Excusez-moi, je n’ai pas prêté attention. Vous avez dit old-school ? Ou bien Death Metal ? Oui ? Ah, nous sommes donc d’accord, et je vais pouvoir continuer cette chronique sous de bons auspices. Car en effet, si le Death old-school est votre tasse de thé (mais comment pourrait-il en être autrement ?), les chiliens de CODEX risquent de devenir vos nouveaux meilleurs amis à défaut de vos nouveaux héros. Articulé autour de deux personnalités (Raz - chant/guitare/basse/batterie programmée et Ren Zo - chant), ce concept est né de l’escapade de l’un de ses membres de groupes comme OPHANIMS et ROTTEN HEAD afin de monter son propre projet. Se mettant alors à composer ce qui allait devenir le premier EP de cette nouvelle entité, Albor (2016), le multi-instrumentiste solitaire fut soudainement rejoint par un autre ex-OPHANIMS, Ren, qui prit alors en charge le chant, mais aussi l’écriture des lyrics. Depuis, les deux hommes ont poursuivi leur collaboration, accouchant d’une démo (El Gran Devorador, la même année), avant de se concentrer sur l’élaboration d’un premier longue-durée, disponible à compte d’auteur depuis le début du mois de septembre. CODEX nous en revient donc animé de très mauvaises intentions, mais armé d’une première œuvre très léchée, faisant la part belle aux sonorités du passé sans sombrer dans la redite d’un Death vintage un peu trop cachetonné. Et autant dire que les deux musiciens n’ont pas chômé, et qu’ils transforment ce premier essai en belle réussite, qui trouvera facilement écho dans le cœur bien abimé des fans de Metal morbide de la fin des années 80/début des années 90.
Composé de dix tranches de vie qui empestent la mort, Ignominia est en effet une ignominie parfaitement remarquable et délicieuse, qui rend un hommage appuyé aux influences avouées du combo. En admettant de sérieuses accointances avec les références PESTILENCE, SUFFOCATION, GOREFEST, DEATH, OBITUARY, ou SOULROT, les CODEX évitent ainsi l’allégeance trop prononcée à la scène floridienne, et ne picorent pas non plus les graines de la haine scandinave, ce qui nous permet de déguster un LP qui sent bon le macabre made in Europe de la charnière entre deux décennies. Si le chaperonnage le plus évident reste celui de PESTILENCE, il serait bon de lui adjoindre le lexique d’ASPHYX, puisque le personnage de Martin Van Drunen reste la charnière de ce premier album, et pas seulement à cause de la voix de Ren qui offre des similitudes frappantes avec le timbre du hollandais pourrissant. Musicalement, PESTILENCE tient donc le rôle de pivot, mais on sent que les deux chiliens n’ont pas souhaité non plus pousser le mimétisme trop loin, puisque de charmantes et odorantes effluves d’AUTOPSY percent aussi à travers les systèmes d’aération, tout comme une légère odeur fétide d’ACID BATH permet de ne pas avoir le nez trop bouché. C’est donc un boulot totalement fermé et hermétique qu’Ignominia développe le long de ces quarante minutes de mise en bière, et autant dire que le travail d’inhumation est exécuté avec beaucoup d’application.
Production très sourde et symptomatique des exigences de l’époque, riffs circulaires et pathologiques, variations de tempo sinueuses mais efficaces, pour un retour dans le temps aussi savoureux qu’un festin d’asticots sur le corps d’un anonyme en train de se putréfier dans un fossé quelconque. Pas encore assez technique pour honorer le parrainage d’un SUFFOCATION, mais parvenant à faire la jonction entre le PESTILENCE de Consuming Impulse et celui plus ambitieux de Testimony of The Ancients, CODEX joue donc la carte de la passion et de la dévotion, et affirme son identité propre en accumulant les plans certes prévisibles, mais assemblés avec amour. En tentant par tous les moyens d’éviter une redondance de surface sans sacrifier sa puissance, le duo nous délivre donc une partition assez variée, évidemment recentrée sur la déliquescence d’une musique qui avait déjà bénéficié d’une extrême onction il y a bien longtemps, et ne nous casse pas les oreilles avec un plagiat à peine déguisé, ou des aspirations techniques tout à fait déplacées. Suffisamment bon musicien, Raz tisse une toile sonore claustrophobique, humant la moisissure et le salpêtre d’un vieux caveau familial fermé depuis des siècles, et organise son périple à travers les méandres du Death Metal d’antan avec une application remarquable. Certes, au détour des morceaux, les thèmes sembleront rebattus parfois, et empruntés à droite à gauche, mais la morgue placide d’une ouverture de la trempe de « Codex » suffit à comprendre que le compositeur principal a bien retenu les leçons des anciens, en trouvant l’équilibre parfait entre percussion et ambition. Quelques pirouettes techniques de ci de là, mais surtout beaucoup de franchise, et des atmosphères, comme celle de « Odio », qui rappelle un NOCTURNUS plus maussade que d’ordinaire, alors même que certaines interventions jouent plutôt la carte du chaos ambiant (« El Gran Devorador », blasts tranquilles, chant sous mixé, et riff dissonant pour un cauchemar ambulant).
Si de temps à autres, les parties de batterie électronique peuvent choquer, elles restent la plupart du temps suffisamment analogiques pour ne pas heurter, et sont contrebalancées par des riffs épais et des soli bien sentis, ce qui permet de faire abstraction. Le chant de Ren, un peu linéaire au demeurant, à ce petit plus putride qui lui permet de creuser la terre un peu plus profond, et comme les morceaux ne cherchent pas les prolongations, le tout se déguste avec appétit, spécialement lorsque la recherche sonore fait preuve d’un peu d’audace (les chromatismes et les progressions harmoniques dissonantes de « Maldición de Seis Puntas » en sont une preuve dégoulinante). Et si Raz n’a pas le flair d’un Patrick Mameli ni le génie d’un Chuck Schuldiner, et encore moins la démence classique d’un Trey Azagthoth, il n’en est pas moins un très honnête et habile artisan, qui connaît très bien son métier, et qui l’honore de son savoir-faire. Et entre des plans rythmiques écrasants (« Nada », au faux tempo pataud prenant) et des assombrissements mélodiques permettant à la basse de se faire une petite place (« Negro a Rojo »), le bilan est plus que positif pour le duo, qui prône un certain classicisme de surface pour tenter de progresser et transcender ses humbles ambitions. Sans révolutionner le landerneau du Death old-school, CODEX y insuffle sa fraîcheur fétide, et s’offre avec Ignominia une belle ignominie dans les règles de l’art. A conseiller aux nostalgiques de l’ancien PESTILENCE, mais aussi à tous ceux auxquels le Death européen manque à en mourir.
Titres de l'album :
1.Codex
2.El Gran Devorador
3.(Des)Control
4.Negro a Rojo
5.Odio
6.Tortura
7.Poderosa Muerte
8.Maldición de Seis Puntas
9.Nada
10.Trabajo del Mal
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