L’adage populaire dit que la fortune sourit aux audacieux. C’est certes assez vrai, mais je dirais en adaptant cette maxime à la langue de Shakespeare que la chance sourit aussi aux opiniâtres, aux persévérants, à ceux qui ne cessent d’y croire. Et la chronique du jour le prouve, puisque l’histoire de ce groupe hors-norme défie toutes les lois temporelles et les probabilités…FORTUNE fut à la base crée par les frères Richard et Mick du même nom, venant d’une famille de musiciens professionnels. Ne résistant pas bien longtemps à la tentation, les deux frangins finirent inévitablement par emprunter le même chemin, et fondèrent dans les glorieuses seventies un gang portant leur propre nom, avant de sortir un album lui aussi éponyme en 1978, sur la major Warner Bros. Mais loin d’être la mouture définitive du projet, ce premier jet n’en était qu’un et le line-up connut quelques ajustements et enrichissements, avant que FORTUNE ne grave à nouveau en 1985 un « second premier LP », toujours éponyme, et cette fois-ci distribué par MCA Records, via Camel. Las, la boite fit faillite avant qu’une promotion digne de ce nom ne permette aux frères de s’en faire définitivement un, et l’histoire s’arrêta-là à jamais, du moins selon l’opinion publique…Mais c’était sans compter sur la passion et les efforts de patience développés par les frères, qui finalement en 2006 ont remonté un trio pour relancer leur carrière, avant de formaliser leur retour plus officiellement en 2016 et une participation Rockingham Music Festival, qui se renouvela l’année suivante. L’accueil leur ayant été réservé fut tellement dithyrambique, qu’un simple coucou temporaire n’était plus envisageable, et c’est donc à partir de cette date que FORTUNE connut une seconde jeunesse, et que les musiciens se remirent au boulot de composition.
Et on pouvait compter sur la présence d’esprit du label transalpin Frontiers Records pour les y encourager. C’est ainsi que le mois d’avril 2019 célébra la naissance du second (ou troisième, selon les options) LP du groupe, très logiquement baptisé II pour faire écho à l’œuvre de 1985…Précisons les choses d’emblée. Si le nom de FORTUNE ne vous est pas familier, sachez qu’en tant que titre d’album (celui de 1985 encore, pas de confusion), il a été célébré par tous les esthètes AOR du monde entier, qui se sont souvent accordé à dire qu’il ne représentait rien de moins que la quintessence absolue du genre. Et connaissant l’œuvre en question, je ne saurais complément contredire ces fanatiques, les chansons du groupe ayant à cette époque la patine brillante parfaite pour illustrer une sorte d’exercice de style absolu. Mais le calendrier n’est plus ouvert sur les eighties, nous sommes aujourd’hui en 2019, et le public est en droit d’avoir d’autres exigences que les simples clichés d’un Hard Rock mélodique tel qu’on le jouait il y a trente ans, même si la vague nostalgique nous rappelle à tout moment qu’avant, c’était parfois mieux que maintenant. Alors, finalement, le FORTUNE d’aujourd’hui, vaut-il celui d’hier et surtout, peut-il se montrer compétitif face aux jeunes loups suédois qui aimeraient bien devenir calife à la place du calife ? La réponse est un oui massif, et le résultat est d’autant plus troublant que les frères n’ont pas changé d’un iota leur optique, signant là une suite qui se montre à la hauteur de l’original…
Aujourd’hui quintette (Mick Fortune - batterie, Richard Fortune - guitare, Larry Greene - chant, Ricky Rat - basse et Mark Nilan - claviers), le gang à de sérieuses allures de référence légendaire revenue à la vie, sans pourtant forcer le destin ni adopter des postures à la mode. Impossible pour ces musiciens de faire autre chose que ce qu’ils ont toujours fait brillamment et ce II, malgré l’âge, malgré les années, les kilomètres et les regrets sonne aussi frais que le premier effort d’un ensemble d’une vingtaine d’années de moyenne d’âge. Loin de verser dans la complaisance et de faire appel au pilotage automatique, le tandem Richard/Mick a taillé dans la soie de quoi essuyer le canon des flingues, et nous livre une copie immaculée, parfaitement équilibrée entre pulsions romantiques et instincts hargneux, pour un véritable festival de Hard-Rock mélodique tout sauf niaiseux. L’écueil de l’autosatisfaction a donc été évité avec brio, et les dix nouvelles compositions tiennent admirablement bien la distance, bénéficiant évidemment d’une production que Frontiers a voulu impeccable, et a obtenu. Et si j’admets que les néophytes du genre ne comprendront pas très bien ce que cet album a d’exceptionnel, les plus aguerris y reconnaîtront la patte des maîtres, de ceux capables de se situer pile à la frontière (évidemment…) du Rock et de la Pop, sans sonner Pomp ni Mock. Plus proches de la vague suédoise actuelle que des mous du bulbe américains de la décennie d’or et d’argent, FORTUNE lâche la vapeur dès « Don’t Say You Love Me », qui dans les années 80 aurait fait un carton absolu, et montre que le poids du destin ne l’a pas accablé, et que la faim est toujours aussi grande. On aime ce riff redondant qui ne se laisse pas marcher sur les cordes par le clavier, ce chant passionné mais qui ne dégouline pas de vibrato tragique, et cette rythmique dont chaque coup porte et qui se refuse à jouer les simples supports.
Et pour être bien certains de ne pas être pris pour des pleureuses d’un passé perdu à jamais, les FORTUNE confirment d’un trépidant « Shelter Of The Night » que le grand Jami JAMISON aurait fait sien avec beaucoup d’amour. En choisissant le sur-mesure et en conchiant le prêt-à-porter, le quintet se montre à la hauteur de sa propre légende, et parvient avec plus de trois décades dans le rétro à se montrer aussi convaincant que lors de sa prime jeunesse. Et les hits s’enchaînent, glissant parfois sur la pente du romantisme sans s’engluer dans la mièvrerie made in Hollywood (« A Little Drop Of Poison », écoutez-moi cette puissance de distorsion avant de sortir les mouchoirs), mais gardant toujours le cap sur un Rock up-tempo nerveux, à dominante de claviers, mais toujours du bon pied (« What A Fool I’ve Been », du ASIA survitaminé aux premiers SURVIVOR et FOREIGNER). Inutile évidemment de passer en revue tout le nouveau répertoire, puisque la surprise partielle doit subsister, mais sachez que la qualité des premiers morceaux ne se dément pas sur les derniers, et que l’agressivité est toujours de mise, sous des atours veloutés (« The Night », la perfection n’existe pas ? Je ne parierai pas…). Agrémenté d’un morceau live dans son édition Japan deluxe, II est le retour en force d’un groupe qui va fatalement décrocher la timbale qu’il mérite. Un genre de best-of AOR/Melodic Rock sous couvert d’inédits, et une FORTUNE qui va tomber comme le jackpot d’un bandit manchot de Las Vegas un peu trop émotif.
Titres de l'album :
1.Don’t Say You Love Me
2.Shelter Of The Night
3.Freedom Road
4.A Little Drop Of Poison (For Amy W.)
5.What A Fool I’ve Been
6.Overload
7.Heart Of Stone
8.The Night
9.New Orleans
10.All The Right Moves
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21/11/2024, 08:46
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