Le terme « Grunge » est d’une idiotie sans nom. Et d’abord, que désigne-t-il ? Au premier degré, la crasse entre les orteils. Au second, une vague déferlante de Seattle, qui a niqué la scène Rock dans les années 90. Jamais mouvement musical n’avait cristallisé toutes les haines possibles, balayant d’un revers de chemise à carreaux les souvenirs hédonistes d’une mode Metal Billboard qui s’est finalement étouffée de sa propre suffisance. Personne n’a obligé les jeunes à acheter du NIRVANA, du TAD, du MUDHONEY ou du ALICE IN CHAINS. Non, les mecs en avaient juste marre de cette rock n’roll attitude à la con, de ces grosses bagnoles et de ces looks risibles. Et marre aussi que la musique ne voit pas la réalité en face. Alors, le « Grunge ». Mais le terme est toujours aussi débile.
HARDBALL est un trio de Vancouver qui justement, tente de faire revivre cette période à travers des chansons réalistes, âpres, et un son épais et dur. Leur premier album est sans doute le plus bel hommage à la scène nineties qu’on ait pu écouter depuis très longtemps, alors même que les trois mecs n’ont même pas fait exprès d’en reproduire les sonorités à la note près. Et l’un dans l’autre, sans savoir si leurs pieds sont crado, on a tendance à leur faire confiance.
Entre le NIRVANA de « Heart Shaped Box » et un ALICE IN CHAINS bien amer tapant le duo avec de jeunes STONE TEMPLE PILOTS, HARDBALL se veut viscéral, immédiat mais aussi profond, agité de prises de conscience d’importance, à la manière d’un PEARL JAM sur Vs. Ainsi, leur premier single, « NRA » se fait écho du « Glorified G » de Vedder, et son horreur des armes et de la National Rifle Association. Marre des guns, marre des massacres dans les écoles, marre de cette liberté née d’un Far-West lointain où tout le monde possédait un flingue pour tenter de rester en vie.
Et quand bien même croyaient-ils en Dieu…
HARDBALL a très bien joué son coup, puisque son premier album éponyme sonne sincère, au moins autant que Cobain refusant de refaire ses parties au nom de l’éthique Punk. D’ailleurs, les trois larrons (Scott Budgie - guitare/chant, Jeremy Head - batterie/guitare/synthés/chœurs et Jamie Black - basse/chœurs) ont de faux airs de la bande à Kurt, tout en louchant vers les MELVINS ou les DESCENDENTS. Leur Rock est joué fort, frappe vite, mais prend aussi son temps pour répandre les cendres de mélodies subtiles qui flottent dans l’air comme des pellicules sur la chemise d’un comptable.
Immédiatement, on est frappé par l’amplitude du son, comme si le mixage avait été confié à Andy Wallace, travaillé Metal pour tendre vers le Punk le plus épais. Scott Budgie, au timbre assez proche de celui de Scott Weiland parfois, est un leader sans vraiment le vouloir, juste parce qu’il s’est mis une guitare en bandoulière face au micro. Mais sa science du riff tranchant, son chant psychédélique et traînant, ses répétitions futées (« Chili », l’archétype du riff redondant à l’extrême) en font un Monsieur Loyal très crédible et persuasif, et l’obligent à assumer le statut de pivot de l’ensemble. Ensemble complété d’une section rythmique puissante, régulière et sans réelle surprise.
Toute la première partie de l’album passe comme dans un rêve après avoir regardé Singles pour la trentième fois. Les titres sont courts, mais vont à l’essentiel, laissent un goût un peu acide dans la bouche, mais ramènent les souvenirs à la surface, ces souvenirs de fac que l‘on chérit les soirs de solitude. Comme un best-of signé d’un groupe que personne n’a connu, Hardball est une balle qui siffle à vos oreilles et que vous aviez évitée avec chance la première fois, aux alentours de 1992/1993.
Mais plus le disque avance, plus les intentions sont changeantes. Exit le format deux ou trois minutes, et bienvenue à une attitude plus posée, avec des réflexions plus longues, plus développées, des plans plus sombres, des silences plus frappants, et des notes plus insistantes. « Talk To Me » par exemple, nous ramène au marasme économique des années post-Reagan. La guitare gratte dans le vide, la batterie accuse les coups éléphantesques sur le tom basse, et l’explosion soudaine est si puissante qu’elle en arrache deux ou trois perruques. Loin donc d’un trio d’olibrius en goguette dans un magasin de memorabilia, HARDBALL pose des ambitions sur la table de camping, plantée en plein milieu d’un paysage industriel glauque.
Une belle trajectoire que ce premier effort qui s’écoute de bout en bout sans en faire. De la nervosité Punk sur « Ian’s Song », un peu de syncopes sur le cryptique « I/O », mais surtout, un final dantesque de près de dix minutes pour nous laisser sur un sentiment étrange, entre étonnement et satisfaction de ne pas s’être trompé sur le compte de ces trois canadiens.
« Open Air » est donc la dernière étape d’un processus nostalgique simple. Jouer comme, chanter comme, parler de comme, pour finalement être soi-même et le rester. Dans une tentative de rendre le « Grunge » plus actuel, HARDBALL en démontre la pérennité, et appuie sur le paradoxe d’une musique fulgurante qui a fini par devenir un style durable.
On peut étiqueter le tout, dire que certaines idées semblent émaner de l’imagination de Billy Corgan (certains riffs sur « Open Air » lui semblent directement empruntés), mais en aucun cas laisser le CD sur la pile des invendus. D’ailleurs, on ne vend plus vraiment aujourd’hui. On échange ou on donne.
Titres de l’album:
01. Just A Tree
02. Worried As Shit
03. NRA
04. In The Mail
05. Me And You
06. Chili
07. Talk To Me
08. Ian’s Song
09. I/O
10. Open Air
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