Je me souviens de ma jeunesse, lorsque je regardais la coupe du monde à la télé (car oui, je n’ai pas toujours eu que des qualités, je dois bien le reconnaître), je pestais, j’enrageais aux cotés de mon père en me posant cette sempiternelle question : mais qui va bien pouvoir battre les allemands et faire baisser leur côte de confiance ? Au bout d’un moment et deux demies-finales homériques, la frustration atteignait des proportions dramatiques, et un fort sentiment d’anti-germanisme flottait dans la maisonnée…Aujourd’hui, je regarde toujours la coupe du monde (j’ai toujours quelques défauts qui traînent, je sais rester humble), mais j’aborde les choses plus sereinement. Et il semblerait que ce sentiment de défiance globale, cette envie de voir les icones se fracasser la tronche sur le trottoir de la réalité a effectué une translation du football à la musique. D’où ma question du jour : à quel moment les suédois vont-ils arrêter de nous narguer avec leurs groupes toujours plus excellents les uns que les autres et leurs exportations d’albums de génie qui nous refilent des complexes ? Non, parce que c’est bien mignon tout ça, mais ils doivent commencer à se sentir seuls dans leur nord de l’Europe, isolé des autres peuples de par leur capacité sans cesse grandissante à phagocyter tous les styles musicaux mondiaux de la création pour en restituer une synthèse personnelle, et extrêmement brillante…Je ne m’amuserai certainement pas à recenser tous les exemples apportant de l’eau à mon moulin, puisque vous les connaissez aussi bien que moi, mais force est d’admettre que l’hémorragie continue aujourd’hui avec la parution du second LP des nationaux ROCKETT LOVE, Greetings from Rocketland qui redresse méchamment la barre d’un premier tome qui n’avait pas forcément laissé de souvenir impérissable. Alors non seulement ces swedes sont capables de nous gifler sans élan, mais ils ont en sus le potentiel d’atténuer leurs moindres défauts pour s’imposer sur la durée…ce qui laisse songeur, mais aussi passablement agacé.
Grab The Rocket, le premier chapitre, n’était pas mauvais stricto sensu, mais il ne s’en dégageait aucun génie particulier, ni même un savoir-faire appréciable. Les compositions s’enchaînaient, taquinant le Soft Rock tiède pour essayer d’imposer un Hard Rock mélodique assez anonyme, et autant dire que personne n’aurait misé grand-chose sur cette équipée, avant de pouvoir écouter la suite de leurs aventures. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est d’abord cette production signée Erik Martensson (ECLIPSE, W.E.T), cador qui n’a pas l’habitude d’embarquer avec les premiers matelots venus. Cette production, que l’on apprécie pendant plus de quarante minutes est évidemment impeccable, mais uniquement parce qu’elle a été mise au service de compositions bien plus étincelantes que le répertoire précédent, encore plus pâle aujourd’hui. Les cinq originaires de Sala (Daniel Samuelsson: chant, Stefan Westerlund & Gustaf Eklund: guitars et choeurs, Dennis Vestman: basse et Fredrik Ahlin: batterie) ont donc retroussé leurs manches, pour enfin faire honneur à leur label légendaire, qui lui non plus ne verse pas vraiment dans le caritatif, lui préférant les groupes de qualité susceptible d’accroître sa renommée et de remplir ses caisses. Et avec Greetings from Rocketland, les espèces sonnantes et trébuchantes mais aussi la crédibilité vont pleuvoir comme les proverbiales grenouilles. Ne cachons pas les choses, ne déguisons pas le discours, les ROCKETT LOVE ont monté le niveau de plusieurs crans, pour s’afficher aujourd’hui comme l’espoir numéro 1 de la scène Hard mélodique suédoise, pourtant déjà bien chargée en champions. Leurs morceaux, courts, concis, gorgés d’harmonies vocales et de mélodies sucrées n’en ont pas perdu la puissance en route, et dans les meilleurs moments, c’est-à-dire à peu près tous, les cinq musiciens parviennent à une osmose générale à faire rougir les JOURNEY. On retrouve la patte des icônes américaines sur certains titres, comme l’imparable « Writing on the Wall », archétype du hit AOR des années 80, qu’on aurait bien vu s’enchaîner à « Suzanne » sur les ondes d’une radio US des années 86/87. Pour le moins? Oui, et l’estimation est très raisonnable.
Mais le glissement du consensus mou à l’épiphanie secouant les genoux est palpable dès le tube d’intro “Back on my Feet”, qui de son titre vaut tous les aveux du monde. Ambiance à la suédoise pompant les plans US des années 80, avec un gros clin d’oeil appuyé aux nouveau héros modernes (ECLIPSE, H.E.A.T, MIDNITE CITY), humeur jumpy qui nous évite les poncifs les plus éculés du romantisme niais ou les débordements de rouge à lèvres du Sleaze le plus excessif, et on se croirait presque revenu au temps des magiques BALANCE, avec un « Bite The Bullet » aussi proche du survolté Jami JAMISON que d’une version light de nos BLACKRAIN. Les riffs sont certes classiques, mais le tout dégage une telle énergie qu’on se laisse happer par le vent de folie, raisonnable dans le fond, mais ébouriffant dans les faits. Les suédois ont donc bien compris la leçon, et ont conféré à leur second long des allures de best-of déguisé, soignant chaque détail pour le rendre imperfectible. Timing resserré pour ne pas déborder, refrains collégiaux qui sentent bon la bande FM d’il y a trente ans, soli torchés comme à la parade (solide travail de Gustaf Eklund qui fait feu de tout bois et qui donne l’accolade fraternelle au Malmsteen de la période Joe Lynn Turner), et assouplissements qui ne trahissent pas l’investissement, lorsque la chaleur baisse de quelques degrés pour bloquer le thermostat sur la douce moiteur des eighties de TREAT (« I Want Out »). Résultat, un équilibre parfait, une qualité qui ne se dément pas d’un morceau à l’autre, plus de fillers ni de chansons mornes et tièdes, et des claques de bonne humeur qu’on se prend avec bonheur, qu’elles soient délicates et vivifiantes (« Get Ready Go ! »), ou qu’elles tiennent de la caresse aimante (« Take Me Home », un peu de PRETTY MAIDS, un peu de BRIGHTON ROCK, et pas mal d’émotion…).
Le muscle saillant et le sourire poli, les ROCKETT LOVE ont gagné en assurance, et même en free-lance, donnent le la de la fête à la mélodie, avec un formalisme fondant (« King for One Day »), ou un durcissement Heavy bien pesant, mais jamais contraignant (« Reaching Out »). Quelques libertés avec le rythme et une poignée de syncopes dynamiques (« Wait »), et la confirmation éclate comme une bulle de vérité pendant une réunion du comité de la mauvaise foi : les suédois sont toujours les rois, mais peut-on leur en vouloir ? Ils ont le talent, ils ont l’envie, ils ont l’énergie, alors il n’est guère étonnant de constater leur triomphe permanent. Avec Greetings from Rocketland, le quintet nous envoie une carte postale signée fluo, avec les hommages d’usage, mais une sincérité dans la plume qui fait des ravages. Un truc aussi sensuel qu’une californienne en patins à roulettes, aussi frais qu’un soda en plein été, mais qui risque fort de tenir plus qu’une saison. La Suède n’est donc définitivement pas l’autre pays des faux mages.
Titres de l'album :
1. Back on My Feet
2. Bite the Bullet
3. I Want Out
4. Get Ready Go!
5. Take Me Home
6. King for One Day
7. Writing on the Wall
8. Reaching Out
9. Like an Endless Distant Sky
10. Wait
11. A Heart Without a Soul
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