Difficile de transposer un film en musique. Encore plus lorsqu’il s’agit d’une véritable tradition dans le pays en question, qui a toujours abordé le problème de façon très sérieuse. Mais les américains n’ont jamais hésité à s’approprier les cultures étrangères pour les accommoder à leur façon, et les OXYGEN DESTROYER ne font guère exception à la règle. Ce groupe de Seattle/Portland a donc décidé un jour de consacrer son œuvre aux
Kaijū films, ces films avec de grosses bestioles sympathiques dont les intentions ne sont toutefois pas des plus louables. D’ailleurs, le nom même du groupe fait référence à la seule arme capable de nuire à Godzilla.
Avec ça, vous savez à quoi vous en tenir.
Bestial Manifestations of Malevolence and Death, Sinister Monstrosities Spawned by the Unfathomable Ignorance of Humankind, deux longue-durée aux titres aussi longs, plus une petite pelletée de démos et EP’s, OXYGEN DESTROYER ne fait ni dans le détail ni dans la dentelle ouvragée de Calais. Mais comment parler d’énormes bestioles détruisant tout sur leur passage sans adopter leur colère et leur fureur ? C’est évidemment impossible, et à ce petit jeu de traduction, les américains du jour sont les meilleurs. Mais vraiment les meilleurs.
Lord Kaiju (guitare/chant), Joey Walker (guitare), Chris Craven (batterie) et Paul Wright (basse) sont de vilains bourrins qui dévastent tout. Ils ne respectent rien et surtout pas les limitations de vitesse qui pourraient enrayer leur belle avancée. Et c’est après une courte intro samplée que les débats commencent. Et dire qu’ils s’emballent aussi rapidement qu’une célibataire à la Sainte-Catherine est un euphémisme lénifiant.
Guardian of the Universe est donc le troisième chapitre d’une grande histoire, celle de ces films mythiques que nos aïeux regardaient les yeux grands ouverts. D’une maîtrise incroyable à ce degré de brutalité, il ne fait évidemment que continuer le travail de sape entrepris il y a déjà pas mal d’années, et nous bouscule en permanence de sa rythmique inépuisable. Le point fort de l’entreprise est évidemment sa stabilité dans la bestialité. Rarement effort aura été aussi intense et (presque) dénué de toute décélération, comme si le temps était compté et qu’il fallait boucler l’opération en moins de trente minutes.
Labellisé Black/Death, Death/Black ou je-ne-sais-quoi, OXYGEN DESTROYER est plutôt à considérer comme un quatuor de Nuclear Death, ou d’Atomic Black Thrash. On peut presque sentir les bubons gonfler sur notre peau au contact des particules radioactives, et nos chairs brûler à petit feu jusqu’à mutation improbable en créature néo-mythologique. Il n’est donc pas difficile de se prendre pour Godzilla ou son engeance (et ses ennemis jurés) en écoutant Guardian of the Universe, qui fait justement tout pour vous immerger dans son délire sans balises, sans contrainte, et sans limite.
Avec des titres aux intitulés aussi interminables qu’improbables, ce troisième chapitre de la saga joue la carte évidente de l’outrance à tout prix. Certains trouveront ça un peu trop roboratif, d’autres (dont je fais partie) craqueront pour cette attitude extrême et cette musique ne l’étant pas moins. Car encaisser un « Nightmarish Visions of the Devil’s Envoy » de plein fouet est une épreuve que tout le monde ne peut pas supporter, l’intensité du truc atteignant les pics désastreux d’un Tchernobyl en plein exercice d’évacuation.
Disque à écouter avec un compteur Geiger à portée de main, Guardian of the Universe est une célébration de l’extrême, une ode à l’ultraviolence que nous cachons tous au plus profond de notre être, et qui ne demande qu’à exploser au moment idoine. Au moins aussi bruyant qu’une ogive se transformant en champignon géant, il ne tolère ni les approximations ni les accalmies, même si quelques passages en mid viennent doser l’effort. « Awaking the Malevolent Destroyer of the Heavens and Earth » en est un exemple frappant et probant, avec sa longue intro aux samples judicieux, mais qui dégénère vite en gymkhana destructrice et sans pitié.
Un bon paquet de riffs circulaires, quelques finesses dans les licks mélodiques, un chanteur qui vocifère comme un irradié dans le désert, le bilan des forces en présence est hallucinant, et les effets sur l’organisme palpables très rapidement. Agrémenté de quelques soli aussi fous que le reste de l’instrumental, Guardian of the Universe nous décrit la triste réalité d’une humanité en proie à ses propres démons, et aux bestioles qu’elle a elle-même créées.
Fabuleux exutoire, hommage sincère à toute une génération de films de monstres nippons, Guardian of the Universe embrasse tous les excès de ses géniteurs. Inutile donc de chercher le filet d’air frais, même si quelques inflexions à la SLAYER viennent parfois brièvement aérer l’espace (« Banishing the Iris of Sempiternal Tenebrosity »).
Mais dans un registre de Black/Death impitoyable et sans remords, OXYGEN DESTROYER se pose là et prend toute la place. Impossible de ne pas se ranger du côté des monstres victimes lorsque leurs chasseurs sont à ce point acharnés et sans pitié. Après tout, Godzilla n’a rien demandé, et surtout pas d’être bombardé par des saloperies atomiques.
Alors, s’il vient vous en coller une bonne, vous l’aurez bien cherchée. Les monstres ont une âme et un cœur aussi.
Titres de l’album :
01. Guardian of the Universe (The Final Hope)
02. Drawing Power from the Empathetic Priestess
03. Shadow of Evil
04. Thy Name Is Legion
05. Eradicating the Symbiotic Hive Mind Entity from Beyond the Void
06. Nightmarish Visions of the Devil’s Envoy
07. Awaking the Malevolent Destroyer of the Heavens and Earth
08. Banishing the Iris of Sempiternal Tenebrosity
09. Exterminating the Ravenous Horde of Perpetual Darkness and Annihilation
Excellent ça. Merci pour le papier
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