Aujourd’hui, 28 décembre, c’est mon anniversaire. Oui, cette précision est purement anecdotique et sans intérêt, pourtant, au moment de fêter mes quarante-huit hivers, je me sens las et usé. D’ordinaire, un tel jour de fête se célèbre à grands coups de rires, de blagues et de souvenirs, mais je ne suis pas vraiment traditionnel dans ma façon de procéder. C’est ainsi qu’au lieu de festoyer avec des amis, en bonne compagnie, je me retrouve face à mon clavier, avec la (très) lourde tâche de vous entretenir du cas des WORM. Il y a plus idoine qu’un groupe de Funeral Doom/Death pour accepter l’idée d’avoir une année de plus, pourtant, ce second LP des floridiens s’inscrit parfaitement dans le prolongement d’un état d’esprit plus que chafouin. Et pour cause, puisqu’il illustre à merveille la dualité de cette journée, placée sous le signe de la lumière de la joie, et pourtant honorée dans l’ombre des doutes et de la douleur. Mais ne faisons pas grand cas de mes états d’âme qui ne servent qu’à planter un décor funeste. Et ce décor est justement tout ce dont j’ai besoin pour me plonger dans l’horreur dispensée par Gloomlord, qui encore une fois fait tout ce qu’il peut pour mériter son titre macabre et glauque. Et le pire – ou le meilleur selon les points de vue – c’est qu’il y parvient sans aucune difficulté. Pour être plus précis, WORM fut d’abord fondé comme un one-man-band par Fantomslaughter, qui grava deux démos (The Deep Dark Earth Underlines All (2014) and Nights in Hell (2016)) en solitaire avant de se laisser aller aux joies de la collaboration en s’acoquinant avec Equimanthorn pour publier un premier LP en forme de manifeste nihiliste, Evocation of the Black Marsh. Posant les bases d’un Death typiquement floridien et bien dans son époque 90’s, le duo a ensuite revu sa copie, la trouvant certainement trop guillerette et primesautière pour orienter sa musique vers une lourdeur de circonstance, et ainsi patauger dans le marigot d’un Funeral Doom/Death impitoyable mais fortement marqué par des influences extérieures notables, très gentiment mentionnées par leur label Iron Bonehead.
C’est ainsi que Gloomlord se retrouve parrainé par des noms aussi fameux que dégoûtants tels GOATLORD et MORTUARY DRAPE, UNHOLY, THERGOTHON, ou plus précisément DISEMBOWELMENT. D’ordinaire, les parallèles de labels sont destinés à aiguiller plus ou moins vaguement l’auditeur potentiel, mais autant admettre que la maison de disques germaine a frappé en plein cœur de la cible. Car en effet, les anciens fossoyeurs de DISEMBOWELMENT ont dû fortement traumatiser notre duo qui prend un malin plaisir sadique à copier leur méthode sans toutefois tomber dans le plagiat. Et avec un peu de recul, il ne serait pas incongru de voir en WORM une sorte de plateforme de rencontre un peu bizarre, sur laquelle deviseraient de concert INCANTATION, ENCOFFINATION, DISEMBOWELMENT et BOLT THROWER, sous le regard attendri des MORTUARY DRAPE, avec quelques mélodies biscornues en arrière-plan pour accentuer le romantisme de la situation. Anticipant votre réaction, je prends les devants. Oui, WORM fait du Doom/Death, oui, le duo met l’accent sur la lourdeur et l’aspect caverneux de sa musique, mais il ne se contente pas du minimum pour exprimer son dégoût de tout sentiment d’empathie. Et avec cinq morceaux pour cinquante minutes de musique, le sceptique et le fan absolu étaient en droit de s’attendre à une litanie de mort un peu longuette, pilonnée comme à la parade mortuaire, et constituée de blanches martelées comme un crane qui refuse de s’enfoncer dans la terre. Je leur donnerai tort en affirmant que le duo floridien ne nous a pas pris pour des imbéciles monomaniaques, puisque les cinq morceaux sont tous différents, tous passionnants, et tous (ou presque) maculés de mélodies post-mortem qui loin d’alléger le brouet, le rendent encore plus épais, mais délicieux en oreilles.
Pour être plus précis, ne vous fiez surtout pas à l’interminable intro « Putrefying Swamp Mists at Dusk » qui décrit avec beaucoup d’acuité la brume flottant sur les marais floridiens au crépuscule. On sent l’atmosphère morbide qui colle à merveille avec cette pochette au vert fluo inquiétant, la solitude, la décrépitude, l’isolement, mais pour autant, aussi présents soient ces thèmes, ils ne représentant pas l’essence même du projet. Et si comme précisé en amont, l’influence DISEMBOWELMENT est la plus marquée en ce début d’album (ambiance poisseuse, lenteur processionnelle, soudaines accélérations purement Death), l’inspiration ne tarde pas à dévier pour emprunter des couloirs tout aussi sombres, mais aux interstices de lumière plus prononcés. « Rotting Spheres of Sentient Black » insiste donc pendant plus de huit minutes sur le caractère outrancièrement grave de l’opération, mais dès « Apparitions of Gloom », les harmonies remontent en bulles à la surface du marais, entourant les cadavres flottant comme de vieux troncs d’arbres. C’est bien sûr toujours très vilain, mais on sent de la beauté sous la couche de laideur, et c’est à partir de ce morceau que le terme de « Funeral » prend toute son essence. Le duo n’hésite pas à casser le rythme à intervalles réguliers, pour insérer des harmonies funèbres, et ainsi se démarquer d’un simple combo de Doom/Death trop préoccupé par le côté extrême de sa musique. Mais pas d’inquiétude, Gloomlord EST extrême, mais dans le bon sens du terme, et en restant créatif. C’est pour cette raison que les cinq morceaux se distinguent très bien les uns des autres, via l’utilisation de riffs très symptomatiques de la première vague Death de Floride (DEATH, OBITUARY), alors même que le chant adopte des intonations plus classiquement BM, dans la veine d’un DARKTHRONE perdu dans les nénuphars.
Sans vouloir trop détailler la démarche, histoire de vous garder un minimum de surprise, les deux morceaux suivants continuent l’exploration, osant des brisures inopinées et mélodiques, des à-coups rythmiques, pour mieux se placer en convergence de tous les styles extrêmes. Le parangon de cette assertion en étant le final « Abysmal Dimensions », qui de sa grandiloquence rappelle même les débuts d’OPETH, les exactions britanniques de PARADISE LOST, mais aussi les turpitudes Death américaines, sans trahir aucune scène. Belle immersion que ce second longue-durée de WORM, qui ne se déguste pas comme un gâteau d’anniversaire, mais qui a la saveur des années qui passent et qui vous rapprochent de votre dernière demeure.
Titres de l'album :
01. Putrefying Swamp Mists at Dusk (Intro)
02. Rotting Spheres of Sentient Black
03. Apparitions of Gloom
04. Melting in the Necrosphere
05. Abysmal Dimensions
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