Aujourd’hui (oui, les chroniques ne sont pas comme le pain, elles ne sont pas cuites au petit matin), c’est la journée du câlin. D’esprit décidément chafouin, j’ai décidé de m’exprimer en alexandrins pour vous introduire à nos amis de l’après-midi qui sont forcément très mécontents.
« Si la vie est trop veule, que ton destin s’empâte,
Prends donc ça dans ta gueule, et va faire cuire des pâtes ».
Poésie. Ainsi vont les américains d’ESCUELA GRIND mené par la vociférante Katerina qui comme l’ouragan trépasse plutôt que de se rendre. Avec un nom pareil, et d’ibères promesses de merveille, nous aurions pu concevoir le groupe originaire d’un pays de l’espoir, Espagne, Colombie, Brésil, Argentine ou Pérou, itou. Mais point du tout, puisque ces maniaques du bruit fou viennent en fait de plusieurs états d’Amérique, comme Eric, alors même que leur base centrale de diffusion est New-York, la ville de déraison. Cessons donc là les prétentions littéraires et les rimes paires pour mieux se concentrer non sur les câlins, mais sur la grosse mandale que viennent de me coller ces marsouins. Après avoir donné leurs premiers shows new-yorkais en 2016, ces musiciens qui sont loin d’être des débutants de la scène bruitiste US se sont donné la peine de graver pour la postérité un LP qui de ses intentions à sa formalisation, n’est que bruit et fureur, horreur et Crossover. Du Grind donc, mais traité par des esthètes de la fusion, qui selon leur bio Facebook, aiment le bordel de saison. C’est ainsi que le groupe se revendique du Hardcore, du Punk, du Powerviolence, du Fast et du Mincecore, du Death Metal, du Dbeat, du Noise et du Grindviolence, ce qui en cette journée du câlin vous garantit quelques contacts très rapprochés entre vos tympans et le néant. Assourdissant, le mot est faible pour décrire la déflagration qu’est Indoctrination, mais autant admettre deux choses. Le résultat est en adéquation avec des textes impliqués socialement et politiquement, et avec une vision extrême de l’extrême, que ces olibrius défendent bec, ongles, blasts et cris.
On retrouve donc au line-up les figures plus ou moins connues de l’underground que sont Katerina Economou (chant), Jesse Fuentes (KILL THE CLIENT, CREATOR, DESTROYER, batterie), Jason Balthazar Eldridge (HEARSE, guitare/bruits), et Kris Morash (YOUR BRAIN ON DRUGS, basse/guitare), qui pris indépendamment ne sont déjà pas commodes, mais qui ensemble ne savent pas dans quel état j’erre après avoir subi leur colère. Au menu de ce premier jet de bile, des fulgurances, des blasts, de l’ire concentrée, des passages bien sombres et glauques, du poisseux, soit la crème de la crème du bordel mais pas pris au pied de la lettre. Car si les ESCUELA GRIND sont Grind, comme leur nom l’indique finement, ils sont aussi Noise et Punk dans l’âme, soit une sorte de pulsation permanente renvoyant aux pires exactions de FULL OF HELL et autres tarés comme THE KILL qui ne pensent qu’à tout cramer, en poussant sur le gros bouton rouge. Rythmiquement parlant, cet album est une mine de cassures, de ruptures, un peu dans l’optique d’un Techno-Grind réduit à son état sauvage, baignant dans son jus de ressentiment. D’ailleurs, saluons la performance homérique de Jesse Fuentes qui ne ménage pas ses coups de baguettes et qui s’affole à la moindre occasion. Mais un bon album de Grind/Noise/Powerviolence ne serait rien sans un/une vocaliste de légende, et admettons que la terrifiante Katerina Economou manie le micro et les invectives comme personne. La chanteuse/hurleuse se donne du mal et calque son phrasé diabolique sur cette batterie atomique, déversant à pleins poumons son dégoût de la société et des injustices apparentées. D’ailleurs, dès « Inspirational Significance », les slogans choc à la NAPALM DEATH fusent, avec un énorme « Groupthink, indoctrinate, deep state, self-immolate » braillé comme à la parade. C’est court, immédiat, efficace.
Le néophyte ou l’amateur de Grind traditionnel seront peut-être perdus dans cette jungle de sons tournants et de revirements de tempo. Mais l’esthète et l’amateur éclairé sauront reconnaître la créativité de musiciens qui n’ont pas envie de répéter en moins bien ce qui a déjà été lapidé en mieux, et c’est pour ça que les morceaux d’Indoctrination sont tous (ou presque) identifiables. Loin de la soupe bouillante servie dans la gueule par une marâtre la clope au bec, cet album ménage le suspens, fait monter la tension, joue l’oppression et l’étouffement, se rapprochant de la scène Indus anglaise des GODFLESH au moment de nous offrir une transition vraiment stressante (« Indoctrinate »). Et si la durée de l’album vous étonne au vu du genre et du nombre de morceaux, ne soyez pas surpris. Ceux-ci ne dépassent jamais les deux minutes, restent souvent juste au-dessus de l’unité, puisque c’est la très longue outro « Indoctrinated » qui se cogne dix minutes à elle toute seule. Rappelant aussi à ce moment-là les sorties de piste de NAPALM DEATH qui n’hésitait jamais à boucler ses fins d’albums 90’s par un gros truc maousse, les ESCUELA GRIND nous la jouent Ambient morbide et assourdissant, avec feedback, percussions éparses, grondements divers histoire de bien nous laisser un goût amer. Mais comme ils ne sont pas totalement sadiques, ils en rajoutent une brève louche avec le très groovy « Honorkilling », et referment la porte comme ils l’avaient ouverte, bruyamment. Et je me permettrai de terminer cette chronique comme je l’ai commencée, en alexandrins :
« Ne fais pas la fine bouche, que ta conscience se perde
Remets en une bonne couche, et va manger ta merde ».
Titres de l’album :
01. Inspirational Significance
02. Hyper-Victim
03. Private Vice Public Benefit
04. Zalongo
05. Incel Circle Jerk
06. A Ladder of Seven Rounds
07. These Leeches
08. Indoctrinate (Interlude)
09. Your Beneficial Hate
10. Lines in Sand
11. In a Locked Room
12. Farinha
13. To Live and Die in Shittsfield
14. Million Year Picnic (M.O.S.H.)
15. These Insects Lived Like Men
16. Indoctrinated (Outro)
17. Honorkilling (Bonus Track)
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