Il faut avoir les moyens de ses ambitions, et les ambitions de ses moyens. C’est un peu la leçon que l’on peut tirer de ce second album de l’énigmatique presque duo féminin LOTUS THIEF, qui se veut riche et ambitieux, beaucoup plus en tout cas que la majorité des groupes qui occupent un créneau plutôt difficile à situer. Il est en effet relativement ardu de ranger les LT dans un petit tiroir fermé à clé, puisque leur liberté de création leur ouvrira la serrure de toute façon.
Prosaïquement, le groupe se définit comme un amalgame de Post Black, de Space Rock et d’Ambient, mais ne vous leurrez pas, le résumé ne convient pas tout à fait à la description d’une image musicale assez floue, comme une vieille photo jaunie retrouvée derrière une armoire. Tout ça va bien plus loin qu’un crossover maladroitement assemblé pour offrir une formule aux critiques en manque d’imagination, et ressemble plus à quelques mots clés lâchés pour avoir la paix.
La paix, c’est en quelque sorte ce que vous offre le second effort du duo/trio constitué de Bezaelith (basse, guitare, chant et synthé, ex BOTANIST), Iva Toric (claviers et chœurs) et Otrebor (batterie). En jetant un coup d’œil à leur page Facebook, vous pourrez constater que les deux instrumentistes sont d’une beauté troublante, ce qui finalement, décrit bien mieux leur art que n’importe quel qualificatif de style. Non qu’il faille les considérer selon leur genre, ce qui n’a aucun intérêt en soi, mais savoir regarder leur visage et leurs expressions pour tenter de comprendre leur art peut être une solution. Une, mais il y en a d’autres.
Comprendre leur façon de procéder en est une aussi. Car Gramarye est un disque qui a nécessité beaucoup de recherches au niveau des thématiques, et couvre des siècles d’histoire scripturale en moins d’une heure. Un survol des civilisations par le biais d’une musique unique, c’est le voyage temporel et sensoriel que LOTUS THIEF vous propose.
Rervm jetait les bases et prolongeait l’aventure BOTANIST, mais Gramarye a poussé sur un terre beaucoup plus fertile, vierge par certains aspects, et pourtant déjà souillée de siècles d’incantations et autres destins brisés.
En traduction, Gramarye vient du Français « grammaire » évidemment, délicatement modifié par les tournures de sens de l’Anglais qui lui ont conféré une aura plus mystique, en le transformant en « Livre de sorcellerie ». Cette « science » est d’ailleurs omniprésente sur l’album, tant au niveau des textes que de la musique qui échappe à toute rationalisation trop humaine.
Concrètement, ce second effort se concentre sur cinq textes différents, qui recoupent deux siècles d’histoire via le prisme littéraire de cinq civilisations. Bezaelith s’est plongée dans l’histoire, a parcouru Homère (« L’Odyssée »), le « Livre des Morts » égyptien, les légendaires « Merseburg Incantations », seul texte en ancien Allemand traitant du paganisme, mais aussi le plus contemporain « The Book Of Lies » du magicien/auteur/occultiste Aleister Crowley. Elle en a extirpé la matière indispensable à la composition des cinq chapitres de ce nouvel album, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la musicienne a parfaitement su adapter le ton artistique de son travail au passé chargé de légende des écrits sur lesquels elle s’est basée.
Il n’est pas plus facile de coller une étiquette sur Gramarye que de classer les ouvrages de référence dans un ordre d’importance historique. On peut vulgariser la chose et lui accoler le préfixe de Post par facilité, mais tout ça va bien plus loin qu’une simple digression utilisant les codes du Black pour mieux les transgresser ou les transcender.
Il est possible à la rigueur, d’établir un parallèle conjoint avec l’univers de MYRKUR et les expérimentations tribales et cosmopolites de Natasha Khan au sein de son projet SEXWITCH pour avoir un fond de parallèle, qui reste quand même hasardeux.
Sur Gramarye, chaque détail est travaillé, la poésie est envoutante, et la musique pas si incantatoire qu’elle n’était supposée l’être. Les mélodies sont sublimes, le travail rythmique admirable, et l’imbrication des idées logique, quoique libre dans le fond.
Cinq entrées, longues, majestueuses, qui prennent leur temps pour instaurer un climat et une ambiance. LOTUS THIEF entame les débats en parcourant les arcanes post mortem du « Livre des Morts » égyptien, et signe l’entrée en matière la plus évidente possible.
Volutes de couches vocales qui se superposent, semblant émerger d’une autre réalité, pour une musique qui se plait à capturer l’essence d’un Black torride et compressé et d’un Post Rock trop harmonieux pour digresser dans le vide. Les voix se complètent à merveille dans une incantation subtile et caressante, alors que la guitare singe les accents d’un Post Wave spatial et parcimonieux dans ses interventions. Réverb, écho, mais aussi blasts qui tranchent avec la quiétude, comme des morts revenant à la vie et souffrant de leur état. On peut penser au Krautrock des années 70, à quelques incartades du FLOYD dans une dimension parallèle (époque Meddle ou More par exemple), sans perdre de vue la rugosité d’un BURZUM moins obsédé par le son que part le ton.
« Circe » débute par une basse lourde, sobrement soutenue d’arrangements épars, avant qu’une fois de plus la guitare ne se perde en réverbérations typiques de la Wave underground anglaise des 80’s. C’est un chapitre qui prend son temps pour dessiner le panorama, et présenter ses personnages. Très longue intro qui échoue sur un chant presque grégorien, entonné à deux voix angéliques évidemment, et qui rappelle un joli mélange entre les accalmies toujours inquiétantes de NEUROSIS, et les éclaircies du THE GATHERING d’Anneke. Planant, pour le moins, mais richement construit, c’est un jeu d’espaces positifs et négatifs qui laisse filtrer la lumière au travers des persiennes closes de l’histoire. On suggère un lourd crescendo pour mieux faire monter la tension de quelques crans par secondes, sans verser dans une apothéose finale qui serait assez déplacée au vu des nuances tissées.
« The Book Of Lies », plus agressif, convient très bien à l’univers étrange d’Aleister Crowley. Enchevêtrement de Metal stable et de vagues vocales ondulantes, misant sur une arythmie confuse, c’est presque une messe en occultisme majeur dont l’aura brille de mille feux, aura posée comme une icône sur un mid tempo soudain déchiré de hurlements, qu’on imagine émaner de la psyché torturée du personnage que le morceau décrit. Riff à intervalles réguliers, redondant, panaché de quelques notes qui s’échappent d’un sustain envoutant, quelques heurts d’une double grosse caisse qui s’époumone (formidable travail d’Otrebox qui adapte sa frappe aux thèmes musicaux sans en rajouter), pour un leitmotiv central en demi-teinte qui chemine le long des neuf minutes. Il est alors impossible de parler encore de Post Black, tant la musique de LOTUS THIEF est devenue trop hermétique et complexe pour accepter telle étiquette, même si le chant saturé y fait vaguement référence.
« Salem », seul morceau à ne pas se référer à une pièce littéraire précise, aborde le cas d’un membre de la famille de Bezaelith qui accusa un homme de sorcellerie pour ne pas avoir à rembourser l’argent qu’elle lui devait. Etrange décision qui guide un morceau qui ne l’est pas moins, et qui se traîne le long d’un plan rythmique non évolutif, qu’une basse résignée et pourtant inquiétante guide de ses notes pesantes et insistantes. Beaucoup trouveront ce morceau un peu trop introspectif et contemplatif, mais ses éclairs harmoniques et sa progression en stagnation sont assez fascinants et s’inscrivent dans une logique globale parfaitement cohérente.
Le final « Idisi », plus long segment du volume, ne diffère pas vraiment des nuances évoquées jusqu’à lors, et alterne des litanies harmoniques célestes et des processions rythmiques désincarnées. Il propose néanmoins lors de son break central la plus belle combinaison d’harmonies vocales depuis le mariage des voix de Devin Townsend et Anneke sur la tétralogie des addictions du Canadien. La conclusion de ce titre est d’ailleurs assez symptomatique des dérives mentales de Devin, et achève dans le silence le plus pur un album qui aura exhumé des siècles d’histoires et des années d’inspiration musicale.
Beaucoup plus « facile » à enregistrer que Rervm, qui fut enfanté dans la douleur par une Bezaelith malade, Gramarye est un magnifique grimoire ancien qui compile des incunables ésotériques ou mythologiques et qui les illustre d’une musique magique, qui fait appel aux sens et non à la compréhension. Il est possible de le trouver un peu trop « planant », un peu trop « contemplatif », mais il déborde de richesses mélodiques et d’intelligence rythmique qui risquent de lui faire acquérir un statut très particulier avec le temps.
De là, Post Black, Post Rock, Ambient, Space Rock, qu’importe ? L’histoire ne retient pas les étiquettes, juste le verbe.
Et le verbe musical de LOTUS THIEF s’accorde très bien avec les sujets du temps.
Titres de l'album:
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