Etrange groupe, étrange parcours, étrange découverte. Il n’est pas rare de passer à côté d’un artiste au vu des proportions de la production actuelle, mais passer à côté d’un artiste pendant plus de vingt ans est déjà chose plus rare. C’est pourtant aujourd’hui que je découvre l’existence des finlandais de MOKOMA, alors même qu’ils sont en activité depuis les mid nineties. Et ne découvrir l’existence d’un groupe qu’à son treizième album n’est pas chose courante lorsqu’on arpente les arcanes de la toile depuis le début du nouveau siècle…Mais admettons que les finlandais n’ont sorti des albums que sur des labels nationaux (et quasiment sur un seul d’ailleurs, Sakara Records), et qu’ils soient donc logiquement passés au travers des mailles du filet de mon attention, pour mieux nous concentrer sur leur dernière livraison, cet Ihmissokkelo pas inintéressant du tout. Je disais groupe étrange pour parcours étrange, mais mes arguments sont viables pour en arriver à cette assertion. Car MOKOMA, à l’instar de SAMAEL, de PANTERA et de dizaines d’autres a commencé sa carrière sous des auspices particuliers, avant de dériver vers un style plus en phase avec leurs convictions. C’est ainsi que les premiers albums du quintet faisaient montre d’un formalisme Hard-Rock/Heavy Metal assez notable, avant que les musiciens ne changent d’optique pour se caler sur la ligne d’un parti Thrash/Crossover pas forcément très franc du collier non plus. Chantant dans leur langue natale, les finlandais nous offrent donc leur propre version d’un extrême rationnel et mesuré, avec ce treizième chapitre aux connotations métissées et aux partis-pris de pluralité. Thrash donc, mais pas dans le sens où tout le monde l’entend, plutôt entre deux ou trois eaux d’ailleurs, entre Metal à la nordique, Death à la scandinave, et Crossover à l’américaine, pour un melting-pot assez intrigant, mais de qualité.
Il est donc assez difficile de définir avec acuité les contours de cette musique, qui parfois sonne Hardcore moderne, parfois Thrash serein, mais globalement Metal malin. Avec un line-up qui n’a que peu changé depuis de longues années (le membre le plus récent a rejoint l’équipe en 2003), et un frontman/leader inamovible à son poste (Marko Annala, son chant et sa longue barbe), MOKOMA est donc un ensemble à la stabilité rassurante, et à la production étoffée. Après renseignements et écoutes sur des sites spécialisés, il semble évident avec Ihmissokkelo que le temps de Valu, le premier LP de 1999 est loin, très loin. Les originaires de Lappeenranta ont effectivement fait un très long voyage depuis leurs débuts, changeant de direction, peaufinant leur son, pour aujourd’hui produire un mélange assez unique, agressif mais souple, puissant mais modulable, mélodique mais ferme (« Tuhat ei Riitä »). Ce morceau, l’un des plus atypiques de la première moitié d’album, mixe des blasts, des grognements purement Death, des passages Doom avec chœurs désincarnés et démultipliés, des accélérations Thrash à la AT THE GATES, le tout emballé dans une atmosphère presque mystique. A l’inverse, « Vuoret, Huolet » sonne comme un hit médium des BACKYARD BABIES repris par un équivalent d’un MANOWAR finlandais avec l’aide d’un rappeur national. On pense même aux MASS HYSTERIA sur le refrain qui ressemble beaucoup à celui de « Furia », ce qui en dit long sur la capacité du quintet à changer d’ambiance sans se préoccuper de la logique ou de la pertinence. Du Metal libre donc, affranchi de toute contrainte, pas forcément violent ni rapide, mais intelligent, et roublard au demeurant, le critique perdant parfois son latin devant ces optiques mouvantes et changeantes.
Tout n’est bien sûr pas codifié ou détourné sur cet album. Certains morceaux gardent le cap, se basant sur un riff extrêmement redondant pour offrir une vision musclée et moderne d’un Thrash qui ne s’assume pas vraiment. Ainsi, « Pimeä Aine » se permet des cassures presque opératiques et des passages en chausse-pied légèrement psychédéliques et dignes de Devin Townsend, suggérant même quelques accointances avec VIRUS. Mais la plupart des titres refusent la linéarité, et semblent affectionner particulièrement les modulations vocales toujours annoncées par des harmonies plus prononcées. On se perd alors en conjectures, trouvant dans le Folk local de quoi expliquer ces cassures impromptues (« Yöpuoli », progressif dans un sens, mais assez caractéristique de la démarche de guingois des finlandais), semblant identifier chez quelques contemporains le même sens de l’à-propos très personnel (STAM1NA, VIIKATE), pour mieux accepter le singularisme d’une formation qui ne peut se fixer sur un genre en particulier. La philosophie générique est même Punk dans le fond, avec ce je-m’en-foutisme des conventions, mais on finit par excuser et comprendre, spécialement lorsque le quintet nous rentre dans le lard avec des morceaux surpuissants évoquant KORN (« Syyttävä Sormi »). Pas vraiment dans le moule, les MOKOMA (outre Marko Annala au chant, on retrouve Tuomo Saikkonen et Kuisma Aalto aux guitares et aux chœurs, tous deux membres de MIND RIOT, Janne Hyrkäs à la batterie et Santtu Hämäläinen à la basse) font ce qu’ils veulent, retournant parfois vers leurs racines Heavy pour apporter des nuances à leur Thrash actuel, produisant de fait un contraste assez intéressant sur le final « Huomenna Voikin olla Niin » (qui rappelle méchamment OPETH et MAIDEN sur ses passages les plus calmes).
Ihmissokkelo est donc un album qui détonne dans la production actuelle, bien loin des standards et des courants en vogue, refusant la nostalgie sans vraiment accepter les coutumes de son époque, entre Heavy mélodique et personnel, Thrash traduit dans un vocable exotique, et Death sous-jacent…Dommage que le nom de MOKOMA ne soit pas plus connu hors de ses frontières, leur liberté créative méritant plus d’attention.
Titres de l’album :
01. Alkupiste
02. Ilmoitusluontoista Asiaa
03. Vuoret, Huolet
04. Ihmissokkelo
05. Tuhat ei Riitä
06. Toinen Ihminen
07. Pimeä Aine
08. Yöpuoli
09. Leikin Loppu
10 Jäljet
11 Syyttävä Sormi
12 Huomenna Voikin olla Niin
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