A force de se fader des entêtés collés sur le strass des eighties et des alunis encore persuadés que la face sombre de la lune des seventies n’a pas révélé tous ses secrets, on en vient à occulter toutes les autres périodes ayant précédé ou succédé. Mais avant tout ça, il y eut les sixties, débordantes de vitalité, nous faisant passer du noir et blanc de la chaîne unique au multicolore culturel des rues, et puis après, il y eut les nineties, avec ses clips au contraste excessif et ses couleurs sursaturées. Mais étrangement, malgré l’aspect bigarré des clips tournant en heavy rotation sur la sacro-sainte MTV, le fond de l’humeur était plutôt sombre. Oh, certes, la Brit-Pop éclatait et brillait de mille feux, la Dance, la Techno peignaient les pistes de danse en fluo, mais le Rock lui n’était pas des plus joyeux. Après les excès de la décennie précédente, il souhaitait revenir vers des perspectives plus concrètes, vers des tonalités plus neutres, vers des ambitions plus réalistes et modestes. Inutile encore une fois de pointer Seattle du doigt ou de blâmer Sub Pop pour le comportement neurasthénique et à la fois désabusé de ses poulains, mais quand même. L’importance des années 90 est souvent passée sous silence, eu égard au côté cyclique de la mode qui laisse des intervalles de quelques décennies avant de remettre sur les mannequins les frusques qu’ils ont arboré plus en amont. Et puis, avec les obsessions actuelles de la scène scandinave pour le Soft Rock et la Pop smooth, et l’obnubilation du reste de l’Europe pour la Power-Pop, le Hard-Rock des anciens et l’Alternatif naissant, il y a peu de chances que cette décennie parvienne à se tracer une route jusqu’à la production. C’est dommage, parce qu’un peu de nostalgie pertinente ne ferait pas de mal. Remettons au goût d’un jour pas si nouveau les tracas d’une génération un peu blasée d’avance. Avouons notre passion pour le SONIC YOUTH post Goo, avouons un intérêt certain pour les GIRLS AGAINST BOYS, JESUS LIZARD, SOUNDGARDEN, ALICE IN CHAINS, qui comme leurs faux modèles des DOORS, de CREEDENCE, de SUICIDE, KRAFTWERK et tant d’autres méritent réhabilitation.
Une réhabilitation localisée, qui vient de Clermont-Ferrand, et qui date de 2014. C’est à cette époque-là que les initiales LD, RSK, MLB, MP, NZ émergent pour mettre en branle l’un des projets au nom des plus cryptiques, UNTITLED WITH DRUMS. Tout ça ressemble à un titre de travail pour ne pas trop faire chauffer l’imagination, mais c’est presque la vérité. Ce nom, les clermontois l’ont emprunté à l’une de leurs idoles, les SHIPPING NEWS, dont ils empruntent pas mal de codes et d’astuces pour mettre leur inventivité old-school en valeur. Et après un premier EP éponyme, publié en 2017, le quintet s’en revient avec un premier long, de durée raisonnable, mais d’inspiration magique, et fertile. L’inspiration d’ailleurs est portée comme un étendard, comme un t-shirt un peu délavé, qui mentionnerait en son dos une tournée fictive des FAILURE, SLINT, CAVE IN, TRUE WIDOW et bien évidemment SHIPPING NEWS. Mais ce t-shirt ne suffirait pas à baliser les passions adolescentes de ces musiciens, ni les chemins qu’ils foulent pour rejoindre leur propre route. Tiens, pour exemple, en écoutant « Silver », on pense à des DEFTONES récents repris par un TENGIL moins innocent. On sent aussi des effluves d’ALICE IN CHAINS lorsque le rétro est bien calé sur le passé. On sent un peu de tout, même les STP, pour peu que votre esprit se laisse porter. Mais on sent avant tout un énorme Rock abrasif, qui rappelle les MILK et l’écurie Sub Pop des premières années, un gros Rock qui se veut Noisy pour garder l’esprit, mais qui n’oublie pas les mélodies dans les recoins de la mémoire. Une musique viscérale, immédiate, instinctive, et urgente pourquoi pas, un truc qui vous fait jouer avec le feu de riffs simplissimes mais toujours aussi efficaces sur le bien nommé « Play With Fire », impeccable début qui explose comme l’hymne qu’on attendait après la génération Glam de trop. On se souvient bien sûr des SMASHING PUMPKINS, on se souvient de JESUS LIZARD, on se souvient de ces énormes basses distordues et des MELVINS, mais surtout de cette propension à croire que le Rock se devait d’être honnête et dangereux, et pas emballé dans un joli papier cadeau pailleté.
Enregistré à Genève par Serge Morattel (KNUT, VENTURA, YEAR OF NO LIGHT, IMPURE WILHELMINA…), Hollow est un peu plus qu’un simple trip nostalgique entamé après avoir léché un buvard Grunge un peu corsé. C’est une transposition personnelle d’un Post Rock un peu trop contemplatif depuis quelques années dans un langage plus rude, des mots plus durs, des frôlements de peau plus rêches. Mais la béatitude des harmonies acides est toujours là, confiée comme un secret qu’on se passe entre initiés, à demi-mots, avec peu de notes, mais beaucoup de puissance (« Passing On »). L’astuce des contretemps, de ce chant qui plane longtemps au-dessus de la tête comme un Chino en transe, de cette rythmique qui refuse le quatre-quatre classique et qui se relaxe un demi-temps pour jouer la bourre (« Stasis »). Rien de vraiment nouveau, mais rien de vraiment daté non plus, même si l’amertume de Staley revient dans la gorge comme une perte incroyable que le temps ne guérira pas (« Amazed »). Les clermontois ne sont pas américains, ils ne sont pas nés dans l’état de Washington, mais dans le Puy-de-Dôme, ce qui ne les empêche nullement de chanter la noirceur d’un avenir qu’on voit se dessiner en pointillés, et qu’on appréhende d’un pas relativement peu sûr, pas certain de se relever en cas de chute (« Hex », le Post Rock d’aujourd’hui joué comme le Rock Indie d’hier)…En considérant l’œuvre avec un minimum de recul, l’influence de SHIPPING NEWS crève évidemment les tympans, mais n’est pas le genre d’étiquette qu’on porte avec regrets. Les mecs assument leur passion, mais la recyclent intelligemment, pour se présenter en prolongement, et non en suiveurs. Alors certes, every move you make, i’ll be watching you, mais ces percussions étrange sur delay fantôme avec « Consider », c’est plein de flair et de bile à la fois, et puis cette diversité dans la cohésion à largement de quoi séduire au-delà des cercles…d’initiés.
Pas besoin d’être nostalgique pour apprécier les UNTITLED WITH DRUMS. Il faut juste aimer la musique d’une façon générale, et d’aimer son Rock légèrement âpre, mais généreux. On peut l’aimer parce qu’il évoque la route qu’il reste à faire pour réconcilier le pré et le Post-Rock (« Revolve »), mais on peut aussi l’aimer parce qu’il formalise un mal-être ambiant qui commence à méchamment s’incruster (« Strangers », modèle de crescendo lourd et hypnotique à la « I Want You (She’s so Heavy) »). Et puis on peut l’aimer tout court en fait parce qu’il est joué honnêtement, parce qu’il est joué puissamment, parce qu’il est joué…sans détours. Et puis ça change un peu les nineties, c’est moins roots ou clinquant, mais ça reste important. Au moins autant qu’une génération entière ne sachant pas ce qui l’attendait au tournant. Comme maintenant en fait…
Titres de l’album :
01. Play With Fire
02. Passing On
03. Stasis
04. Amazed
05. Silver
06. Hex
07. Consider
08. Revolve
09. Heirs
10. Strangers
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