais les deux qui s’illustrent le plus sur ce nouveau chapitre sont évidemment Mike McCready et Stone Gossard, qui phagocytent à mort tout en gardant leur touché, et qui citent Jack White, John Mellencamp, David Gilmour, mais aussi le glissé du Country pour mieux se souvenir du picking de McCartney (« Buckle Up »). Toujours crédibles, les deux guitaristes lâchent la sauce pour se rapprocher de leurs idoles des STOOGES et du MC5, et nous crament d’un lapidaire « Never Destination », qu’on imagine parfaitement en ouverture de la gigantesque tournée à venir, dont le public sera lui aussi mesurée en Gigaton.
Mis à part ce fameux single avant-coureur, pas de grosse surprise sur ce onzième LP studio, produit par John Evans, et publié sur le label du groupe et relayé par Universal. Le plus gros du travail a été de composer des chansons variées, pour parvenir à un équilibre que la presse généraliste s’est empressée de relayer. Un équilibre créatif, avec des styles divers et des approches multiples, mais aussi un équilibre intérieur et plus littéraire, avec des textes aussi politiques que personnels, comme si aujourd’hui la politique était devenu l’affaire de tous, individuellement. Pas de grosse surprise, mais des choses qui rassurent, et d’autres qui font voyager. Sur l’apaisant « Come Then Goes », le JAM revisite l’Amérique incroyable et interminable de Nick DRAKE, de Johnny CASH, de CREEDENCE évidemment (et dédie le morceau à un ami disparu, qui pourrait bien être feu Chris Cornell), alors que « Quick Escape » propose le beat le plus Heavy de l’histoire du groupe sur fond de chœurs totalement Pop. Le paradoxe est donc toujours le leitmotiv du quintet, qui n’a pas oublié « Parachutes », mais qui n’a pas non plus rangé « Spin the Black Circle » dans le tiroir des souvenirs, mais ce clair-obscur entre exhibitionnisme et intimisme a de quoi rassasier tous les fans, qui aiment tant que le groupe se dévoile sans rien montrer, ou presque. Ce clair-obscur est global, mais il est aussi ponctuel, au travers de la nostalgie de « Seven O’Clock » qui cite presque Springsteen dans le texte mais qui ramasse les miettes moisies de Trump avec une balayette Bluesy. On pourrait d’ailleurs prendre en exemple n’importe quelle chanson de l’album et en écrire des essais, ou en faire des paradoxes ou des archétypes, mais autant dire la vérité : PEARL JAM n’a pas pris sept ans pour nous refourguer du tiède ou du prémâché, mais nous oblige à nous enfoncer dans ce disque comme on rentre dans les ordres, ou plus légèrement, comme on accueille un vieil ami perdu de vue depuis trop longtemps. On se souvient de ses qualités, de ses défauts, des nôtres, et on n’a pas oublié sa boisson préférée ni le moment de la journée qui le rend le plus mélancolique.
PEARL JAM, tout au long de sa carrière, a bâti des ponts entre les générations et les genres. Il a réconcilié le Rock avec sa facette la plus classique, tout en continuant d’en repousser les limites. Il a adopté l’acoustique pour le rendre plus puissant qu’un cri, tout en osant des percussions tribales qui se perdent sur la face cachée de la lune (« River Cross », sublime clôture).
« Faire cet album a été un long voyage. C’était émotionnellement sombre et confus par moments, mais c’était aussi une aventure excitante et expérimentale vers la rédemption musicale. Au final, collaborer avec mes compagnons de groupe sur Gigaton m’a rendu plus aimant et conscient, et ça m’a fait me rendre compte du grand besoin de connexion humaine en ces temps »
C’est Mike McCready qui dit ça, et gageons qu’au moment où ses paroles sortaient de sa bouche, il n’avait pas idée de leur pertinence en ces temps plus que troubles. Être plus humain, se rapprocher des autres, et s’oublier dans l’infini du moment. PEARL JAM n’a jamais eu son pareil pour faire fondre la glace, mais inutile de les accuser du réchauffement climatique actuel. Nous en sommes les seuls responsables.
Titres de l’album :
01. Who Ever Said
02. Superblood Wolfmoon
03. Dance Of The Clairvoyants
04. Quick Escape
05. Alright
06. Seven O’Clock
07. Never Destination
08. Take The Long Way
09. Buckle Up
10. Come Then Goes
11. Retrograde
12. River Cross
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