J’ai croisé la route des SIGH pour la première fois au Hellfest 2010.Je l’avoue sans honte, je n’avais alors jamais entendu parler d’eux, les considérant alors sous l’angle d’un numéro de foire (et leur présence sous une tente semblait confirmer cette impression) et non d’un groupe crédible, et leur place assez basse sur l’affiche semblait aussi prouver que les organisateurs ne misaient pas vraiment sur eux en tant que nom attractif, mais bien comme curiosité en forme de plaisir coupable. Et je l’avoue aussi, j’ai plus été fasciné durant leur set par la beauté plastique et l’exubérance de la sublime Mika Kawashima que par les chansons qui m’ont alors paru assez alambiquées mais pas forcément ordonnées. La faute sans doute à un environnement et un son pas forcément adapté à la complexité d’un groupe qui vaut bien plus que la physionomie avantageuse de sa vocaliste/saxophoniste, même si cette dernière et ses ailes d’ange ensanglantées ont fait trembler le diaphragme de mon appareil photo. Mais une fois le choc visuel encaissé, et le souvenir remonté, je commençais alors à me pencher sur la production du groupe, pour m’apercevoir avec stupeur qu’il n’avait rien d’une nouveauté sensationnelle éphémère, mais qu’il était bien un groupe existant depuis le début des années 90, et possédant une discographie conséquente. Et j’ai depuis 2010 revu mon jugement, pour considérer les SIGH comme ils le méritent, à savoir l’un des groupes japonais extrêmes les plus originaux de la création, alors même que ce pays n’est jamais avare en déviances et autres excroissances étranges. Pensez donc, actif depuis 1990, le concept va bientôt fêter ses trente ans d’existence, et peut estimer peser d’un poids conséquent sur la production mondiale, qui les a depuis longtemps reconnus comme des musiciens uniques jouant une musique ne l’étant pas moins. Et comme chaque album des originaires de Tokyo est une sorte d’épiphanie de surprises, Heir To Despair n’échappe pas à la règle, même s’il fait partie des moins démonstratifs de la longue carrière du groupe.
Car si l’on occulte le gimmick en acronyme de chaque tétralogie publiée (les albums se suivent par paire de quatre pour former le nom du groupe en initiales), et la théâtralité excessive de leur image et de leurs concerts (bien que celle-ci fasse partie du concept global au même titre que la musique), un disque de SIGH est toujours captivant, et surtout, libre de toute obligation. Si pendant longtemps on a associé le combo à une sorte de digression Black Metal utilisant des éléments épars pour sonner avant-gardiste, il convient de réévaluer cette catégorisation en nuançant sa condescendance tacite, puisque ce onzième LP studio vient prouver de ses neuf pistes toute la créativité des japonais, et surtout celle de leur leader, Mirai Kawashima, qui a proposé à ses collègues un concept sur la folie, parfaitement mis en exergue par cette sublime pochette encore signée par Eliran Kantor. Et ce graphisme illustre à merveille le contenu instrumental qu’il dissimule de sa double lecture, affichant le sourire d’une belle japonaise arrosant joyeusement ses plantes, sans cacher le bordel ambiant de la pièce en arrière-plan, ni l’agonie de cette pauvre fleur connaissant certainement ses derniers instants. La folie donc, se basant sur une vieille publicité nationale dénichée par Mirai sur les drogues psychotropes des années 60/70, mais surtout, la créativité, puisque ce onzième tome des aventures de SIGH fait indéniablement partie de leurs plus grandes réussites, de sa versatilité, de son culot, et de son sens de l’abstraction nous renvoyant aux groupes progressifs les plus déments des seventies. Si certains noms ont été lâchés en signe avant-coureur (OS MUTANTES, AGITATION FREE, EMBRYO), d’autres ont devancé l’album de leur réputation, dont celui de notre cher Phil Anselmo venu pousser la chansonnette sur le radical « Homo Homini Lupus ». On sait l’ex leader de PANTERA friand de collaborations et de projets barrés, mais il conviendrait de ne pas oublier que Mirai et lui ont déjà été associés dans le passé sur des travaux de NECROPHAGIA, où Kawashima abusait de ses claviers pour créer des ambiances glauques. Nonobstant ces détails de mise en place, et en jugeant l’œuvre dans sa globalité créative, il n’est pas exagéré d’affirmer que Heir To Despair est une réussite absolue, et une sorte de retour en arrière pour le groupe, qui continue pourtant d’explorer sa propre folie en incorporant à son Metal déviant une foultitude de références et d’influences, usant même de celle traditionnelle de la musique japonaise, sans se départir d’envies Dub, Progressives, expérimentales et tutti quanti. Et autant vous prévenir si vous ne connaissez pas le groupe, qu’une ou deux écoutes ne vous suffiront pas pour comprendre le modus operandi du quintet, qui cette fois-ci fonctionne un peu comme le cerveau d’un schizophrène, persuadé de la validité de toutes les réalités qui l’entourent.
Pour les fans hardcore, le choc sera frontal, et les tentatives symphoniques de Graveward bien loin. La grandiloquence prend ici des visages différents dans un jeu de masques éblouissant, et dès l’entame de « Aletheia », les choses sont claires dans leur démence, la linéarité et la logique ne seront pas de mise, préférant céder la place à l’envie, à la liberté, et au refus des normes imposées. Avec ce Metal aux entournures traditionnelles, difficile de percevoir des traces de passé, même si les énormes riffs sont toujours présents, mais dilués dans des arrangements tribaux et des nappes vocales éthérées dignes de la scène synth-prog des années 70. On prend des idées de ci de là, on les mélange dans un shaker temporel, et on observe le choc des cultures avec amusement, célébrant l’utilisation d’instruments hors-contexte pour les insérer sans heurts dans un schéma Rock, et le cocktail prend, la sauce aussi, et on se retrouve complètement fasciné par ce crossover géant. Et comme pour rassurer ses fans, le groupe enchaîne sur le plus classique « Homo Homini Lupus », qui profite des interventions de Phil Anselmo pour servir le Metal le plus rapide et le plus chaud, se plaçant de fait comme le morceau le plus immédiat de l’œuvre. Il n’est d’ailleurs pas le plus foncièrement intéressant, se contentant de baliser une sorte d’exploration Thrash somme toute assez classique, dotée toutefois de chœurs désincarnés allégeant le tout. Et sans vouloir prétendre vous indiquer le plus urgent, c’est évidemment la trilogie « Heresy » qui représente le point fort de cet album, de par cette volonté de matérialiser la folie artistiquement, passant sans vergogne d’un Ambient électro devant autant son existence au MAYHEM de Grand Declaration of War qu’au KRAFTWERK le plus onirique, à un expérimental avant-gardiste assez dadaïste sur l’intermède troublant « Sub Species Aeternitatis ». Rarement un groupe (à part les VIRGIN PRUNES peut-être) n’aura réussi à mettre en musique ce sentiment de vérité alternative, et la surprise n’en est que plus grande lorsque les structures opératiques classiques prennent le pas sur « Hunters Not Horned ». On retrouve alors le SIGH le plus démonstratif, mais aussi le plus unique, et les pistes de chant s’empilent dans un discours subliminal à la limite de la perception humaine, nous entraînant dans le labyrinthe de la maladie mentale tout en nous laissant notre libre arbitre.
Et sans vouloir détailler chaque piste de Heir To Despair, il convient aussi de citer en exemple le final éponyme, qui nous offre un downward spiral digne du grand Reznor, sans lui emprunter ses recettes, mais en piochant dans l’héritage d’une carrière exceptionnelle. Le parallèle avec les plus grandes figures du progressif déviant des seventies se valide alors de lui-même, et cette dernière révélation sur le chemin de l’introspection fait figure de lumière au bout d’un tunnel de doute, accumulant les cassures, les accélérations, les changements d’ambiance, et tout ce qui transforme une simple somme d’idées en résultat pertinent, mais déroutant. Ce H vient donc clôturer la tétralogie entamée par Scenes from Hell il y a huit ans, et boucle la boucle, me ramenant à ce petit matin de juin 2010 lorsque j’avais découvert sur scène l’une des attractions les plus fameuses du Hellfest. Il incarne aussi le pinacle d’un groupe unique en son genre, qui mérite largement la reconnaissance qui lui est due, et qui continue après presque trente ans de carrière de se montrer toujours aussi curieux et inventif. Les soupirs continuent, et la nuit promet d’être longue. Mais combien d’entre nous sont réellement sain d’esprit ?
Titres de l'album :
1.Aletheia
2.Homo Homini Lupus
3.Hunters Not Horned
4.In Memories Delusional
5.Heresy (Part 1: Oblivium)
6.Heresy (Part 2: Acosmism)
7.Heresy (Part 3: Sub Species Aeternitatis)
8.Hands of the String Puller
9.Heir to Despair
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