J’aime bien imaginer des scénarii, décaler des situations, visualiser des images que seul mon petit cerveau déviant est capable de créer. Que voulez-vous, lorsqu’on chronique comme un forcené, qu’on enchaîne les proses et qu’on fouille l’underground jour après jour pour trouver sa pitance artistique, on se fixe des buts, on relève des défis, on fait marcher son imagination sous peine de devenir barge. Ainsi, en tendant l’oreille sur le nouvel EP des finlandais de STATUS ABNORMIS, Huntress, je me suis dit que si les danois de MERCYFUL FATE avaient vu le jour il y a quelques années, Melissa aurait pu ressembler à ces quatre morceaux aussi mystiques que cryptiques. Certes, ceux qui écouteront comme moi cette nouvelle production pourront légitimement avoir des doutes sur cette corrélation somme toute osée. Ils ne sauront se reconnaître dans cette absence de riffs francs, ils ne ressentiront pas les mêmes effets occultes, et penseront que la grandiloquence de ton est encore un peu exagérée au regard des standards de production de King Diamond et des autres. Pourtant, cette pesanteur, ce sens de la progression toute en emphase, ce miroir sans tain qu’un musicien tend à un auditeur pourront rappeler les moyens mis en œuvre au Danemark en 1983 pour détourner les codes du Metal, et les intégrer à un contexte moins prévisible. Il est évident que les STATUS ABNORMIS ne jouent pas de Heavy Metal stricto-sensu. Ils n’en utilisent que certaines coutumes, dont cette énorme amplification, cette dramatisation qui les éloigne du mainstream, et au final, il n’est même pas certain qu’ils jouent vraiment ce qu’ils prétendent jouer. S’ils se plaisent à définir leur musique comme une forme très endurcie de Death Industriel ou de Thrash avant-gardiste, autant dire qu’une fois encore, les termes peinent à baliser le terrain. Et un simple coup d’œil à leurs influences/références suffit à comprendre que leur volonté brise bien des tabous, et que la route qu’ils ont empruntée n’est pas la plus facile à suivre.
Car on ne nomme pas ANAAL NATHRAKH, AKERCOCKE, EMPEROR, VENASIA, GODFLESH ou OPETH par hasard, ni pour faire joli d’ailleurs. Mais surtout, on ne ressemble pas à ces groupes là tout en gardant sa propre identité par un coup du sort. Il faut faire bien des efforts pour approcher de près ou de loin du génie maléfique et équilibriste de ces ensembles, qui eux aussi ont un jour réfuté tout principe d’économie de moyens et de statisme, mais lorsque le résultat est à ce point probant, on peut se targuer d’avoir relevé une gageure incroyable. Les fans ne seront pas pris au dépourvu, puisque le quatuor de Jyväskylä n’en est pas à son coup d’essai, loin de là. Depuis 2010, et la fondation du groupe par Nikke Kuki (KRUSEYER) en tant que side-project, vite rejoint par Antti Teirioja à la batterie, ces musiciens ont pris la peine de dispenser leurs enseignements sous la forme de deux longue-durée, Call Of The Void en 2013, encore un peu timide, et le plus ample Amor Fati, en 2015. Epaulés depuis le début par Jere Kyrö (guitare) et depuis l’année dernière par Tomi Tikka (basse), Antti et Nikke se sont donc tus pendant plus de trois ans, pour revenir par la petite porte, en distillant leurs efforts via un EP quatre titres, dont la durée s’approche pourtant dangereusement de leurs LP officiels. Quatre chapitres pour un timing de plus d’une demi-heure, dont un gigantesque pamphlet de plus de dix minutes, le format est étudié, mais peine à cacher une grande inspiration qui mérite d’être analysée. Si les ingrédients ayant permis à Amor Fati sont toujours présents (cette grandiloquence de fond et de forme, cette violence excessive, ce lyrisme sombre), on sent que les STATUS ABNORMIS ont voulu mettre les bouchées double pour rattraper le temps perdu et autant dire que leur travail paie, puisque Huntress se cale discrètement au creux des sorties les plus remarquables de cette année. Pour en apprécier les circonvolutions et autres déviances, il faut faire preuve de patience, et d’ouverture d’esprit. En tant que sadique assumé, je serais tenté de vous conseiller d’aborder l’oeuvre par son versant le plus abrupt, ce terminal « Huntress » qui de ses six-cent-cinq secondes résume à merveille toute l’affaire, mais je ne crois pas me tromper en affirmant que le quatuor a agencé son travail de manière à le faire découvrir dans l’ordre du tracklisting. Et c’est donc par la porte d’entrée « Witnesses To The Pale » que vous découvrirez cette nouvelle étape de la saga du froid, et sans doute l’un des plus puissants et ténébreux du lot.
Impossible à son écoute de ne pas penser à un savant mélange entre les VIRUS et ANAAL NATHRAKH, tant ce subtil psychédélisme de forme s’accorde très bien d’un décorum de tragédie grecque presque BM dans le fond. Les guitares laminent en arrière-plan, et tissent des motifs uniformes pour remplir le décor, tandis que la rythmique se meut entre blasts éprouvants et pilonnage constant, laissant de fait un chant pluriel envahir l’espace, modulant lui aussi entre cris suraigus et volutes de graves. Le boulot abattu par des chœurs omniprésents est tout bonnement impressionnant, et si les thématiques faussement mélodiques se veulent redondantes, leur insistance est renforcée par des cordes qui refusent l’ouverture, et restent repliées sur leurs obsessions grondantes, tandis que la narration poursuit son cours, ne laissant que peu de place au silence et à la quiétude. On se dit que cet Horror Metal se veut l’équivalent d’un opéra de Verdi joué par des musiciens en pleine crise de blasphème, mais la majestuosité de l’ensemble a de quoi laisser pantois, surtout lorsqu’on en remarque les petits détails, comme cette basse qui louvoie ou ces tierces échappées de la NWOBHM. Après huit minutes, on ressort rassuré de savoir que les STATUS ABNORMIS n’ont pas perdu la main, et qu’ils sont toujours apte à créer ces atmosphères uniques nous plongeant dans les affres de leur imaginaire. Et si « Last Light » allège un peu le tout, dans un désir de vous laisser vous accrocher à des harmonies patentes, « Chrysalis » se permet de juxtaposer l’OPETH le plus contemplatif et l’EMPEROR le plus emphatique, dans un étourdissant ballet d’arrangements spectraux et de guitares en véto. Dissonances, accélérations, plans qui fourmillent d’idées à peine perceptibles, et tout ça pour aboutir à ce final dantesque dont peu de groupes pourraient rêver d’approcher la grâce morbide.
Progressif autant que l’on puisse l’être, cinématographique, concret mais évanescent, onirique mais ancré dans le présent, Huntress est un petit signe de la main adressé de loin, qui se transforme en hurlement sous vos oreilles, alors que vos yeux sont encore fixés sur l’horizon. La bête nous en revient donc les crocs aiguisés, le pas lourd, et le regard assuré, prête à dévorer l’underground de sa folie contagieuse. Mais en dépit de tous ces superlatifs, de toutes ces comparaisons, je ne peux m’empêcher de continuer à voir en cet EP une incarnation à postériori des débuts de MERCYFUL FATE, augmentés d’une puissance contemporaine. Le pouvoir de l’autosuggestion sans doute.
Titres de l'album:
"...jouer un concert en Arabie Saoudite. Un honneur absolu et un privilège. Les loups du nord apporteront la tempête hivernale à Riyad !"Un véritable honneur absolue de jouer en Arabie Saoudite, la ou les apostas sont condamnés &agra(...)
21/11/2024, 08:46
Quand on se souvient du petit son des années 80... Mais la prod ne fait pas tout, ça reste du pilotage automatique. C'est pas avec un truc pareil que je vais me réconcilier avec eux, et ça fait 20 piges que ça dure.
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