AZUSA est au choix, le nom d'une ville du Comté de Los Angeles en Californie, un prénom japonais, le nom de scène d'Azusa Mitsu, une chanteuse japonaise de J-pop, ou un cratère d'impact situé sur Mars. Avec ça, vous avez le choix, mais en mélangeant le tout, pour obtenir un concept incongru, vous pouvez aussi obtenir le nom d'un nouveau supergroupe cosmopolite profitant de la débâcle/arrêt/retraite de son groupe principal pour s'offrir une récréation digne de ce nom. Et une fois de plus, l'originalité nous en vient de Norvège, via l'un de mes labels préférés, Indie Recordings, label qui a décidément le nez creux pour nous offrir de l'inédit et du fameux. Mais si la Norvège est au centre des débats, puisque pays d'origine de la maison de disques et de deux des quatre musiciens rattachés à ce projet, le Danemark pointe aussi le bout de son nez, tout comme les Etats-Unis l'ombre de leur patriarcat, ce qui nous donne un ensemble aux passeports bien remplis, et à la volonté de défricher un peu plus de terrain que leurs racines originelles. Mais en jetant un coup d'œil plus attentif au casting du concept, on se rend vite compte que ces dits musiciens n'étaient pas à la base prompt à se contenter d'une routine paisible, mais faisait bien partie d'une confrérie avant-gardiste assez respectée dans les milieux les plus osés. Nous retrouvons donc derrière ce nom de baptême d'autres noms fameux, dont celui de Liam Wilson des DILLINGER ESCAPE PLAN à la basse, mais aussi ceux de Christer Espevoll (guitare) et David Husvik (batterie) d'EXTOL, ainsi que celui plus féminin de Eleni Zafiriadou (chant), des SEA + AIR, soit un panel couvrant un terrain reliant la Ghost Pop au Mathcore en passant par le Death/Thrash/Alternatif. Qu'attendre dès lors de la réunion d'instrumentistes au background si différent? Une extension de leurs expériences passées, quelque chose de nouveau, de l'impossible, du renouveau? Tout ça et bien plus encore, puisque ce premier album du projet, tout en recoupant des informations anciennes, nous projette dans un avenir incertain, en déséquilibre, mais qui pourrait bien représenter un avenir pour les musiques amplifiées en général, et pour les personnes impliqués à une échelle plus humaine.
On le sait déjà, les réunions de gloires locales et internationales sont souvent sujettes à débat, produisant la plupart du temps une simple giclée d'onanisme personnel à peine bonne à souiller la vitre des egos froissés. Mais de temps à autres, lorsque les dits ego se gonflent suffisamment pour exploser à la face des conventions, le résultat devient une norme de l'anormalité, confrontant des éléments disparates dans une gigantesque confusion de bruit, de mélodies et d'expérimentation sonore. Sans aller jusqu'à parler des SONS OF APOLLO, ou du projet anecdotique DEAD CROSS (pourtant majeur pour certains), AZUSA se situe un cran au-dessus du tout venant des héros d'antan souhaitant le rester, et tue dans l'œuf toute crainte de babillage de déchéance artistique en nous proposant l'un des LP les plus intrigant de cette fin d'année. La question se posant au préalable concernant le degré de dilution des anciens groupes mentionnés dans l'affaire pourra être éludée avec classe, tant on sent que le passé des instrumentistes rejaillit avec fougue dans ces nouvelles compositions, qui pourtant ne sont pas que la somme de leurs illustres parties. L'ombre de DEP n'assombrit pas trop la lumière étrange de ce Heavy Yoke, pourtant rythmiquement instable et puissamment erratique, et les ténèbres d'EXTOL, bien que présentes au-dessus d'une terre de désolation chaotique, ne plongent pas l'espoir dans les ténèbres. Quant à la Pop alternative fantomatique de SEA + AIR, on en trouve évidemment témoignage dans la voix d'Eleni, qui pourtant, pour l'occasion, s'est taillé un costume de hurleuse Core très crédible lui collant à la peau comme une seconde identité. Alors du coup, DEP+EXTOL+SEA & AIR = AZUSA? Oui, puisque c'est irréfutable, mais non, et c'est indéniable, et ce premier effort d'en faire beaucoup pour frapper un grand coup et marquer les esprits de sa musique hautement corrosive, et pourtant séduisante comme l'aube immaculée d'un premier communiant.
Et puisqu'il faut bien être concret après cette accumulation d'images floues et de métaphores absconses, osons le postulat. Nous retrouvons sur cette œuvre les déséquilibres rythmiques de DILLINGER, les accès de puissance et la versatilité stylistique d'EXTOL, mais aussi les vagues ondulantes de la musique indéfinissable de SEA + AIR, le tout emballé dans une sorte de packaging Proto-Thrash ridiculisant de son audace la vague old-school refusant à tout prix de s'extraire de sa condition de répétition. En prônant une concision de circonstance, le projet AZUSA nous offre une demi-heure de musique agressive, empruntant au Death, au Hardcore, au Thrash et à la Fusion de quoi alimenter ses réacteurs et son imagination. Mais pour avoir une vision globale et précise à la fois du contenu de ce Heavy Yoke, autant commencer par le début et avaler d'une traite la pilule “Interstellar Islands », qui concentre en trois minutes et quelques toutes les idées et pistes exploitées par la suite. Résumé de riffs incandescents, de coups de boutoir rythmiques, de modulations violentes et de thématiques obsédantes, cette entrée en matière est certainement la meilleure façon d'aborder le contenu, et de comprendre que le concept, aussi disparate soit-il sur le papier, devient d'une cohésion incroyable une fois appréhendé. Mais loin de se borner à étaler des fulgurances histoire d'appâter le chaland curieux, cette introduction fait plus figure d'avertissement que d'épilogue synthétique, puisque les dix compositions suivantes, quoi que respectant les dogmes énoncés en préambule, digressent méchamment sur des possibilités déviantes, et « Heart of Stone » de soudainement imposer la mélodie dans le cadre, pour un effet de séduction massif inondé d'harmonies éthérées (le chant de Zafiriadou est tout bonnement hallucinant de maîtrise, et rapproche parfois le tout d'une version déjantée des STOLEN BABIES en pleine cure de sevrage Irony Is A Dead Scene). Mais pas de méprise, la violence reste la dominante de ce premier chapitre, même si elle se domestique parfois lors des évolutions oniriques, qui ne tombent jamais comme une perruque dans le potage, mais sont au contraire amenées avec beaucoup de délicatesse pour équilibrer le tout (“Heavy Yoke”).
Et on accepte le tout comme un joli cadeau, offert par des musiciens profitant de leur liberté soudaine pour s'exprimer hors d'un cadre trop restrictif. Si “Fine Lines”, malgré sa brièveté rappelle les travaux les plus récents de DEP, d'autres manipulent l'underground comme si le pedigree des protagonistes devait s'effacer face à l'esprit d'innovation (“Lost In The Ether”, les CLOSET WITCH dans un club qui se souviennent soudain de la vague Néo-Thrash nordique des nineties). Saccades, staccatos, pulsions, stridences et dissonances, pour une gigantesque déflagration Harmonico-Grind (“Spellbinder », NAPALM, VOÏVOD, mais aussi les CONVERGE et Katy Jane Garside), ou Metal extrême plus traditionnel ne crachant pas sur un brin de perversion (« Eternal Echo » décalé et vicieux comme du John Petrucci Thrash traduit par Mike Patton), interludes oppressants et asphyxiants (« Succumb To Sorrow »), et un réveil rude après une nuit de turpitudes. Oui, c'est violent, et non, ça n'est pas gratuit. C'est au contraire la seule échappatoire à ce monde moderne qui impose ses diktats d'immédiateté, et qui nous oblige à rentrer dans le rang, ou au contraire à nous affilier à des projets rances se voulant arty, mais creusant leur propre tombe de vacuité. Ici, l'art est traité comme un moyen d'expression de colère et de désillusion, mais aussi comme une porte ouverte sur un ailleurs, où il ne fait pas forcément bon vivre, mais où la liberté à encore un sens et n'est pas qu'un simple mot brandi comme un étendard.
Titres de l'album :
1. Interstellar Islands
2. Heart Of Stone
3. Heavy Yoke
4. Fine Lines
5. Lost In The Ether
6. Spellbinder
7. Programmed To Distress
8. Eternal Echo
9. Iniquitous Spiritual Praxis
10. Succumb To Sorrow
11. Distant Call
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