Les groupes de Death/Grind sont-ils des têtes de cochon ? Musicalement, on serait tenté de le croire, mais pour en avoir croisé un certain nombre dans ma vie, je dois reconnaître qu’ils sont souvent à l’opposé de l’image qu’ils projettent. Ils ont beau parler de massacres, de fiestas Gore pour dégénérés d’hémoglobine, de sadisme cheap et de torture-porn désaxé, ils n’en restent pas moins des gens redoutablement intelligents, et surtout, charmants. Pourtant, parfois, ils font leur tête de cochon. Ils restent dans l’ombre, refusent de sortir de leur tanière, se comportant en plantigrades asociaux hibernant plus longtemps que de raison. C’est toujours pareil en fait. En début de carrière, ils nous inondent de sorties, splits, EP, LP, compiles, lives, et puis arrivés à un point crucial, ils se font désirer, comme si les extrémités de la vie finissaient par se rejoindre. Pour autant, ils ne se calment pas, et c’est sans doute pour ça qu’on les aime tant. A vingt ans comme à quarante ou à cinquante, ils restent absolus, continuent de déconstruire l’extrême pour le rendre plus souple, mais ne baissent pas en intensité. Ainsi, nous n’avions plus de nouvelles longue-durée de nos chers et tendres PIG DESTROYER depuis 2012, et la sortie de Book Burner, qui commençait à montrer des signes d’évolution dans la continuité. Et ils nous manquaient les bougres, puisqu’ils ont toujours plus ou moins incarné une avant-garde de la brutalité. Une façon de la discipliner sans la brider, sans la priver de ses côtés les plus abrupts et agressifs. Et aujourd’hui - merci tonton Relapse - les originaires de D.C reviennent donc sur le devant de la porcherie les poches pleines de cris, sous une nouvelle configuration qui fait au moins autant, sinon plus de bruit que l’ancienne.
Pochette à la FULL OF HELL, noir et blanc fumeux, tel est donc l’apparence choisie par le (pour la première fois) quintette pour célébrer son retour (Jr Hayes - chant, Scott Hull - guitares, Adam Fucking Jarvis - batterie, Blake Harrison - synthé, samples et John Fucking Jarvis - basse). Augmenté pour la première fois d’un bassiste, les américains semblent assumer ce surplus de gravité et de puissance via ce terrifiant Head Cage qui n’est justement pas prêt de les enfermer dans une cage quelconque. Les cinq musiciens sont toujours ces esprits libres qui conçoivent la violence avec affection, et qui peaufinent leur séance de yoga pour apprentis bouchers avec amour et délicatesse. Pas vraiment de grosse surprise à attendre d’un album qui reprend peu ou prou les recettes de son prédécesseur, mais beaucoup de groove, quelques surprises rythmiques, une nouvelle accroche dans l’approche, et une opération séduction qui pourrait même fonctionner chez les plus modérés des tarés. Même les textes de Hayes semblent empreints d’une maturité assez étonnante, lui qui vieillit et qui finit par adapter son expression à sa condition. Mais côté instrumental, si les sonorités Indus sont de plus en plus prononcées, le barouf en arrière-plan ne baisse aucunement en intensité. Sauf que la bande-son des cauchemars porcins est beaucoup plus addictive qu’avant, sans pour autant que les jeunes années ne se sentent trahies. Toujours adeptes de la frappe éclair, les résidents de Washington continuent de sonder les abysses de l’horreur brutale, et en ressortent confortés dans leurs opinions. Oui, l’atrocité n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est compacte mais variée, et qu’elle repose sur des thèmes mémorisables et des parties redondantes comme un barbecue pour seize.
PIG DESTROYER, c’est un peu la recette du groove pour les maniaques en mal de barbaque. On sent que les tortionnaires sont de véritables musiciens, et qu’ils prennent leur pied à vouloir nous faire headbanguer sur des hymnes à la bousculade, comme en témoignent les douze nouvelles tranches de vie qu’ils nous narrent. Impossible de résister à ce défilé de riffs tous aussi épidermiques les uns que les autres, et qui donnent ses lettres de noblesse à un genre qui ne supporte que peu la linéarité d’une imagination bridée. Ici, c’est le pouvoir rythmique qui compte, et à l’écoute des petits nouveaux « The Last Song », transcendant l’ignominie pour la rendre humaine, ou « The Torture Fields » et sa partie de batterie lunaire et compressée en enfer, on se rend compte de toute l’évolution d’instrumentistes loin de travailler comme des gorets. De là, peu importe que la maison de disque nous balance la purée sous la forme de bundles t-shirt/album, tape, vinyle pour épater la galerie et tenter de ramasser les brouzoufs d’une faune bigarrée toujours prête à investir pour supporter ses héros nationaux, seule compte la musique, et elle est bonne, même excellente. Sorte de croisement entre le mythique Prowler In The Yard et Book Burner, Head Cage présente un quintette sûr de son fait, et à l’aise dans son époque, capable d’assumer les travers d’un classicisme immanquable (« Terminal Itch », et sa double grosse caisse parfaitement insupportable sur fond de grognements de groin), pour mieux les détourner façon 2018 et nous faire transpirer d’un déhanchement suintant de saindoux (« Army of Cops », un hit improbable pour une bande de malades irréparables). Alors, on s’accroche, parce que le tout vaut salement le coup, entre ces poussées de chant en dualité schizophrénique, et ces samples qui s’intègrent parfaitement à des hymnes presque Néo-Death dans l’esprit et le rendu (« Circle River », Hardcore, mais épais, Death, mais secret, et surtout, un bondissement qui ramène à l’esprit les guitares du NAPALM des nineties).
Et les emmerdeurs de me dire que tout ça n’est que du PIG DESTROYER, et qu’ils ne font que pérenniser sur un héritage qu’ils ont eux-mêmes amassé. Je dirai donc à ces gros cons qu’ils ont raison, mais que nous avons besoin de groupes comme PIG DESTROYER pour nous faire oublier le marasme d’une musique extrême qui tourne en rond à force de ne plus chercher de porte de sortie. Que nous avons besoin d’un groupe capable de passer du pourceau au gros porc en sautant de « Trap Door Man » à la chaîne de dépeçage « Mt. Skull », d’ailleurs illustrée d’une vidéo. Que nous avons besoin d’entendre Jr Hayes hurler ses textes (« The black house, my uncle built still stands, but now I'm just a stranger, from suburban wastelands », pas certain qu’il aurait écrit ça il y a dix ans…), que nous avons besoin de nous délecter du jus coulant de la guitare de Scott Hull qui balance ses riffs les plus collants, et que par essence, et en définitive, nous avons besoin du collectif pour continuer de nous enthousiasmer pour un Death/Grind capable de relier les pointillés entre BRUTAL TRUTH, NAPALM et AGORAPHOBIC NOSEBLEED (dont on retrouve en renfort Kat Katz et Richard Johnson, venus prêter gorge forte à leurs compères). Alors, après, les critiques faciles, les raccourcis ne l’étant pas moins, je m’en tape. Et même si j’adore les cochons, animaux attachants et Ô combien intelligents, je suis prêt à les sacrifier sur l’autel de l’immoralité pour continuer encore des années à me sevrer de cette musique épaisse comme une tranche de couenne.
« Everyone on Mt. Skull is dead. everyone I love ». Oui mais ailleurs, les gars, il reste encore des milliers de gens qui vous aiment. Alors ne disparaissez pas trop vite, ni trop longtemps.
Titres de l'album :
1.Tunnel Under the Tracks
2.Dark Train
3.Army of Cops
4.Circle River
5.The Torture Fields
6.Terminal Itch
7.Concrete Beast
8.The Adventures of Jason and JR
9.Mt. Skull
10.Trap Door Man
11.The Last Song
12.House of Snakes
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