Steve NEWMAN est donc un homme très occupé. Au moment même où je rédige cette chronique pour son nouvel album, j’apprends que le projet COMPASS publie Our Time on Earth, qu’il a entièrement conçu et produit. Il faut dire que le londonien n’est pas vraiment un rookie dans son genre, puisqu’il traîne son talent sur la scène du Hard Rock mélodique depuis plusieurs décennies. Fait assez rare dans le Hard-Rock mélodique, spécialement concernant un artiste qui en plus écrit et compose pour d’autres, NEWMAN fait preuve d’une régularité assez étonnante, puisqu’il ne se passe pas une ou deux années sans que le concept ne fasse parler de lui. L’aventure sous son propre nom est donc plus ou moins née en 1997 avec la publication d’un premier LP éponyme, suivi deux ans plus tard par One Step Closer, par Dance in the Fire en 2000, Sign of the Modern Times en 2003, Heaven Knows en 2006, Primitive Soul en 2007, The Art of Balance en 2010, Under Southern Skies en 2011, Siren en 2013, The Elegance Machine en 2015, Aerial en 2017 et aujourd’hui, en 2020, cet Ignition. Soit la bagatelle de douze albums en vingt-trois ans de carrière, et l’une des plus grandes injustices de ce monde moderne. En effet, pour qui a déjà tendu l’oreille sur un album de Steve et ses comparses, cette indifférence polie globale est parfaitement inexplicable, le groupe n’ayant jamais produit d’album faible, encore moins médiocre. D’ailleurs, les esthètes ne s’y trompent pas. A l’énoncé de son nom, les tympans se dressent et les cœurs battent, ce qui n’a rien de surprenant. Steve NEWMAN, outre un compositeur de premier plan, est aussi un multi-instrumentiste reconnu. Il se charge lui-même du chant, de la guitare et des claviers, se faisant accompagner cette fois-ci par Rob McEwen à la batterie, et au chant sur une poignée de morceaux par Dave Bartlett et Mark Thompson-Smith. Pas de grosses surprises donc à attendre d’un album qui intervient trois ans après le célébré Aerial, puisqu’il en reprend plus ou moins les recettes, en les poussant une fois encore aux limites de la perfection.
Cette recette est simple, établir une frontière assez floue entre Hard Rock mélodique et AOR puissant, méthode appliquée par l’anglais depuis le début de sa carrière. C’est ainsi que les comparaisons ne vont pas manquer de pleuvoir avec tous les groupes de l’écurie AOR Heaven, mais aussi Richard MARX, JOURNEY, ECLIPSE, W.E.T, SHY, MAGNUM, DARE, parallèles inévitables dans ce cas de figure. Mais ce qui m’a toujours fasciné chez NEWMAN, c’est cette capacité à conférer à chaque morceau une identité unique, sans nuire à l’homogénéité de l’ensemble, ce qui est remarquable dans un style réputé pour baser toute son essence sur les mélodies. Et une fois encore, malgré un grand nombre de morceaux et un timing étiré, Ignition fait montre d’une variété incroyable, sans jamais verser dans la mélasse sentimentale ou l’excès de sucre dangereux pour le diabète. Qui plus est, la voix de Steve est de celles qui ne déclenchent pas l’admiration, mais qui séduisent de leur timbre humain et de leur humilité harmonique. Il n’est pas question ici d’envolées lyriques ni de démonstration de puissance, mais bien de lignes vocales sobres mais prenantes, avec un vibrato raisonnable, et une utilisation très pertinente des chœurs. Ce qui nous donne de petits miracles comme « Last Chance », qui de son refrain hautement addictif nous emmène droit vers les paradis du Hard Rock mélodique tel qu’on le jouait aux Etats-Unis dans les années 80. Mais à vrai dire, le ton est immédiatement donné par le trépidant « End Of The Road » qui annonce la couleur. Une rythmique alerte, au beat jumpy, une guitare malicieuse, pour un art consommé de la chanson Rock à connotation Pop, avec des relents de GIANT en version plus élastique et populaire, et des mélodies à tomber par terre. Assurément, Steve NEWMAN n’a pas perdu la main pour composer des hits à la chaine, qui nous ramènent à l’époque bénie des eighties, lorsque ce genre de musique avait encore sa place sur les radios grand public.
Mais s’il est un compositeur doué, un chanteur discipliné, Steve est aussi un guitariste qui sait toujours placer la bonne idée au bon moment, évitant les riffs éculés pour oser les arrangements fins. Les soli qu’il propose, qui usent du tapping, des sextolets soft et autres techniques affûtées, sont toujours pertinents, et servent les morceaux, non l’inverse. Alors, avec toutes ces données en tête, vous n’avez plus qu’à apprécier le festival offert par le musicien et ses accompagnateurs, qui multiplient les tubes et osent même parfois défier les suédois sur leur propre terrain conquis aux américains, via « Chasing Midnight » à l’intro bondissante qui mène sur un couplet de toute beauté. Les enchevêtrements de voix donnent un reflet de diamant à des compositions qui exultent et transpirent la joie de vivre, et à aucun moment le compositeur ne semble donner de signe de faiblesse. Certes, les puristes auront parfois du mal avec certaines compositions qui osent le synthétisme west-coast, à l’image de « Ignition » qu’on aurait pu retrouver sur le dernier DEF LEPPARD juste après « Man Enough », mais avec des monuments érigés à la gloire de BON JOVI et ECLIPSE comme « Worth Dying For », tous les petits écarts de dureté sont excusés. En bons roublards que nous sommes, nous attendons la faute de goût, la chanson un peu plus faible que la moyenne, mais notre bassesse d’esprit restera désespérément frustrée, puisque « To Go On Loving You » revient dans le giron du Hard Rock mélodique des eighties, tandis que « Moving Target » évoque MISTER MISTER, IQ, MARILLION, avant de se souvenir de Kenny Loggins,
Et même si les morceaux passent parfois la barre des cinq minutes, l’ambiance reste au beau fixe, parfois plus intime aux ombres tamisées (« Life In The Underground »), parfois plus tendue mais toujours californienne (« Wild Child »), et lorsque le quart d’heure de romantisme arrive enfin, tout le monde est prêt, sachant pertinemment que Steve n’est pas le genre de dragueur lourd qui impose le glucose (« Promise Me », très DARE). Rien à faire, le concept tient de bout en bout et la réussite est totale, même lorsque l’orientation vise le TOTO des années 90 (« The Island », on s’y croirait), et lorsque « Welcome To The Rush » referme les portes sur son riff mordant, l’esprit s’évade encore, persuadé que le voyage ne peut être déjà fini. Là est la magie de NEWMAN, qui nous tient quand même compagnie pendant près d’une heure comme s’il était arrivé il y a cinq minutes. Ignition est donc une petite merveille de plus à ajouter à son catalogue, qui finit par ressembler à un best-of du Hard Rock mélodique de ces quarante dernières années. Mais l’homme est trop modeste pour accepter les honneurs, et l’artiste trop concentré sur son travail pour se laisser distraire. Espérons qu’un jour Steve obtienne la reconnaissance qu’il mérite, ce qui ne serait que justice après toutes ces années.
Titres de l’album :
01. End Of The Road
02. Chasing Midnight
03. Ignition
04. Worth Dying For
05. To Go On Loving You
06. Moving Target
07. Last Chance
08. Life In The Underground
09. Wild Child
10. Promise Me
11. The Island
12. Welcome To The Rush
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