Death Metal ? Black Metal ? Les deux ? Si telle est votre inclinaison, je ne saurais que trop vous conseiller de jeter vos deux oreilles sur le premier longue-durée du projet LIGHT DWELLER, qui justement, se situe en convergence des deux genres, tout en échappant à leurs contraintes. Projet plus que groupe, puisqu’on ne trouve qu’un seul musicien au casting de cette nouvelle entité maléfique, le très discipliné mais légèrement sociopathe Cameron Boesch, qui depuis presque deux ans s’évertue à brouiller les pistes en combinant capacités techniques palpables et nihilisme artistique total. C’est donc dans le flou le plus complet que nous accueillons cette première réalisation, qui fait toutefois suite à un premier EP à compte d’auteur lui aussi, paru l’année dernière, Nullity of Light. De son titre, ce premier format court dispensait quelques leçons de brutalité musicale sous couvert d’une union pas si contre nature que ça des tendances les plus extrêmes, et autant dire que Incandescent Crucifix ne fait pas grand-chose pour amadouer le chaland, en accentuant les aspects les plus rebutants et bruyants de l’affaire. Calé au chaud sous le label confortable mais imprécis du Blackened Death Metal, LIGHT DWELLER est une entité uniforme qui propose des idées protéiformes, et qui de fait, s’exclue de toute case un peu trop répartitive. Si la bio du sieur Boesch est assez sommaire sur ses pages officielles (tout au plus confesse-t-il des penchants pour le pessimisme et les psychoses), on apprend en fouillant un peu qu’il officie en parallèle au sein de plusieurs ensembles, dont ABHORRATION (Brutal Death) et NULLINGROOTS (Post BM/Shoegaze), ce qui finalement en dit plus long sur ses aspirations multiples qui trouvent ici un point de convergence relativement intrigant. D’une cruauté assez admirable, Incandescent Crucifix n’est rien de moins qu’un gigantesque chaudron de Santeria débordant d’ingrédients tous plus dégoulinants et repoussants les uns que les autres, qu’un magicien parvient à amalgamer en une sorte de brouet à base de riffs purement Death, d’un chant typiquement Black, et d’une technique instrumentale se rapprochant des sorciers de MESHUGGAH.
Etonnant ? Oui, c’est le moins qu’on puisse dire, mais surtout, incroyablement viable et épais en oreilles. S’avouant proche de groupes comme ARTIFICIAL BRAIN ou DARK FUNERAL, ce sont surtout les références DEATHSPELL OMEGA et INCANTATION qui frappent le plus la conscience, puisque LIGHT DWELLER se situe à équidistance des deux, adoptant la complexité inextricable des premiers et la profondeur de gravité des seconds. En agitant bien, tout ça nous donne un Death très technique, aux changements de rythmes et de motifs fréquents, accentué d’un chant partagé entre écorchement et exploration de glotte, pour une combinaison fatale qui ne laisse pas de bois. D’ailleurs, ce premier LP en envoie pas mal, malgré sa brièveté (sous la demi-heure, mais bizarrement ça ne choque pas plus que ça), et nous assomme de sa succession de riffs tous plus sombres et complexes les uns que les autres, qu’une rythmique à l’abattage phénoménal soutient de ses triples croches affolées. Se promenant dans les arcanes de l’extrême, Cameron en profite pour en décrire les moindres recoins les moins recommandables, et taquine le Doom, le BM, le Sludge parfois, et évidemment le Death le plus crucial et impitoyable, pour donner à son travail un aspect encore plus compact, qui pourra éprouver les nerfs des plus sensibles d’entre vous. Au demeurant, aucune démonstration à craindre, mais des capacités de composition assez notables, et une succession de morceaux, qui s’ils partagent un fil rouge, n’en oublient pas moins les variations pour ne pas se montrer trop linéaires.
Et si certains se montreront méfiants à l’égard du label « one-man-band » qui cache souvent un excès de complaisance et des enregistrements at home ne valant guère mieux qu’une démo, soyez rassurés. La production, très diffuse et un peu sourde vous garantit un confort d’écoute professionnel, et le talent du bonhomme vous assure une trame générique que les grandes références pourraient lui envier. Certes, « Glum », en tant qu’entame pose les jalons et trace les grandes lignes, abusant de dissonances d’intro et de polyrythmie complexe, singeant les meilleurs tics des DEATHSPELL OMEGA pour les transcrire dans un vocabulaire commun aux SUFFOCATION et VOÏVOD, sans copier l’un ou l’autre, inimitables de toute façon. Mais on se prend de passion pour ce Death très affiné qui ne rechigne pas à se montrer aussi laid qu’un album de BM des années 90/2000, lorsque les BLUT AUS NORD, DODECAHEDRON et autres défenseurs de la cause expérimentale l’ont définitivement fait passer du côté obscur. Mais il n’est pas non plus interdit de ressentir des secousses du GORGUTS d’Obscura, eut égard à cet empilement de parties enchevêtrées, même si émotionnellement, LIGHT DWELLER reste bien plus appréhendable. Mais en forçant sa guitare à adopter les postures les plus biscornues, en les enfonçant dans le marigot d’une gravité excessive, et en glaçant sa voix d’un nappage scandinave, Cameron Boesch parvient à générer des images nouvelles, qui décrivent avec âpreté un voyage compliqué dans les tréfonds de la brutalité. Jamais simple, sa musique reste pourtant pénétrante, et si « Incandescent Crucifix » ne fait rien pour arranger les choses au point de suggérer des parties disparates assemblées à la hâte, les basculements soudains vers la lourdeur, les breaks rythmiques qui semblent joués par des pieuvres à dix tentacules, les ambiances très élaborées nous hypnotisent au point de nous faire perdre la notion du temps (car l’homme impose cinq idées à la seconde), et de l’espace, tant les frontières de genre s’effacent au profit d’un chaos ininterrompu.
On encaisse, et quelques licks plus foncièrement classiques comme ceux du diabolique « Dissociative Panopticon » nous permettent de reprendre notre souffle pour un court instant, avant que des blasts BM ne nous balayent la cervelle une fois de plus. Démonstratif dans le fond, ce qui est indéniable, mais efficace dans la forme, Incandescent Crucifix place la tension et l’oppression comme vertus cardinales, et nous bouscule, nous choque, nous perturbe et nous intrigue de ses écrasements inopinés, de ses crescendos bien amenés, de ses mélodies amères en dissonances abusées, et finit par s’imposer comme œuvre majeure de cette année 2019, malgré le caractère singulier de ses prises de position. Et sans vouloir vous dévoiler tous les atours d’un album qui mérite d’être découvert par soi-même, je vous persuade que son intensité ne se dément pas, et que la continuité des riffs vous embaumera le cœur dans un linceul de tonalités caverneuses. Un disque qui ne fait pas vraiment de bien à l’âme (l’intro de « Ignoramus Resurrect » donne clairement envie de mettre fin à ses jours un dimanche de pluie), mais qui représente un exutoire crédible à la linéarité ambiante des travaux trop avant-gardistes pour enthousiasmer, et des pathétiques tentatives de raviver une flamme qui ne s’est jamais éteinte.
Titres de l'album :
01. Glum
02. Incandescent Crucifix
03. Dissociative Panopticon
04. Aphotic MonolithCradel
05. Cradel
06. Sloven
07. Ignoramus Resurrect
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