Voilà un album que j’attendais de pied ferme, et de tympans impatients. Après tout, après avoir fait la connaissance de ce groupe il y a maintenant cinq ans, j’avais vu mes conceptions sur l’avant-garde et l’expérimentation chamboulées, au point de leur faire adopter une nouvelle définition : l’avant-garde concrète, non comme la musique, mais comme l’époque à laquelle nous vivons. ASHENSPIRE m’avait cueilli totalement à froid avec son entame Speak Not of the Laudanum Quandary, qui redéfinissait les contours de l’ambition artistique de la plus belle des manières. En créant des textures mouvantes et des scénarii progressifs, le groupe de Glasgow en Ecosse proposait une œuvre fouillée, complexe, riche, mais paradoxalement appréhendable par pas mal de monde, et pas seulement les élites élevées aux groupes les plus précieux dans un univers select. Alors, en découvrant cet Hostile Architecture, j’attendais évidemment plus qu’une simple redite, et c’est exactement ce que le groupe m’a offert : une logique dans la continuité, et un vent chaud de changement dans l’évolution.
Alasdair Dunn (chant, batterie), Fraser Gordon (guitare, choeurs), Ben Brown (FALLOCH/BARSHASKETH, basse), James Johnson (violon/choeurs), Matthew Johnson (saxophone, choeurs), Scott McLean (FALLOCH, Rhodes, piano), Rylan Gleave (ALL MEN UNTO ME, chœurs/chant), Amaya López-Carromero (MAUD THE MOTH, voix) et Otrebor (BOTANIST, Hammered Dulcimer) nous ont donc concocté un comeback comme on n’en fait rarement et à l’écoute de ce nouvel album, on a presque le sentiment que les deux chapitres de la bande se suivent à quelques mois près.
Produit, enregistré et mixé par Scott McLean aux La Chunky Studios, masterisé par l’increvable Brad Boatright aux mythique Audiosiege, Hostile Architecture se drape d’un artwork froid signé Tobias Holmbeck pour bien souligner son propos : l’architecture moderne, son inconfort, ses mensonges et ses pièges tendus aux plus basses couches de la société. Ou comment les hommes subissent leur environnement de béton, sans pourvoir en retrouver l’essence initiale de praticité et de métissage des couches sociales. Pour illustrer ce propos et toutes ses déviations, il fallait évidemment une musique froide, décalée, déconstruite, dissonante et quelques fois irritante, comme pour rappeler ces horribles pics de métal incrustés sur des bancs publics pour empêcher les SDF de dormir à peu près normalement. La musique, comme l’architecture moderne se devait d’être dérangeante, atonale, et pourtant, rougie d’une certaine colère qui gronde en arrière-plan d’un quotidien routinier. Et en quarante-quatre minutes, ASHENSPIRE fait le tour de ses propres questions pour y apporter ses propres réponses.
« The Law of Asbestos » définit immédiatement les contours de la problématique. Instrumentation pleine avec rythmique processionnelle, saxo qui s’époumone dans la nuit, montée progressive de la puissance pour une lancinance évoquant à merveille la renonciation de ce peuple rentrant chez lui comme on va à l’abattoir. En moins de neuf minutes, les écossais posent les bases de l’équation, et transforment les allées des grandes résidences en couloirs de la mort, avec comme exécution, un manque d’oxygène et un faux confort de béton et de fleurs artificielles. Le chant scandé, hurlé, épouse les contours d’un instrumental devenu âpre et violent, et la danse commence : blasts, rigueur, distanciation, pour une illustration du quotidien sans pitié, et surtout, sans espoir. On retrouve tout ce qui a fait la force d’ASHENSPIRE lors de sa découverte il y a cinq ans, cette façon de détourner les codes du Black Metal sans lui faire adopter de force les sinuosités de l’avant-garde. Un processus naturel, et profondément fascinant, qui nous oblige à voir la réalité en face : l’humanité n’en est plus que de nom, et ces zones résidentielles, ces tours d’ivoire ont brisé nos rêves les plus modestes.
Toujours aussi brutal et sans concessions, ASHENSPIRE ose encore une fois à peu près tout, du Free/Black/Jazz au Grind usé et dépareillé, pour mieux modeler l’extrême à sa convenance sans hériter d’étiquette indécollable. On prend acte de ces déliés de saxo hystérique, de ces passages lourds et moites comme une nuit d’été en pleine barre des 400, et en tombant sur le bien nommé « Béton Brut », on souffre de cette chaleur amplifiée par la matière grise qui se reflète dans un présent/prison.
S’il est toujours aussi difficile de cerner la démarche musicale des musiciens, entre SHINING, PAINKILLER, VULTURE INDUSTRIES, A FOREST OF STARS, DØDHEIMSGARD, KRALLICE et DOLDRUM, il est toujours aussi agréable de constater qu’il n’ont pas perdu leur sens de la perdition, entre couplets rudes et râpeux et breaks mélodiques et Post Rock, pour former un tout correspondant à la réalité d’une frange de la population qui passe par toutes les humeurs, la tristesse, l’ennui, le désespoir, la joie fugace et l’espoir dérisoire. Ainsi, « Plattenbau Persephone Praxis » ose à peu près tout ce qu’un groupe extrême peut oser quand il s’affranchit des figures imposées (on pense même à de l’agit-prop remanié musical, c’est dire), ce que confirme « How the Mighty Have Vision » et ses chœurs désincarnés sur fond de complainte jazzy abordé par un groupe issu du Bauhaus.
Il n’y a pas trente-six solutions, comme il n’y en a que très peu pour affronter ce monde expurgé de tout sentiment. Soit vous acceptez de vous immerger dans cet univers étrange fait de contrepieds, d’arythmie, de chant hanté et possédé très théâtral, de riffs simples mais répétés à intervalles irréguliers, soit vous vous y noyez, soit vous refusez d’y mettre plus d’un orteil. Vous pourrez à la rigueur vous tremper dans l’agressif et puissant « Tragic Heroin » qui joue enfin avec l’agression la plus brute, mais vous reculerez d’horreur en découvrant la nostalgie et le violon de « Apathy as Arsenic Lethargy as Lead », sans compter que vous échouerez au test incroyablement sélectif de « Cable Street Again ».
Voyez cet album comme la description d’un présent qui n’a pas d’avenir, mais qui l’accepte avec contrition. Tolérez son instrumentation étrange et sa violence sourde comme une victime de nuit que personne ne défend, et intronisez les écossais d’ASHENSPIRE maîtres de cet équilibre très instable entre élitisme et discours populaire, mais ludique.
Voilà un album que j’attendais de pied ferme, et de tympans impatients. Et même en vivant à la campagne, j’ai le sentiment que les murs de poussière ne vont pas tarder à tous nous avaler.
Titres de l’album :
01. The Law of Asbestos
02. Béton Brut
03. Plattenbau Persephone Praxis
04. How the Mighty Have Vision
05. Tragic Heroin
06. Apathy as Arsenic Lethargy as Lead
07. Palimpsest
08. Cable Street Again
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