Ok, on va l’avouer sans détour, l’avant-garde, l’expérimentation, c’est bien quand…c’est bien. Après tout, sous couvert d’un art abstrait, beaucoup se sont permis tout et n’importe quoi, au point d’accoucher « d’œuvres » parfaitement indigestes et inécoutables, propices à déranger le système auditif/digestif des estomacs/oreilles les plus aguerri(e)s. Les plus rancuniers évoqueront le cas de Yoko ONO, d’autres ceux des THROBBING GRISTLE, et les exemples ne manquent pas, en musique comme ailleurs. Alors, oui, expérimenter, c’est bien, mais le faire histoire de proposer un travail cohérent, c’est encore mieux. Et quels domaines plus prompts à dégainer leurs idées les plus absconses que le Black, le Noise et l’Ambient ? Aucun je vous le concède, et parfois, les trois se mettent d’accord, histoire de nous ruiner le peu d’espoir mélodique qui nous reste. On connaît la propension de l’underground à se régénérer de sa propre folie, et on connaît un peu moins bien l’habitude des polonais de THAW à puiser dans les recoins les plus sombres de leur psyché de quoi alimenter leurs dérives extatiques. Pourtant, leur parcours est étoffé, et plutôt étiré. Formé en 2010, le groupe n’a pas vraiment traîné ses basques à la recherche de son inspiration fuyante, puisqu’en sept petites années, les architectes de l’horreur ont publié pas moins de quatre LP, deux démos, une compilation et un beau coffret, ce qui vous en conviendrez n’est pas donné à tout le monde. Et autant le dire, tout ceci est absolument justifié, puisque ces maniaques de la gravité qui donne la nausée n’ont jamais perdu leur pari, et ne sont jamais tombé dans le piège dit « du bruit pour du bruit ». Impossible donc de les prendre en défaut, mais pas facile non plus de les porter au pinacle. En effet, leur « musique » est plutôt du genre dérangeante, assourdissante, et vibrante, et ne s’adresse vraiment pas au plus grand dénominateur commun.
Néanmoins, et puisqu’il faut bien faire étalage de leurs qualités, ce nouveau longue-durée est à même de surpasser tous leurs efforts passés de son culot et de ses atmosphères déliquescentes. Pourtant, St. Phenome Alley, il y a deux ans, allait déjà plus loin que Earth Ground, leur album précédent, qui lui aussi radicalisait l’approche de l’initial et éponyme Thaw, qui ne faisait déjà pas semblant. Grains est donc à l’image de son titre, et en utilise un gros et gras pour poncer les aspérités de votre cœur, et le transformer en pompe sans âme, tout juste bonne à flipper devant une ombre fugace et à s’emballer au moindre crissement suspect. Pour en arriver là, le quintette (M. – Basse/chant, A. – basse/guitare/bruit, Krzysztof Kurek – guitare, P. – bruit et Macio Moretti – batterie, depuis 2016) s’est donné les moyens de ses ambitions, et a composé cinq longs morceaux, formant une fois assemblés une symphonie de l’horreur bruitiste, extrême dans le fond et la forme, mais parfaitement logique dans sa conception. Nous sommes très loin des turpitudes d’un Black Noise à la ABRUPTUM et consorts, puisqu’ici, pas question d’improvisation, mais bien d’élaboration, avec précision, et de superposition de sons, tous plus tremblant les uns que les autres, mais parfaitement unis pour se fondre dans un amalgame de terreur audio pure, ressemblant parfois à une version ridiculement décélérée des TERRA TENEBROSA en pleine crise de somnambulisme. En frottant leur Black Ambient au Drone et au Doom, les polonais ont fait le bon choix, mais se permettent surtout de soigner une œuvre fabuleusement hypnotique et confondante de beauté, un peu comme le reflet difforme et infâme d’une femme superbe se posant des questions existentielles à une heure avancée de la nuit.
Disons-le, Grains est un monde qui révèle toute sa richesse nocturne une fois ses lourdes portes poussées. Ces portes, dont « The Brigand » en représente la serrure fermement bloquée, couinent salement d’un Dark Black poisseux et enivrant, et leurs gonds sont aussi peu huilés que ceux des BLUT AUS NORD et des plus locaux MORD'A'STIGMATA. Guitares grondantes, rythme processionnel, voix en écho d’ignominie dans un lointain qu’on souhaite éviter à tout prix, cassures de tempo, percussions en tempes qui s’agitent, pour une entrée en matière assez trompeuse qui semble aiguiller sur la piste d’un Black Doom vraiment cauchemardesque, mais qui finit par faire place à des essais d’arrangements beaucoup moins faciles à situer. La progression affichée tout au long des trente-sept minutes de l’album est fabuleuse de logique, et nous enfonce de secondes en secondes la tête dans un sol d’argile meuble, étouffant notre respiration et engluant notre regard, pour mieux nous faire renaître en esprit dématérialisé et peu préoccupé de sa propre condition d’humain qui n’en est plus un. Ce premier titre offre donc une montée en puissance stoppée net dans l’effort, qui trouve quand même un faible rebondissement sur les premières mesures de « The Thief ». Ce deuxième chapitre fait soudainement fi d’une quelconque accointance avec le Metal noir, pour se concentrer sur des couches vocales robotiques (merci au vocoder…), abruptement interrompues par des strates d’arrangements électroniques, sonnant comme un vinyle passé à l’envers pour en capter un quelconque message subliminal. Mais les THAW n’ont pas à cacher ce qu’ils ont à dire, et « The Cabalist » de nous propulser dans un univers faussement onirique à la Clive BARKER, peuplé de créatures difformes mais étrangement séduisantes, et se pose en métaphore du minimalisme, pour le transformer en luxuriance instrumentale gravissime.
Inspiré par « The Manuscript Found In Saragossa », l’œuvre de Count Jan Potocki, Grains, selon ses auteurs, se veut plus mélodique et atmosphérique que tout ce qu’ils ont entrepris jusqu’à lors. Cette assertion est très honnête, puisqu’en effet ce quatrième longue-durée est sans doute le moins « inaccessible » du collectif polonais, même si « The Harness » paraîtra inécoutable à la plupart d’entre vous. En choisissant d’abandonner sciemment toute construction linéaire, les musiciens ont pris le risque de se vautrer dans la fange bruitiste improvisée, alors même qu’ils en évitent les écueils avec une lucidité absolue. En témoigne le final pesant et terriblement Heavy de « Wielki Piec », bourbier de Black Doom sans aucune pitié pour l’harmonie, et qui permet à THAW de boucler la boucle avec une certaine cohérence, et de refermer les portes de leur monde derrière vous dans un lourd fracas de riffs à faire rougir de honte CATHEDRAL.
Oui, l’expérimentation, c’est bien, quand c’est bien. Et lorsque c’est très bien, c’est presque cathartique en un sens. Une réflexion sur les possibilités de détourner des codes pour en trouver de nouveaux, et peu importe le processus qui permet d’aboutir à tel résultat. En choisissant de repousser les limites du supportable sans devenir insupportable, les THAW donnent une belle leçon à tous les pseudo-déviants confondant bruitisme et expression extrême, et signent l’un des LP les plus intrigants de cette fin d’année.
Titres de l'album:
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
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J'avais pas vu cette chronique. J'étais au soir avec Ulcerate et je n'ai pas du tout regretté...Le lieu : il y a forcément un charme particulier à voir ce genre de concert dans une église, surtout que le bâtimen(...)
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Le who's who des tueurs en série. Un plus gros budget pour l'artwork que pour le clip, assurément. (...)
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