Ikigai

Abiotic

12/02/2021

The Artisan Era

Abordons de front des considérations plus violentes que la moyenne, histoire d’anticiper 2021 dans sa pire configuration. Quels évènements nous attendent, quelles nouvelles tragédies, quels nuages noirs vont flotter sur notre avenir, alors même que 2020 agonise lentement de sa cruauté, nous réservant peut-être une dernière mauvaise surprise finale avant de s’éteindre à jamais ?

Les américains d’ABIOTIC proposent justement leur conception des choses et celles d’un futur proche, en nous offrant en amont les fruits de leurs réflexions brutales. Et pour ce faire, ils osent une contradiction entre leur propre nom et celui de leur troisième album. Rappelons pour la forme que le mot ABIOTIC signifie « dénué de vie », et que l’idiome « ikigai » signifie lui « une raison d’être ». De fait, comment une entité dénuée de vie pourrait-elle avoir une raison d’être, les deux termes s’annulant de leur sens premier. Mais l’explication se trouve sans doute dans cette pochette présentant un samouraï effectuant le fameux rituel du Seppuku, autrefois brillamment illustré musicalement par nos TAXI GIRL, samouraï qui achève son existence en projetant ses vies à venir. Résurrection, purgatoire, nul ne connaît le sens de cet acte, mais après tout, ne nous faudra-t-il pas mourir pour renaitre et enfin espérer un destin plus clément ? Ce n’est pas ce que semble indiquer le contenu de ce nouvel album, qui vient à point nommé rompre quatre ans de silence de la part du groupe qui s’était mis en hiatus en 2016, juste après la sortie de son second long Casuistry. Et ces cinq années de disette discographique ont en fait été employées à composer la suite des aventures du combo de Californie, qui avec Ikigai signe son album le plus dense, le plus fouillé, et le plus cohérent. Et si les musiciens l’avouent eux-mêmes, je prends plaisir à leur donner raison.

ABIOTIC sur le papier incarne une forme très évoluée de Deathcore progressif, mais ne vous laissez pas effrayer par l’appellation. Car si le Deathcore tient effectivement une place importante dans leur vision, le Death technique et plus traditionnel sait s’imposer au détour des passages les plus musicaux. La preuve en est qu’en bon allergique au Deathcore, j’ai savouré cet album presque comme si je dégustais les œuvres de PESTILENCE ou DEATH, sans évidemment comparer ces légendes aux américains du jour. Mais en faisant preuve d’ouverture d’esprit, et en oubliant pour quelques instants les mécanismes les plus forcés de leur style d’origine, les ABIOTIC signent un album terriblement ambitieux, et rempli jusqu’à ras-bord de soli, de prouesses rythmiques, mais aussi de breaks plus planants et harmonieux.

Ne vous inquiétez pas, il n’est pas question de contemplation ici, et d’ailleurs, le groupe a abandonné ses histoires de cosmos et d’espace pour s’intéresser à des sujets beaucoup plus terre à terre. Le noyau de base du groupe, en duo (Matt Mendez - guitare, Johnathan Matos - guitare), toujours soutenu par la voix caverneuse de Travis Bartosek depuis 2014, a intégré à l’ensemble deux nouvelles recrues de choix, en confiant la basse à Kilian Duarte (LATTERMATH, SCALE THE SUMMIT, ex-FELIX MARTIN) et la batterie à l’omniprésent Anthony Lusk-Simone (CADAVERYNE, PATHOGENIC, ex-SOUL ANNIHILATION, ex-VALLON, LATTERMATH, MIMESIS, ex-COFFIN BIRTH, ex-DREADED SILENCE, ex-SHROUD OF BEREAVEMENT, ex-YOUR PAIN IS ENDEARING, ex-NEX PARTUM, ex-OF BIRTH, ex-PRΨORΨ OF SΨN, ex-WITH NO REMORSE), et autant dire que l’axe rythmique s’en donne à cœur joie dans la démonstration. Comme le style l’exige, les percussions sont toujours en mouvement, entre blasts et fills supersoniques, tandis que la basse n’hésite pas à imprimer l’œuvre de l’empreinte de ses déliés typiquement Jazz. Et comme l’exigeait un retour en grandes pompes, le casting de l’album s’est aussi permis quelques invités notables, dont Chaney Crabb d’ENTHEOS, Brandon Ellis et Trevor Strnad de THE BLACK DAHLIA MURDER, Jared Smith d’ARCHSPIRE, Scott Carstairs de FALLUJAH et même l’ancien THE CONTORTIONIST Jonathan Carpenter.

Who’s who de la violence décomplexée, Ikigai est donc une belle illustration de la brutalité la plus technique mise au service d’un concept intelligent et productif. Si évidemment, tous les tics du genre sont présents, avec ces cassures nettes et impromptues, ces passages réglés à l’équerre et au compas, ce son global très froid et clinique, et ces nombreuses prouesses individuelles, il se dégage de ce troisième né une véritable envie d’aller plus loin et de casser quelques codes au passage, pour ne pas se retrouver coincé dans la petite case du Deathcore progressif trop prévisible.

Et c’est ainsi qu’après une courte intro dispensable, le quintet renouvelé place la barre très haute avec le title-track qui impose ses dissonances et son rythme bancal. Inspirés par des institutions comme THE FACELESS, NECROPHAGIST, GOJIRA, DEATH, BENEATH THE MASSACRE, SUFFOCATION, CATTLE DECAPITATION, OPETH, THE CONTORTIONIST, ou THE BLACK DAHLIA MURDER, ABIOTIC mixe toutes ses influences dans sa violence ininterrompue, pour accoucher d’un monstre de puissance qui se laisse écouter comme on constate son impuissance à changer les choses, qui évoluent trop vite dans le mauvais sens. Et même si le son de batterie reste insupportable et synthétique, même si quelques riffs ne servent pas à grand-chose, même si le décorum paraît excessif, les nombreux inserts jazzy et les longs développements plus Ambient à base de mélodies Post et de douceur instrumentale marquent les esprits. Notes de claviers, effets sonores à propos, unisson des deux guitares et de la basse pour une valse sans hésitation, tout est propre, et si le timing est encore un peu long pour une œuvre aussi concentrée, l’ennui reste dans son placard et nous permet d’apprécier les efforts d’un groupe qui tenait vraiment à s‘excuser de sa longue absence.

Et si cet album s’avère oracle d’infortune, 2021 nous promet les cataclysmes les plus mortels, et les déconvenues les plus mortifères. A savoir si l’on acceptera de mourir pour renaitre dans un monde meilleur, mais Ikigai reste toutefois une belle façon de quitter ce monde qui ne tardera pas à rendre son dernier souffle.       


             

Titres de l’album:

01. Natsukashii

02. Ikigai

03. Covered the Cold Earth

04. Smoldered (feat. Chaney Crabb of ENTHEOS)

05. The Wrath

06. If I Do Die (feat. Brandon Ellis of THE BLACK DAHLIA MURDER)

07. Souvenir of Skin (feat. Trevor Strnad of THE BLACK DAHLIA MURDER)

08. Her Opus Mangled (feat. Jared Smith of ARCHSPIRE)

09.  Horadric Cube (feat. Scott Carstairs of FALLUJAH)

10. Grief Eater, Tear Drinker (feat. Jonathan Carpenter ex-THE CONTORTIONIST)

11. Gyokusai


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par mortne2001 le 03/06/2021 à 14:09
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