D’une oreille distraite et sans y prêter attention, le chroniqueur traitera cette sortie avec la même application vintage qu’il utilise dans la majorité des cas. Pourtant, le nom de ce groupe saura lui prodiguer les indices nécessaires à une analyse plus pertinente. Du moins, s’il est né à la bonne époque et que sa mémoire ne lui fait pas défaut. En lançant le premier morceau, l’étourdi sera ébaubi, et lancera à la cantonade un fort tonitruant mais déplacé ; « Tiens, encore un groupe qui se prend pour la réincarnation de THIN LIZZY ». Et bien qu’injuste, cette constatation aura une grosse part de vérité, et pour cause, puisque GRAND SLAM est tout sauf un groupe de jeunes loups découvrant la magie de la mélodie irlandaise. Il fut, et est presque de nouveau l’ancien-nouveau-défunt groupe que Phil Lynott forma sur les cendres encore fumantes de LIZZY en compagnie du génial guitariste Laurence Archer. Back in the eighties, le groupe alors frais n’eut pas le temps de formaliser ses vues sur un longue durée, ce qui ne l’empêcha pas de se lancer dans une tournée triomphale, et de graver un « In Concert » pour la légendaire BBC. Mais las, la mort du métisse magique mit un point final à l’aventure, ce qui laissa Laurence amer…Car le guitariste savait que GRAND SLAM était autre chose qu’un simple projet annexe ou une récréation dans la carrière de son tempétueux leader, et malgré des insertions dans UFO et STAMPEDE, Laurence n’avait qu’une seule idée en tête. Reprendre l’histoire là où le destin l’avait stoppée, et remettre sur pieds solides ce projet qui méritait mieux qu’une aura mystique et mythique. Il fallait du concret, il fallait surtout enregistrer ce foutu premier album que le passé lui avait refusé. C’est donc chose faite plus de trente ans plus tard, avec ce Hit The Ground qui vient nous percuter les oreilles et la mémoire de plein fouet, et qui parvient, par je ne sais quel procédé surnaturel, à nous replonger dans l’époque bénie des mélodies à la tierce et du Classic Rock joué avec une ferveur Hard.
Pour être plus précis, tout le répertoire actuel de Hit The Ground ne l’est pas vraiment. Les morceaux ont tous été composés à l’époque par Laurence, mais sonnent pourtant terriblement actuels, grâce à une magnifique production. Signé sur le jeune label Marshall records (oui, oui, le même Marshall qui fait péter les watts). GRAND SLAM est aujourd’hui revitalisé, puisque ne subsiste du line-up de l’époque (outre Laurence et Phil, on retrouvait le claviériste Mark Stanway, le guitariste Doish Nagle et Robbie Brennan) qu’Archer, qui s’est entouré de nouvelles gâchettes pour atteindre le cœur de la cible. L’homme est donc secondé dans son entreprise de revival par Mike Dyer, Benjy Reid et Dave Boyce, qui, conscients de l’enjeu, ont tiré le meilleur de leurs capacités pour affirmer GRAND SLAM en tant qu’entité contemporaine et non une simple réminiscence du passé. En résulte un quatuor soudé, qui évidemment fait la part belle à son guitariste au toucher toujours aussi agréable, mais qui permet aussi aux lignes de chant de Mike Dyer de se rapprocher de celles de son illustre modèle, sans les singer au tic près. Rythmique polyvalente mais solide, cohésion d’ensemble imperfectible, ce premier album bénéficie donc du talent immense de quatre musiciens qui sont là pour honorer, pour partager et non pour flagorner, et qui n’ont pas peur de s’attaquer à un pan important de l’histoire du Rock contemporain. Et comme pour mieux affirmer ses positions stables, Laurence se sent obligé d’affirmer que GRAND SLAM est bien un groupe, aussi lénifiante soit cette assertion. Il le dit avec foi, mais surtout pour bien convaincre le public que son rêve en est toujours un, qui souhaite s’inscrire sur la durée. Là est la première bonne nouvelle du dossier, Hit The Ground ne sera pas un heureux incident isolé. Il sera peut-être bien la seconde-première étape d’un parcours que l’on souhaite le plus long possible, au vu de la qualité de la musique produite. Car là est le nœud du problème, cette musique que l’on pouvait craindre trop connotée, trop ancrée dans un passé chéri, et qui au final sonne aussi fraiche que celle produite par des hommes de vingt ans qui commencent juste leur carrière. Et Dieu que ça fait du bien d’associer le nom de Lynott au présent…
Cette musique justement, est celle que l’on aurait pu apprécier en 84/85, si le concept avait été jusqu’au bout de sa démarche. On sent que le grand Phil et sa coupe afro se serait délecté de ces chansons brutes mais ciselées, de ce Rock hargneux mais souple, et qu’il aurait incarné ces harmonies avec tout l’amour dont il faisait preuve à l’époque. Rien ne dénote, tout est connoté, et pourtant, tout sonne actuel, up in time, en plein dans une mouvance qui recherche le secret de la salsa mais qui peine à la trouver parce que ses acteurs n’étaient pas nés à l’époque. Je veux dire, « Gone Are The Days », au-delà de son titre en forme d’aveu est la meilleure entame dont GRAND SLAM pouvait rêver, et pour cause : on s’y croirait. Le fantôme est dans les murs, cautionne la direction, apprécie l’authenticité, et acclame l’énergie. Ce groove unique, ce timbre qui fait tout pour, mais qui garde sa personnalité, et cette guitare qui mord sans faire saigner, c’est du passé qui baigne dans son jus, mais délivré par un musicien qui a connu, tout connu, et certainement regretté pas mal de choses. Du LIZZY dans le texte, repris à son compte et non récité bêtement, et un plaisir incommensurable. Mais loin de se borner à reproduire à l’identique, le quatuor se lance à corps perdu dans une bataille contre la médiocrité, désirant prouver qu’il est là pour le Rock, et non la vente de souvenirs en plastique made in Taiwan. Ainsi, « 19 » fait la nique à toute cette jeunesse avide de secrets d’anciens, et nous bouscule de son up tempo rageur, encore une fois soutenu par un jeu de batterie fantastique. Les voix se mêlent, se séparent, les couplets suent et le refrain tue, et le cœur chavire. Nous avons 19 ans encore une fois…
Et certains titres, au soleil de 2019, prennent un éclairage nouveau et encore plus brillant. Ainsi, « Dedication » retrouve le souffle épique et mélodique de TL, mais sonne plus Hard que ce Phil a pu produire de son vivant. Et cette hargne, cette vitalité font que le projet devient pérenne de fait, et s’inscrit sur la durée, tant on imagine mal une si belle et probante aventure s’arrêter prématurément. Spécialement lorsqu’on pose ses oreilles émues sur le moment de tendresse qu’est « Sisters of Mercy », gospel dans le fond, mais encore plus bluesy qu’une accolade de Freddy King. A la différence près que le leitmotiv de Laurence et ses comparses n’est pas de larmoyer sur le cadavre des souvenirs, mais bien de sourire à la vie, d’embrasser le présent et d’écrire le futur. Alors, le morceau se transforme vite en hymne au bonheur et au plaisir, avec toujours ces chœurs si parfaits, et ces riffs qui trouent le silence de trente et quelques années de radio cassée. Avec ses textes lucides et concernés, Hit The Ground accepte l’inéluctabilité des choses, mais transforme cette conscience accrue en dynamique velue, et « Crazy » de virevolter boogie, tout comme le final euphorique en hymne de « Grand Slam ». Et à moins de faire preuve d’une immense mauvaise foi totalement déplacée, il est impossible de ne pas voir en ce premier LP autre chose qu’une simple revanche sur l’histoire. Il faut y voir l’acte de naissance d’un nouveau groupe, né des cendres d’un ancien qui aurait pu et dû devenir l’icône d’une génération qui n’en manquait déjà pas. Je ne sais pas si Phil de son paradis musical a pu entendre ce qui s’est tramé en son absence, mais gageons que si tel est le cas, il en a ressorti sa Precision pour jammer à distance avec son ancien pote.
Titres de l'album :
01.Gone Are The Days
02.19
03.Hit The Ground
04.Military Man
05.Crazy
06.Dedication
07.Long Road
08.Sisters Of Mercy
09.Crime Rate
10.Grand Slam
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